Chapiteau de Vézelay
Jésus, l'homme libre.
Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l'Esprit pour y être tenté par le diable. Après qu'il eût jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s'approcha de lui et lui dit : "Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains." Mais Jésus répondit : "Il est écrit : Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu."
Alors, le diable l'emmène à la ville sainte, à Jérusalem, le place au sommet du Temple et lui dit : "Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre." Jésus lui déclara : "Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu."
Le diable l'emmène encore sur une très haute montagne et lui fait voir tous les royaumes du monde avec leur gloire. Il lui dit : "Tout cela, je te le donnerai si tu te prosternes pour m'adorer." Alors Jésus lui dit : "Arrière, Satan ! Car il est écrit : C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c'est lui seul que tu dois adorer."
Alors le diable le quitta. Voici que des anges s'approchèrent de lui, et ils le servaient.
Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 4, 1-11 PREMIER DIMANCHE DE CAREME (A) oOo Deux récits de tentation.
C'est intentionnellement, je crois, que la liturgie de ce premier dimanche de Carême nous invite à relire deux récits de tentation qu'elle met en contraste, et même en opposition. Deux histoires qui nous mettent en présence, d'une part, de l'homme qui a cédé à la tentation, et d'autre part de l'Homme qui a vaincu la tentation. Nous allons donc regarder ces deux récits et, à travers ces deux récits, considérer notre condition humaine, notre manière de nous situer, aujourd'hui, en fils de Dieu, puisque dans les deux cas, c'est de cela qu'il s'agit.
La tentation de Jésus.
Voilà donc Jésus, qui a entendu, au jour de son baptême, la Parole qui le fonde dans son existence humaine : "Tu es mon Fils bien-aimé." Jésus est fils de Dieu. On peut mettre l'accent sur l'un ou l'autre des deux mots de cette expression. Il y a un choix à faire : ou bien il se situera en fils, ou bien il se comportera comme Dieu. Or, tout au long de son existence, il ne voudra être que "le fils de l'homme".
Il ne faudrait pas croire que Jésus n'a connu la tentation qu'au moment de la tentation au désert, après son jeûne de quarante jours. C'est tout au long de sa vie qu'il a connu la tentation, tous les jours. Et ce n'était pas seulement le Tentateur, comme l'on dit, le démon, c'étaient tout son entourage, tous ceux qui étaient avec lui, qui le tentaient, qui lui apportaient chaque jour des raisons pour le faire céder. La tentation venait de Pierre, des disciples, de tous ses partisans, de toute la foule enthousiaste. Relisez l'évangile et vous verrez : tous ces gens qui lui disaient sans cesse : Conduis-toi en vrai Messie. Pierre, qui vient de lui dire : "Tu es le fils de Dieu", se met en travers de la route quand Jésus annonce que "le fils de l'homme" doit monter à Jérusalem pour y être arrêté, pour y mourir. Et Jésus le rabroue vivement : "Passe derrière moi, Satan."
Tout au long de sa vie.
Donc, tout au long de sa vie, Jésus va avoir à affronter la même tentation : est-ce que je vais employer les moyens de la puissance, les moyens du sensationnel, employer des "trucs" pour convaincre les gens, les faire marcher avec moi et réaliser ainsi le salut de l'humanité. Est-ce que je vais montrer enfin que je suis "Dieu-parmi-les-hommes", d'une manière éclatante et pleinement convaincante ? Jamais il ne cédera à la tentation. Il ne veut être que l'homme, pleinement, totalement dans la condition humaine, l'homme qui se bat contre toutes les forces du mal pour vaincre le mal. Dans l'expression "Fils de Dieu", Jésus privilégie donc le mot "fils" et il se comporte en fils obéissant.
Et à Gethsémani encore la tentation est là. Il lui faut s'appuyer, avec une extrême confiance sur la Parole entendue au bord du Jourdain, "Tu es mon Fils bien-aimé", pour se reprendre et, après avoir supplié son Père ("Que cette coupe s'éloigne de moi"), dire enfin : "Non pas ma volonté, mais ta volonté". Et nous en arrivons au moment où Pilate le présente à la foule qui ricane : "Voilà l'Homme".
La tentation première.
Revenons maintenant à la triste histoire du chapitre 3 de la Genèse : l'histoire de l'homme et de la femme (on ne parle pas d'Adam ni d'Eve), du serpent qui parle, des arbres du beau jardin et de ce fameux "fruit défendu" (on ne parle pas de pomme, remarquez-le également).
De quoi s'agit-il ? D'une tentation. Quelle tentation ? L'homme et la femme (vous, moi) ont entendu, au départ, Dieu leur dire : "Tu es mon enfant bien-aimé." Dieu a tout mis à leur disposition. La Bible raconte cela en un texte très imagé : le beau jardin arboré, les fruits merveilleux, le bonheur simple, l'arbre de vie et l'arbre de la connaissance du bien et du mal (ou plus exactement, du bon et du mauvais). Et ils vont connaître la même tentation que le Christ. Dans l'expression "Fils de Dieu", ils ne vont retenir que le mot "Dieu" : nous, on peut être des dieux. C'est cela que le serpent insinue quand il leur dit : Dieu, ce n'est pas celui que vous croyez. Vous le prenez pour un père ? C'est un rival. C'est un Dieu cruel, un Dieu jaloux, un Dieu qui a peur de vous. C'est un Dieu pervers. Et ce Dieu pervers, il vous faut le renier. Décidez par vous-même (c'est cela, le mot "connaissance du bien et du mal". Il s'agit de bien plus qu'une connaissance intellectuelle. Tout l'être humain est engagé dans cette "connaissance-décision"). Décidez de ce qui est bon et de ce qui est mauvais. Ainsi, vous serez comme des dieux, décidant de ce qui est bien et de ce qui est mal. Et l'homme va "marcher", tomber dans le panneau. Comme nous, nous "marchons", toutes les fois, dans notre vie, où nous savons qu'objectivement telle chose est mauvaise, et où nous décidons qu'elle est bonne pour nous. On cède à la tentation.
Aujourd'hui encore.
Comment cela s'applique à nous aujourd'hui ? Nous vivons dans un monde d'athéisme pratique, d'apostasie très large. On ne s'en rend pas toujours compte, mais ça existe. Parlez avec les gens et vous verrez comment, même s'ils ne l'expriment pas, ils vivent en se passant très bien de Dieu. "Dieu pour quoi faire ? On peut très bien vivre sa vie sans Dieu". Ils n'ont pas lu les philosophes du siècle dernier, mais ceux-ci ont justifié théoriquement, par avance, ce que vivent nos contemporains : Si tu veux être un homme, il faut d'abord te débarrasser de l'idée de Dieu, car Dieu c'est un Dieu pervers, et la religion est ce qui t'empêche de te réaliser comme homme, elle te mutile, elle t'empêche de vivre libre. Vous pouvez retrouver tout cela chez ces philosophes, qui ont d'ailleurs marqué davantage notre époque que la leur. Ces hommes n'étaient pas des pervers, mais il faut reconnaître que la religion qu'ils ont connue leur présentait Dieu, souvent, comme un monarque absolu, tyrannique, un Dieu jaloux et cruel.
Homme libre.
Dans ce climat, allons-nous être de ceux qui "marchent", veulent se conduire en "dieux", décidant de ce qui est bon et de ce qui est mauvais pour l'homme ? Ou au contraire, allons-nous vivre à contre-courant, nous conduisant en "fils" et nous appuyant uniquement sur la Parole d'amour entendue, à l'exemple du Christ. Si nous vivons ainsi, nous ne serons jamais des hommes "mutilés", "aliénés". Ce sont les croyants qui sont des hommes libres, des hommes debout.
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