Un seul Maître, le Christ
Un seul Dieu et Père
Jésus déclara aux foules et à ses disciples : "Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Pratiquez donc et observez tout ce qu'ils peuvent vous dire. Mais n'agissez pas d'après leurs actes, car ils disent et ne font pas. Ils lient de pesants fardeaux et en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les ramasser du doigt. Ils agissent toujours pour être remarqués des hommes : ils portent sur eux des phylactères très larges et des franges très longues. Ils aiment les places d'honneur dans les repas, les premiers rangs dans les synagogues, les salutations dans les places publiques, ils aiment recevoir des gens le titre de rabbi. Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous êtes tous frères, et vous n'avez qu'un seul maître pour vous enseigner. Ne donnez à personne sur terre le nom de Père, car vous n'avez qu'un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus appeler maîtres, car vous n'avez qu'un seul maître, le Christ. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s'élèvera sera abaissé, qui s'abaissera sera élevé."
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 23, 1-12
TRENTE-ET-UNIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)
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Subversion
Je me souviens avoir lu, il y a quelques années, le livre d’un universitaire français intitulé « La subversion du christianisme ». Je ne sais pas si, en écrivant ce livre, l’auteur pensait au passage de l’évangile de Matthieu que nous venons de lire. Mais, parmi toutes les paroles critiques que le Christ a prononcées contre les autorités religieuses de son temps (et elles sont nombreuses), je n’en connais pas de plus virulentes que celles-ci.
Si je voulais résumer ses attaques, au risque de leur faire perdre la verve et la saveur que le Christ y a mises, je dirais que ce qu’il critique chez les chefs religieux, c’est d’abord qu’ « ils disent et ne font pas » ; ensuite, qu’ils oppriment le peuple au nom de la religion ; puis, que leur savoir et leur pouvoir leur servent à dominer, et non à servir ; et enfin, qu’ils ne recherchent que les titres et les honneurs.
Je savoure ces critiques… et soudain, je me dis qu’elles ne sont pas d’un autre âge, qu’elles sont d’actualité, et même, qu’elles me concernent, moi personnellement. D’ailleurs, Jésus se charge bien de me ramener à mon propre cas, en ajoutant à ses remarques : « Mais, chez vous, il n’en sera pas de même ». Comme pour me dire : « Et toi ? Tu ne t’es pas regardé ? » J’ajoute d’ailleurs immédiatement que si ces critiques me concernent, elles concernent chacun d’entre vous. Car nous avons tous, hommes et femmes, de quelque condition sociale que nous soyons, un certain pouvoir, une certaine volonté de puissance, et des propensions certaines à toutes les formes d’arrivisme, de conquête de places et de postes élevés. La constatation de Jésus concerne, certes, les autorités religieuses de son temps, mais elle concerne également toutes les autorités, civiles ou religieuses, de tous les temps. Cela sévit en politique, comme dans la société civile, comme dans les quartiers, aussi bien que dans l’Église.
Paraître
Tout faire pour être vu. Or, la prétention d’attirer des regards admiratifs revient à vouloir asservir les autres au culte de notre propre valeur. « Moi, je… ! » Cela revient pratiquement à se mettre à la place de Dieu, à qui seul revient l’honneur et la gloire. Cultiver notre personnage, c’est mettre le Christ à mort, subrepticement. Tout en ayant son nom à la bouche. Nous pouvons nous servir de lui pour nous servir.
Regardez comment on classe les gens, selon leur prestige, selon leurs diplômes, leur rang social, leurs fonctions. Il y a le haut et le bas de l’échelle sociale, les gens d’en haut et les gens d’en bas ! Et voilà que le Christ, aujourd’hui, nous dit que nous avons tout faux, que nous sommes « tous frères » ; pas frères selon l’hérédité, mais tous égaux. Bien sûr, certains sont plus intelligents, plus efficaces, plus utiles. Mais c’est ici que joue ce que j’appelais plus haut « la subversion évangélique » : loin de les places « au-dessus », le Christ nous invite – et les invite – à les placer « au-dessous » : ils doivent d’autant plus servir qu’ils ont plus d’atouts.
Réfléchissez : nous n’avons rien en propre, rien que ne nous soit donné. Aussi, plus on reçoit, plus on est redevable. Nous voilà loin de ceux qui « lient de pesants fardeaux pour en charger les épaules des gens mais qui ne veulent pas les remuer du doigt », de ceux qui profitent de leur position sociale pour éviter les servitudes inhérentes à la condition humaine. Mais attention : le piège serait, pour chacun de nous, de dénoncer les autres et de nous indigner vertueusement pour tel « abus de biens sociaux » ou tel profit scandaleux. L’Évangile nous invite à nous regarder d’abord nous-mêmes, pour voir dans quelle mesure et en quels domaines nous participons à la course aux honneurs, au pouvoir, à la considération et au prestige. La course aux titres et aux médailles.
Liberté chérie
Course aux titres. Ici, Jésus vise spécialement notre vie en Église. Ces titres de Rabbi (détenteur de l’enseignement), de Père, de Maître ont un contenu religieux. Jésus vient désacraliser toutes les position de pouvoir dans l’Église. Tout ce que nous appelons « sacré », ou « autorité sacrée » est renvoyé du côté de Dieu et du Christ. C’est ce qui fonde notre inaliénable liberté d’enfants de Dieu. Dans l’Église, il y a des responsables, des gens compétents, des détenteurs de pouvoir, mais leur autorité n’est pas personnelle. Elle ne leur appartient pas en propre. « Nous n’avons de pouvoir que pour la vérité », écrit saint Paul. Quand je dis la vérité, ma parole acquiert un pouvoir qui n’est pas le mien, mais qui est celui de la vérité elle-même. « Quiconque est de la vérité écoute ma voix », dit Jésus.
« Vous n’avez qu’un Maître, le Christ » et pourtant je suis là en train d’essayer de vous « enseigner » quelque chose. Je peux le faire parce qu’en fait, ce n’est pas moi qui enseigne. Comme vous, je me mets à l’école de cette Parole de Dieu et j’essaie de la pénétrer. J’échange avec vous ma recherche. Jésus lui-même disait : « Ma doctrine n’est pas de moi, elle est de celui qui m’a envoyé ». Dans l’Église, nous sommes tous disciples, à commencer par le pape. Mais je me demande parfois si nous avons bien entendu les parole du Christ sur le docteur, le père, le guide !