"Allez travailler à ma vigne"

PAS DE MARCHANDAGE !

 

Jésus disait cette parabole : "Le Royaume des cieux est comparable au maître d'un domaine qui sortit au petit jour afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il s'entendit avec eux sur un salaire d'une pièce d'argent pour la journée et il les envoya à sa vigne. Sorti vers neuf heures, il en vit d'autres qui étaient là, sur la place, sans travail. Il leur dit : "Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste." Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même. Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d'autres qui étaient là et leur dit : "Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?" Ils lui répondirent : "Parce que personne ne nous a embauchés." Il leur dit : "Allez, vous aussi, à ma vigne." Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : "Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers."

Ceux qui n'avaient commencé qu'à cinq heures s'avancèrent et reçurent chacun une pièce d'argent. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage. Mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d'argent. En la recevant, ils étaient révoltés contre le maître du domaine : "Ces derniers venus n'ont fait qu'une heure, et tu les traites comme nous, qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur !" Mais le maître répondit à l'un d'eux : "Mon ami, je ne te fais aucun tort. N'as-tu pas été d'accord avec moi pour une pièce d'argent ? Prends ce qui te revient et va-t-en. Je veux donner à ce dernier autant qu'à toi : n'ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ? Est-ce que ton regard est mauvais parce que je suis bon?"
Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers.

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 20, 1-16

VINGT-CINQUIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

oOo.

Le monde de la gratuité.

Nous avons célébré hier la fête de saint Matthieu, le publicain, l'auteur du passage d'évangile que nous lisons aujourd'hui. Je crois que lorsque Matthieu rapportait ainsi la parabole des ouvriers de la dernière heure, il pensait d'abord à son expérience personnelle. Mais parce qu'il s'adressait à une communauté chrétienne bien précise (des judéo-chrétiens qui vivaient à la fin du premier siècle), il voulait leur délivrer un message important ; et il pensait aussi à nous, les hommes et les femmes de cette fin de millénaire. Imaginant que nous serions les mêmes que ceux du début du christianisme, il tenait à nous rappeler une chose essentielle : le Royaume de Dieu, c'est le monde de la gratuité. Il s'agit, pour chacun d'entre nous, d'y entrer et d'y vivre. Je voudrais vous expliquer cela.

Un inconnu s'arrête.

D'abord, Matthieu pense à son cas personnel. Il était publicain, il travaillait ce jour-là. Un inconnu s'arrête devant sa boutique : c'est Jésus. Les autres gens de la cité méprisaient Matthieu, et il ressentait douloureusement ce rejet : de par son métier, il était assimilé aux pécheurs publics. On crachait sur son passage. Personne n'aurait pensé à l'inviter, à le recevoir chez lui. Il était le paria, le marginalisé. Et voilà que Jésus, lui, s'arrête. Non seulement il s'arrête, mais il va l'inviter. Pas seulement pour en faire l'un de ses disciples, parmi des centaines d'autres disciples, mais pour en faire l'un des Douze. Non seulement Jésus l'embauche, mais, le soir venu, il va manger chez lui, avec tout ce qu'il y a de rebut dans la société de cette petite ville : ses collègues percepteurs. Matthieu pense que cette attitude de Jésus, c'est exactement l'attitude de Dieu, qui ne regarde pas les bien-pensants, les premiers appelés, les bons Juifs, ceux qui se situent dans l'ordre du mérite, du " donnant-donnant ", du calcul et du marchandage, mais qui regarde ceux qui n'ont aucun droit à son amour, les petits, les pécheurs, les exclus.

Enfants de la Promesse ?

Donc, Matthieu rappelle cela à la communauté judéo-chrétienne pour laquelle il écrit son évangile, vers les années 70-80 de notre ère. Qui sont-ils ? Des chrétiens d'origine juive. Ils ont fait l'expérience de la foi chrétienne, tout en conservant leur mentalité et leurs coutumes juives. Et en même temps, ils sont profondément choqués de voir arriver en nombre considérable, dans l'Église, des païens. Eux, de par leur appartenance à la race d'Abraham, ils sont les " ouvriers de la première heure ". Ils ont été appelés les premiers. Il y a déjà plus de mille ans qu'ils servent Yahweh, le Dieu Unique. Et à travers tous les aléas d'une histoire difficile, douloureuse, ils ont " supporté le poids du jour et de la chaleur ". Ils ont vécu en enfants de la promesse. Or, il se trouve que, pour le moment, les enfants de la promesse, c'est n'importe qui : Romains, païens, arabes, noirs ou blancs. Ils entrent dans l'Église, reçoivent le baptême. Nos braves chrétiens d'origine juive se demandent ce qui se passe, eux qui ont la tentation de se dire : " Nous, nous sommes les premiers, nous avons des droits sur Dieu, puisque c'est par nous qu'il se révèle ". Et voilà que ces nouveaux convertis prennent toute leur place dans l'Église, certains deviennent prêtres, diacres, beaucoup exercent des ministères. Matthieu, en rapportant la parabole de Jésus, veut expliquer à ses lecteurs qu'ils n'ont pas à s'en scandaliser, que c'est l'attitude de Dieu. Il n'est pas question de " droits " dans le Royaume. Tout est gratuit, et gratuit pour tous. Donc, si vous voulez être disciples du Christ, vous avez à calquer vos attitudes sur l'attitude de Dieu.

Mal-pensants ?

Aujourd'hui, c'est à nous que Matthieu s'adresse, nous, les bien-pensants (je devrais dire les mal pensants, puisque " nos pensées ne sont pas celles de Dieu ") Regardons-nous un peu, vous, moi. Est-ce que nous ne pensons pas tous les jours, est-ce que nous ne disons pas très souvent : " Je n'ai pas mérité cela ! " Nous en sommes toujours, dans notre relation à Dieu, à une histoire de marchandage, de mérites. Je fais cela pour que Dieu me récompense. Et si je ne le fais pas, Dieu est en droit de me punir. Je vais à la messe, je pratique ma religion, je prends tel ou tel engagement, mais avec cette idée dans la tête : "Dieu va m'en récompenser". Eh bien non, nous dit Matthieu. Nous ne sommes pas regardés, considérés sur le mérite. Il n'y a pas de marchandage avec Dieu. Nous sommes simplement aimés, gratuitement, indépendamment de ce que nous sommes et de ce que nous faisons. Nous sommes tous aimés, même si Dieu a une certaine prédilection pour ceux qui n'entrent pas dans cette histoire de marchandage. Une prédilection pour les " pauvres ", c'est-à-dire tous ceux qui ne comptent pas sur eux, mais qui tablent simplement sur l'amour gratuit de Dieu à leur égard.

A l'image de Dieu.

Cela veut dire, pour nous, des choses importantes, dans notre manière de nous situer vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis de nos frères. A la première page de la Bible, il est dit que " Dieu a fait l'homme à son image ". Eh bien, pour que l'homme soit vraiment à son image, il y a encore du travail ! Parce que nous, souvent, nous ne sommes pas dans l'ordre du gratuit. Nous sommes dans l'ordre du marchandage. Si nous voulons être image de Dieu, nous serons obligés de sortir de toutes nos petites histoires, de toutes nos petites combines, et de sortir de tout ce sur quoi nous comptons, pour nous situer, vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis de nos frères, dans l'ordre de l'amour. C'est l'apôtre Paul, dans sa lettre à Tite, qui écrit : " Elle est apparue un jour à nos yeux, la gracieuse bonté de Dieu à notre égard ". Certes, le Royaume de Dieu est à peine ébauché, à peine commencé. Mais il progressera, si nous apprenons, tous les jours, à vivre " la gracieuse bonté de Dieu à notre égard " et notre propre gratuité dans l'amour de nos frères.

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