Dans la loi, quel est le grand commandement ?

      La règle d'or

 

L

es pharisiens, apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l'un d'eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l'épreuve : «Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ?» Jésus lui répondit : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Tout ce qu'il y a dans l'Écriture, dans la Loi et les Prophètes, dépend de ces deux commandements.»

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 22, 34-40

TRENTIÈME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

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 Question et réponse.

Une fois de plus, c’est un piège que ses ennemis tendent à Jésus. Les trois évangiles synoptiques rapportent cet épisode : l’affrontement du Christ avec les autorités religieuses d’Israël est de plus en plus violent. La question du plus grand commandement de la Loi devait être l’objet de grandes discussions entre les "intellectuels" de Jérusalem. On va donc demander à ce Jésus, ce galiléen qui n’a jamais fait d’études, qui n’a aucun diplôme, de se ranger dans un camp, de prendre parti.

            C’est curieux : on demande à Jésus quel est le grand commandement, et il ne cite pas le premier des dix commandements tels qu’ils ont été donnés par Dieu à son peuple au Sinaï, par l’intermédiaire de Moïse. Ce premier commandement – "Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, etc." – ne lui semble-t-il pas être le grand commandement ? Il préfère prendre, dans la Loi, deux passages qui prescrivent l’amour, l’un du Deutéronome (« Écoute, Israël, le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est l’unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit »). C’est la grande proclamation du monothéisme : un seul Dieu, Yahvé. L’autre passage, Jésus le choisit dans le livre du Lévitique : « Chacun de vous doit aimer son prochain comme lui-même ». Jésus lie ces deux commandements et déclare que le second est semblable au premier, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un même et unique commandement : amour de Dieu et amour du prochain (comme soi-même). Jésus rétablit l’unité de l’amour. Un amour actif et sans distinction de personnes. En effet, nous ne pouvons observer le premier qu’en passant par le second. L’apôtre Jean, qui a très bien compris cela, en donne la raison : « Qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment pourrait-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? » En fait, toutes les prescriptions contenues dans la Torah peuvent se résumer dans le décalogue, et le décalogue lui-même se récapitule, nous dit Jésus, en un seul commandement : le commandement de l’amour. Or, dans les dix commandements, il n’y a pas le mot « amour ». Pourquoi ? Simplement parce qu’ils nous indiquent les limites en deçà desquelles il n’y a pas d’amour. L’amour est le cœur positif mais secret des commandements du décalogue, tous négatifs (tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, etc.), sauf le 4e : « Tu honoreras ton père et ta mère ».

Une limite inférieure

            Le décalogue balise donc l’espace de l’amour : il y a une limite inférieure, mais pas de limite supérieure. Il ne dit pas comment aimer, parce qu’aimer n’est pas du domaine de la Loi, mais du domaine de la liberté, de l’initiative. L’amour est le sommet, le couronnement de la Loi. Pourtant Jésus, citant le Lévitique, fait état d’un « comment » : il faut aimer ton prochain « comme toi-même ». Jésus ne donne pas d’indications concrètes, mais il tient à nous dire qu’on ne peut pas aimer les autres si on ne s’aime pas soi-même. Vous allez me dire que c’est naturel de s’aimer soi-même, sinon on est dépressif, neurasthénique, voire suicidaire. En réalité, ce n’est pas si facile que cela de s’aimer vraiment : le risque courant, c’est l’égoïsme. En fin de compte, nous ne pouvons nous aimer nous-mêmes que si nous nous savons aimés. Tous les psychologues vous le diront. Sinon, c’est du narcissisme.

Amour sans limite

            Personnellement, ce n’est que dans la mesure où je crois que je suis vraiment aimé de Dieu que je peux m’aimer moi-même. L’amour de Dieu est premier. Et il engendre l’amour que je me porte à moi-même. C’est cet amour de Dieu, qui me traverse, auquel je peux répondre, que je peux reporter sur les autres. Mais comment croire que Dieu m’aime, si je ne fais pas l’expérience de l’amour des autres pour moi. Tout se tient. Amour de Dieu (l’amour que Dieu me porte et l’amour que je lui dois), amour de soi (je m’aime et je sais que je suis aimé), amour des autres (amour qu’ils me manifestent et amour que je leur manifeste également). Il s’agit d’une circulation, comme la circulation du sang dans mon organisme. Mais cette circulation peut être bloquée : c’est ce que nous appelons le péché. Alors, l’amour qui nous vient de Dieu ne passe plus, ni dans un sens, ni dans l’autre. C’est le moment où nous retombons sous la Loi, avec ses préceptes négatifs.

Une nouvelle règle d'or

            Dans l’antiquité païenne, il y avait ce qu’on appelait la Règle d’or : « Ne fais pas à ton prochain ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse à toi-même ». Jésus reprend cette règle, mais en lui donnant une forme positive : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous aussi pareillement pour eux. » Et il ajoute : « Voilà la Loi et les Prophètes. » La Loi imposait le respect des autres, de leur vie, de leurs biens. L’Évangile nous fait franchir un seuil : désormais le respect sera assumé par l’amour, pris dans l’amour. Voilà pourquoi l’évangile de Jean parle d’un commandement nouveau. Celui qui le proclame est celui qui nous manifeste le plus grand amour qui puisse exister, en donnant sa vie pour l’humanité. « A ceci nous avons connu l’amour, c’est que « Celui-là » (le Christ) a donné sa vie pour nous ». Et l’apôtre Jean, qui écrit cela, ajoute : « Et nous aussi, nous devons à notre tour donner notre vie pour nos frères. »

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