Les clés du Royaume

La véritable identité

 

Jésus était venu dans la région de Césarée de Philippe, et il demandait à ses disciples : "Le Fils de l'homme, qui est-il, d'après ce que disent les hommes ?" Ils répondirent : "Pour les uns, il est Jean Baptiste ; pour d'autres, Élie ; pour d'autres encore, Jérémie ou l'un des prophètes." Jésus leur dit : "Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ?" Prenant la parole, Simon-Pierre déclara : "Tu es le Messie, le Fils du Dieu Vivant !" Prenant la parole à son tour, Jésus lui déclara : "Heureux es-tu, Simon, fils de Yonas : ce n'est pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : "Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église : et la puissance de la mort ne l'emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du Royaume des cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux." Alors, il ordonna aux disciples de ne dire à personne qu'il était le Messie.

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 16, 13-20

VINGT-ET-UNIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

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Du Nord au Sud

Césarée de Philippe : c'est la ville nouvelle la plus au Nord de la Palestine, près des sources du Jourdain. Jusqu'ici, Jésus a parcouru surtout la Galilée, sa province d'origine, le Nord d'Israël. Arrivé donc à l'extrême Nord, il va faire demi-tour et prendre la route du Sud. Le Sud, c'est la Judée, c'est Jérusalem. C'est là où se scellera son propre destin. Il le sait. C'est pourquoi, à ses disciples qui le suivent fidèlement depuis des mois, il va demander d'opérer une vérification. Savent-ils vraiment qui il est ? Et s'ils le supposent vaguement, sont-ils prêts à le suivre jusqu'au bout. C'est le but de sa question, et des précisions qu'il apportera ensuite (nous les lirons dimanche prochain).

Interrogations.

" Pour vous, qui suis-je ? " Depuis les premiers jours, les gens se sont interrogés. Stupéfaits devant les actes et les paroles de cet homme de Nazareth, ils se sont demandés : " Qui est-il vraiment ? " Tous les évangélistes nous rapportent plusieurs fois ces interrogations des témoins : ce Jésus n'est pas un homme ordinaire. Dans l'évangile de Jean notamment, la question revient souvent : " Qui est-il ? Aucun homme n'a parlé comme cet homme. Aucun homme n'a accompli des œuvres semblables aux siennes. Comment un homme pourrait-il dire et faire tout cela s'il ne venait de Dieu ? " Alors, spontanément, ils évoquent des personnages du passé : Elie, Jérémie, Jean-Baptiste, un prophète ? C'est naturel, pour eux, de faire référence à ces grands témoins inspirés et hors du commun. On n'en est pas encore au témoignage définitif de la Lettre aux Hébreux : " Après avoir à maintes reprises et de bien des manières parlé jadis à nos pères par les prophètes, Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils. "

Et réponse

Si l'opinion des gens est encore floue, faisant référence à des personnages du passé, par contre, les disciples, les proches, ont été témoins d'une nouveauté incroyable, proprement inouïe, le " non encore vu " qui se manifestait en Jésus. C'est Pierre qui, au nom de tous, répond avec les paroles de la foi d'après Pâques : " Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ".Même si Pierre n'a pas pu prononcer ces paroles littéralement avant Pâques, l'évangile de Matthieu voit cette foi déjà en lui, peut-être même à son insu. Pourquoi ? Parce que Pierre, souvent décrit comme un être primesautier, a fait, comme quelques-uns de ses amis, un saut dans l'inconnu lorsqu'il a rencontré Jésus : il a tout quitté pour le suivre. Donc, il le place au-dessus de tout. Mais Pierre sait-il ce qu'il dit ? Sait-il ce que signifie être Christ, être Fils de Dieu ? Certainement pas. Nous le verrons dimanche prochain.

La véritable identité

Pour l'instant, nous voyons Simon attribuer à Jésus sa véritable identité. Et, en retour, Jésus fait de même pour Simon : " Tu es Pierre ". Si Jésus est bien plus que le fils de Marie et de Joseph, lui, Simon, est bien plus que le fils de Yonas (de Jean), puisque le Père de Jésus, Dieu, parle par sa bouche. Simon-Pierre est au-delà de son hérédité humaine, de " la chair et du sang ". Il est " de Dieu ", comme l'indique le nom nouveau que Jésus lui donne : Pierre, Rocher, nom divin repris quantité de fois dans la Bible pour dire le Dieu fidèle, sur qui on peut s'appuyer, sur qui on peut compter. Et ce nom divin, c'est aussi un terme employé pour désigner le Messie à venir, pierre rejetée par les bâtisseurs, qui va devenir pierre angulaire de toute l'humanité nouvelle. Changeant son nom, Jésus donne à Simon un destin nouveau et même fait de lui un nouvel être, un nouvel homme. De même que Jésus est beaucoup plus que ce qu'un regard superficiel peut découvrir de lui, de même Pierre dépasse Simon. Les actes de Pierre sur la terre dépasseront la terre. Il construit en Dieu lui-même (" dans les cieux ", dit l'expression typiquement hébraïque).

Quel pouvoir ?

Il est question dans notre texte des " clés du Royaume des cieux ", ainsi que de " lier et délier ". Quels sont donc ces pouvoirs - et cette responsabilité - que le Christ confère à Simon-Pierre ? Il s'agit bien d'un pouvoir : on remet " les clés " d'une ville au général qui vient de la conquérir. Mais il ne s'agit pas d'un pouvoir quelconque. Lier et délier ? Je crois qu'on fait un contresens quand on traduit - comme dans l'édition de la Bible que j'ai sous les yeux : " Ce que tu interdiras " et " ce que tu permettras. ". Il s'agit, je pense, de tout autre chose. Il s'agit, dans le " Royaume ", dont l'Église n'est que l'ébauche, et dont Pierre est le fondement, du pouvoir de " délier ", et donc de libérer tous les hommes, pour qu'ils puissent se " lier ", se relier dans une communauté de destin fraternelle. Personnellement, je ne vois pas trace ici d'une quelconque idée de condamner ou d'acquitter.

Or, curieusement, on retrouve la même promesse dans la bouche de Jésus, deux pages plus loin, dans notre évangile. Au chapitre 18, verset 18. Mais cette fois, Jésus ne s'adresse plus seulement à Simon-Pierre, mais à tous les disciples. A vous et à moi aujourd'hui. " Ce que vous lierez sur terre sera lié dans les cieux, ce que vous délierez sur la terre sera délié dans les cieux. " Quelle responsabilité ! " Les cieux ", c'est-à-dire, encore une fois Dieu, va entériner tout ce que nous pourrons faire pour que les hommes, enfin libérés, puissent vivre en relation fraternelle les uns avec les autres. Voilà la tâche qui est confiée à l'Église, et donc à chacun de ses membres personnellement, " pierres vivantes de l'édifice de Dieu. " Dans l'attente de la récompense promise au livre de l'Apocalypse (2, 17) : " A ceux qui ont remporté la victoire, je donnerai une pierre blanche sur laquelle est écrit un nom nouveau, que personne ne connaît à part celui qui la reçoit. "

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