...  prends avec toi une ou deux personnes

Gagner son frère

 

Jésus disait à ses disciples : "Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère. S'il ne t'écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes afin que toute l'affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S'il refuse de les écouter, dis-le à la communauté de l'Église : s'il refuse encore d'écouter l'Église, considère-le comme un païen et un publicain. Vraiment je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. Oui vraiment je vous le dis : si deux d'entre vous sur la terre s'entendent pour demander quelque chose, ils l'obtiendront de mon Père qui est aux cieux. Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux."

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 18, 15-20

VINGT-TROISIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

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Une lecture morale

Il y a deux manières possibles de lire les textes bibliques que nous propose l'Église aujourd'hui : une lecture morale ( sans être moralisante), et une lecture qui dépasse la morale : je dirais une lecture vitale. Cette deuxième manière s'appuyant d'ailleurs sur la première.

Faisons donc d'abord de la morale, à la suite d'Ezéchiel, de saint Paul et de notre passage d'Évangile. Que nous disent ces textes ? Essentiellement que je suis responsable de mes frères. Ézéchiel me prévient : si tu n'avertis pas le méchant que sa conduite le mène à la mort, tu es coupable de " non-assistance à personne en danger. " Saint Paul nous explique que l'amour des autres n'est pas un luxe, mais " une dette ", un dû. Quant à l'Évangile, il va plus loin qu'Ézéchiel : remettre un frère sur les rails dépasse l'intervention individuelle. Un homme seul peut se tromper, aussi on va faire appel à deux ou trois témoins, et même, dans les cas plus importants, à l'Église. Dans tous les cas, il s'agit de " gagner " son frère, c'est-à-dire de lui éviter la mort.

L'homme "en relation"

Mais à prendre ces textes bibliques comme un simple recueil de consignes d'action, nous risquons de manquer quelque chose d'essentiel. Cet essentiel, le voici : je ne suis pas un homme seul, isolé, individuel. Je suis membre d'une communauté, d'un collectif. Déjà l'Ancien Testament nous avait révélé Dieu comme lié à un peuple, et non pas seulement à des individus. Les alliances, soit avec Abraham, soit avec David, sont toujours en fonction d'un peuple, le " peuple que Dieu s'est choisi ", en projet avec Abraham ou déjà réalisé avec David, par exemple. L'Évangile de ce jour nous rappelle vigoureusement que le christianisme est une religion de la communauté. On ne peut pas être chrétien tout seul. On ne peut pas réussir sa vie tout seul ; on ne peut pas fortifier notre propre personnalité sans une relation aux autres. Notre accès à Dieu et par conséquent notre vérité, notre joie de vivre, tout, absolument tout, se joue dans la manière dont nous nous relions aux autres. Dans cet unique chapitre de l'Évangile qui soit consacré à l'Église (deux fois mentionnée dans notre texte, alors que le terme n'existe que trois fois dans tous les Évangiles), le Christ ne veut pas créer une religion de plus. Il manifeste simplement que l'homme ne peut exister réellement que par ses liens. " Dieu créa l'homme à son image " : ainsi commence la Bible. Image de Dieu, je le suis particulièrement par le fait que je suis un être en relation.

Etre ensemble

Il y a donc Église quand " deux ou trois sont rassemblés en mon nom ". Même pas : il suffit que " deux d'entre vous s'entendent ". Quand des hommes "s'entendent", "se réunissent" au nom du Christ, alors ils sont en communion avec leur origine et leur fin. Et c'est parce que notre vérité d'homme est d'être ensemble que nous ne pouvons nous désintéresser de ce que fait notre frère. Ce n'est pas un hasard si, après s'être adressé à Pierre pour lui dire (au singulier) : " Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux ; tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux " (chapitre 16), deux pages plus loin dans le même Évangile, Jésus s'adresse (au pluriel) à tous ses disciples, à vous, à moi aujourd'hui, pour nous dire que Dieu ratifiera pleinement " tout ce que vous aurez lié, tout ce que vous aurez délié sur la terre ".

Singulier et pluriel

Singulier et pluriel : une religion de la communauté peut devenir une idéologie ; une religion de la personne peut devenir mythe de l'épanouissement personnel et adoration de soi-même. Dans l'Ancien Testament, je viens de vous le dire, les hommes " providentiels " n'existent qu'au service du peuple qu'ils ont à faire naître, à faire grandir, à servir. Dans le christianisme, il y a Jésus, l'homme universel, récapitulant tous les êtres parce qu'il est l'homme-Jésus, celui qui a vécu il y a deux mille ans en Palestine, pendant une trentaine d'années. Il peut être tous parce qu'il est lui. Et il reste lui dans sa résurrection. Pierre et la communauté sont dans le même rapport. Chacun de nous également. La communauté n'existe vraiment que si chacun a sa consistance propre. Elle ne nous noie pas en elle ; elle nous fait être nous-mêmes. D'où la charité, qui consiste à aimer l'autre, non pas dans l'abstrait, d'un amour indistinct (" moi, j'aime tout le monde ! "), mais tel qu'il est et pour ce qu'il est.

La communauté commence là. Il ne peut y avoir d'Église sans ce respect et il ne peut y avoir de chrétien standard, conforme à quelque portrait-robot. Parce qu'il y a le Père, le Fils, l'Esprit.

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