Fra Angelico. Florence

Tu seras une bénédiction.

 

Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène avec lui sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Elie, qui s'entretenait avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : "Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie." Il parlait encore lorsqu'une nuée lumineuse les couvrit de son ombre ; et, de la nuée, une voix disait : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour ; écoutez-le." Entendant cela, les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis d'une grande frayeur. Jésus s'approcha, les toucha et leur dit : "Relevez-vous et n'ayez pas peur !" Levant les yeux, ils ne virent plus que lui, Jésus, seul.

En descendant de la montagne, Jésus leur fit cette défense : "Ne parlez de cette vision à personne, avant que le fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts."

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 17, 1-9

DEUXIEME DIMANCHE DE CAREME (A)

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Abraham, Moïse et Elie.

Les textes de la liturgie de ce jour nous présentent les trois plus grands personnages de l'Ancien Testament, Abraham, Moïse et Elie, ceux qui ont eu la plus grande intimité avec Dieu. Abraham à qui Dieu parlait comme à un ami : "Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai ceux qui te maudiront. Tu seras une bénédiction." Moïse, qui après avoir passé quarante jours en contact étroit avec Dieu sur le Sinaï, redescend de la montagne, et voilà que son visage est tellement rayonnant de lumière que les Israélites lui demandent de mettre un voile sur son visage, parce qu'ils ne peuvent pas supporter son éclat. Elie enfin, le vaillant lutteur pour la cause du Dieu unique, à qui Dieu va se manifester, non pas dans l'orage ni dans le tremblement de terre, mais dans le souffle d'une brise légère.

...et Jésus.

Donc, ces trois hommes sont là aujourd'hui, présents à notre mémoire collective d'Eglise, comme pour authentifier la scène de la Transfiguration. Jésus, en effet, est descendant d'Abraham, et c'est en lui, Jésus, que tous les hommes de la terre, vous et moi aujourd'hui, nous recevons la bénédiction de Dieu. Moïse et Elie : on disait au temps de Jésus qu'ils personnifiaient la Loi et les Prophètes, c'est-à-dire toute l'Ecriture, toute la Parole de Dieu. Et voilà que Jésus, donc, assume toute l'histoire de son peuple : c'est lui qu'il faut désormais écouter. Il est au centre de toute l'histoire sainte, notre histoire depuis les origines, depuis Abraham. Je vois dans cette scène de la Transfiguration comme un pivot : il y a l'avant, toute l'histoire prestigieuse du Peuple de Dieu, toute la très lente démarche des hommes pour accueillir le message du Dieu Vivant ; et l'après, c'est-à-dire, à partir de la montagne de la Transfiguration, la marche vers Jérusalem, vers la Passion, la mort et la résurrection. C'est en lui que nous recevons la bénédiction de Dieu. Les trois disciples qui sont là comme témoins de la transfiguration seront ceux qui verront Jésus défiguré dans son agonie et sa passion, avant d'être témoins du Seigneur ressuscité.

Des êtres de bénédiction.

Oui, celui qui n'a voulu s'appeler que "le Fils de l'homme", (encore dans l'évangile d'aujourd'hui), celui que Pilate présentera en disant : "Voilà l'homme", nous indique notre destin, le destin final de l'humanité "bénie de Dieu" : en lui, tous les baptisés, bien qu'ils aient à passer eux aussi à travers la souffrance, les peines, les deuils, bien qu'ils aient aussi des moments de "transfiguration" (chacun de nous a eu, un jour son visage transfiguré par une parole d'amour, murmurée, soit par une maman, soit dans l'amour que vous connaissez entre hommes et femmes), visages transfigurés par l'amour ou défigurés par la souffrance, tous, nous sommes des êtres de bénédiction parce que cette puissance de bénédiction nous fera traverser, franchir l'obstacle de la mort.

J'emploie aujourd'hui à dessein ce mot "bénédiction" qu'on retrouve cinq fois dans le texte de la Genèse qu'on lisait tout à l'heure. Les mots, comme les personnes, comme tout ce qui est vivant, ça vieillit et ça meurt. Aujourd'hui, on a perdu toute la force et tout le sens qu'avait le mot "bénédiction" dans une civilisation de la parole. Aujourd'hui, on demande une "petite bénédiction". On va bénir une médaille, une maison, une auto. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit quand Dieu parle de bénédiction. Dans la Bible, toute parole est efficace. Quand Dieu dit à Abraham : "Je te bénirai", il faut comprendre la racine du mot hébreu : elle dit la fécondité. Donc, Dieu communique à celui qu'il bénit un dynamisme, une force de croissance et de progrès, une puissance vitale. Et la bénédiction à Abraham, qui s'étend à tout l'univers, c'est Dieu qui nous communique son dynamisme, sa force, sa puissance pour avancer, pour aller de l'avant.

Il est bénédiction.

La parole que Jésus entend au jour de sa Transfiguration : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé", est authentiquement une bénédiction, au sens plénier du mot. C'est Dieu qui investit cet homme-Jésus, qui n'a voulu être qu'un homme, et qui va être transfiguré un instant par cette parole d'amour et de bénédiction. Dieu lui communique un dynamisme, une force qui va lui permettre d'aller de l'avant. Et à Pierre qui dit : "C'est bien ! On va s'arrêter, on va construire des tentes", Jésus dit : Non ! On repart. Vers la souffrance, vers la mort et la résurrection, vers Jérusalem.

Voilà dans quel sens le Christ nous indique aujourd'hui, d'une part, comment il est bénédiction pour toute l'humanité sauvée, et d'autre part comment chacun de nous, dans notre existence quotidienne (malgré toutes les peines et les souffrances qu'il ne faut pas nier, qu'il faut assumer), comment cette existence d'hommes est mue par une dynamique interne qui est Dieu en nous, parce que, nous aussi, nous avons entendu, au jour de notre baptême, la Parole efficace de Dieu : "Tu es mon enfant bien-aimé." Si nous croyons cela, nous aurons des attitudes, des visage transfigurés, parce que nous aurons cette certitude : il y a en nous la force, la puissance, le dynamisme de Dieu.

Nous ne pourrons pas nous installer dans des certitudes tranquilles en disant : "Moi, j'ai la foi." La foi est une démarche, une mise en route. Comme Abraham a été mis en route, comme Jésus est remis en route au jour de sa Transfiguration. Sur notre route terrestre, nous connaîtrons joies et peines, succès et échecs, bonheur et malheur, et nous aurons à repartir chaque jour, comme le Christ, assurés de la puissance de Dieu. Il nous aime d'un amour éternel. Avec sa force, nous traverserons même la mort, sachant qu'il "transformera notre corps de misère à l'image de son corps glorieux", au jour de la résurrection. Que nos visages, dès aujourd'hui, reflètent sans cesse cette certitude : nous sommes aimés.

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