"Quand arriva le temps de la vendange..."

            TOUS RESPONSABLES !
 

Jésus disait aux chefs des prêtres et aux pharisiens : «Écoutez cette parabole : un homme était propriétaire d'un domaine ; il planta une vigne, l'entoura d'une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour de garde. Puis il la donna en fermage à des vignerons, et partit en voyage. Quand arriva le temps de la vendange, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de la vigne. Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l'un, tuèrent l'autre, lapidèrent le troisième. De nouveau, le propriétaire envoya d'autres serviteurs, plus nombreux que les premiers ; mais ils furent traités de la même façon. Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : 'Ils respecteront mon fils'. Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : 'Voici l'héritier : allons-y ! Tuons-le, nous aurons l'héritage !' Ils se saisirent de lui, ils le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Eh bien, quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ?» On lui répondit : «Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il donnera la vigne en fermage à d'autres vignerons qui en remettront le produit en temps voulu.» Jésus leur dit : «N'avez-vous jamais lu dans les Écritures : 'La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre angulaire. C'est là l'œuvre du Seigneur, une merveille sous nos yeux !' Aussi, je vous le dis : le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit.»

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 21, 33-43


VINGT-SEPTIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)


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Des allusions critiques
Rappelez-vous : déjà, la semaine dernière, Jésus racontait une histoire de vigne et de vignerons (« Mon fils, va travailler à ma vigne »), dans un contexte polémique : une contestation des autorités religieuses d’Israël. Cette semaine encore, Jésus enfonce le clou. Comme la semaine dernière, l’histoire qu’il raconte précède une question à laquelle ses interlocuteurs ne peuvent répondre qu’en se condamnant eux-mêmes. Car il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre les allusions critiques de Jésus. L’histoire du propriétaire qui est parti en voyage après avoir confié sa vigne à des vignerons, tout le monde comprend tout de suite qu’il s’agit de Dieu, qui a confié son peuple Israël aux responsables religieux du pays. Déjà Isaïe (relisez la première lecture de ce dimanche) avait comparé Israël à une vigne dont Dieu prenait particulièrement soin. Mais alors que la conclusion d’Isaïe était particulièrement pessimiste – Dieu va abandonner sa vigne, puisqu’elle ne donne rien de bon, et la laisser en friche – le développement de Jésus prend une toute autre signification. Ce sont les responsables du domaine de Dieu, et non le domaine lui-même, qui sont mis en accusation. Pourtant, ce ne sont pas les avertissements des prophètes qui leur ont manqué. Et même, ultime avertissement, c’est son propre fils que Dieu envoie. Résultat, énoncé directement par les ennemis de Jésus eux-mêmes : « Il fera périr misérablement ces misérables et il donnera la vigne en fermage à d’autres vignerons. » Ces prêtres et ces pharisiens auraient bien dû se méfier. Les voilà pris au piège et obligés de prononcer eux-mêmes leur propre condamnation.
Il est très possible que Matthieu, rapportant l’épisode aux gens de la première génération chrétienne, ait particulièrement eu à l’esprit le contexte dans lequel il vivait, alors que les premiers chrétiens, d’origine juive, venaient d’être exclus de la synagogue : la vigne du Seigneur, c’est-à-dire le peuple de Dieu, a changé de responsables ; les autorités religieuses juives sont, à ses yeux, définitivement disqualifiées. Mais je pense que si on s’arrête à cette perspective fortement antijuive, on se donne facilement bonne conscience. Car cette histoire nous concerne tous. Israël est simplement le peuple qui révèle par son histoire le drame que vit depuis toujours l’humanité entière.

Tous responsables
Le domaine de Dieu, ce n’est pas simplement un peuple, le peuple élu. C’est notre terre. Et les vignerons ? Eh bien, ce sont les responsables, à tous les niveaux. Et nous sommes tous responsables de quelque chose. Nous avons tous autorité sur un petit territoire, ne serait-ce que notre vie, notre famille, notre travail. Alors, il s’agit d’évaluer la manière dont nous nous comportons, de regarder comment nous exerçons nos responsabilités. En d’autres termes, comment nous comportons-nous : comme des administrateurs responsables ou comme des propriétaires absolus ? Jésus nous rappelle aujourd’hui que le monde entier est la vigne précieuse de son Père et que chacun de nous à sa façon est l’un de ses administrateurs. Le mot « responsable » signifie étymologiquement qu’on doit répondre de nos actes et de leur répercussion. Ne sommes-nous pas souvent des irresponsables ? Aussi bien dans la conduite de nos affaires, dans notre vie familiale ou professionnelle que dans notre vie privée.

Accueil ou rejet ?
Pire encore, souvent, nous cédons au vertige d’éliminer « la pierre d’angle », le Christ et l’Évangile, pour mettre notre petit monde en coupe réglée. Accaparer pour nous les fruits de cette vigne alors que nous avons à les produire au bénéfice de tous les hommes. Amasser pour soi richesses, honneurs, prestige, puissance. Toutes manières de rejeter le Christ, de le supprimer, de le crucifier « hors de la ville », hors de nos vies. Seulement la pierre sur laquelle nous aurions dû bâtir devient la pierre sur laquelle nous viendrons buter, nous briser.

C’est toujours la même histoire, depuis le début de l’humanité. Déjà l’Adam – nom commun qui signifie simplement « l’homme » en hébreu – ne faisait pas autre chose dans le récit de la Genèse. Ce drame, c’est le refus de croire en la parole de Dieu qui nous dit que sa « loi », pas la loi de Dieu, mais la loi de l’homme qui peut faire réussir l’humanité, c’est l’amour. On n’y est pas encore, n’est-ce pas ! Le monde est victime du contraire de l’amour, de la violence. Violence contre l’homme, qui est aussi violence contre Dieu. Cette violence connaîtra son paroxysme et son dévoilement, sa révélation, à la Croix. La violence apparaît sans raison, mais l’amour aussi se révèle sans raison. Dans l’acte unique qui crucifie à la fois Dieu et l’homme.

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