L’ange du Seigneur lui apparut en songe
QUATRIEME DIMANCHE DE L’AVENT (A)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 1, 18-24
Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ. Marie, la mère de Jésus, était promise en mariage à Joseph ; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action du Saint Esprit. Joseph, son époux, qui était un homme juste, ne voulait pas la dénoncer publiquement ; il décida de la répudier en secret. Il avait formé ce projet, lorsque l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle mettra au monde un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : « Le Seigneur sauve »), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ». Tout cela arriva pour que s’accomplit la parole du Seigneur prononcée par le prophète : Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils, auquel on donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous ». Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit, et prit chez lui son épouse.
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Deux fiancés
Nous voici arrivés à la dernière étape du parcours de l’Avent : dans quelques jours – après-demain – ce sera Noël. Nous avons cheminé pas à pas avec Isaïe, Jean-Baptiste, tout ce peuple d’Israël qui vivait dans l’attente du Messie. Aujourd’hui, nous sommes invités à regarder les parents de l’enfant qui va naître : Joseph et Marie. Un couple. J’allais dire un couple avec ses problèmes. Ne nous arrêtons pas à une lecture superficielle des textes évangéliques. Nous verrons alors que leur situation est bien proche de tant de nos situations humaines d’aujourd’hui.
Au départ, voilà deux jeunes qui ont, au maximum, une quinzaine d’années. Si Joseph et Marie se sont fiancés à l’âge habituel dans leur société, c’est-à-dire dès le début de la puberté, ils devaient avoir, elle, environ quatorze ans, lui, au maximum quinze ans. Joseph n’était pas le vieillard barbu qu’on représente sur les images. Donc, ces deux jeunes qui ont fait ensemble le beau projet de devenir époux, ce sont des fiancés heureux. Le temps des fiançailles n’est-il pas le temps du bonheur ?
Le temps du malheur
Or, voici que survient pour Joseph le temps du malheur. Sa fiancée est enceinte. Tout son rêve de bonheur vole en éclats. Il décide de ne pas épouser Marie. Elle restera chez son père. Joseph décide de disparaître de la vie de Marie et de son enfant. Il ignore alors que cet enfant vient de Dieu. Cette histoire ressemble à tant d’histoires que nous connaissons, soit pour en avoir été témoins, soit pour en avoir souffert nous-mêmes. Des situations que nous n’avons pas choisies, mais dans lesquelles il faut réagir pour essayer de tenir debout. Couples stériles, enfants non désirés, séparations comme autant de blessures, et tant d’autres souffrances ! Dans toutes ces situations, nous sommes tentés de nous débrouiller par nous-mêmes. Or, la solution dernière, comme pour Joseph, ne se trouve qu’en Dieu.
Dieu demande à Joseph de revenir sur sa décision. Et il lui confie une double mission : prendre Marie chez lui comme épouse, puis donner un nom à l’enfant. Donc, assumer la paternité légale de cet enfant. Aujourd’hui, adopter un enfant c’est quelque chose de formidable. J’ai été si souvent témoin du bonheur de parents qui avaient attendu bien longtemps ce jour où ils pourraient « prendre un enfant pour le sien », comme le chante Yves Duteil. Eh bien, au temps de Jésus, c’était encore plus fort. A tel point que, paraît-il, les liens adoptifs étaient même plus forts que les liens du sang. En adoptant le fils de Marie, en lui donnant un nom, Joseph devient son vrai père, mais par une sorte de don de Dieu.
Généalogie
Marie a donné un corps, une vie humaine au fils de Dieu. Joseph lui donne un nom, son nom. L’enfant sera Jésus fils de Joseph, Yeshua ben Youssef. Deux réalités tout aussi nécessaires pour être vraiment un homme. Etre « fils de personne », c’est très difficile à assumer ! Jésus, lui, sera à la fois fils de Dieu et fils de l’homme, fils du Père et fils de Marie. L’évangile de ce jour est précédé de ces mots, deux fois répétés : chapitre 1, verset 1 : « Livre des origines de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham ». Suit toute la généalogie. Puis, au même chapitre ; verset 18 : « Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ. », suivi du récit de l’annonce faite à Joseph que nous venons d’entendre. Dès la première page du Nouveau Testament, les auteurs tiennent à bien nous préciser l’identité de Jésus, fils de David par Joseph qui lui donne un nom, fils de Dieu par Marie, qui a conçu l’enfant « par l’action du Saint Esprit ».
Matthieu, comme Paul dans sa Lettre aux Romains, comme Jean dès les premières lignes du prologue de son évangile, veulent nous montrer que ce Jésus fils de Joseph, fils d’Israël, était plus qu’un fils d’Israël. Il n’était pas simplement un pieux juif envoyé au peuple juif. Il était l’Emmanuel, le Dieu-avec-nous, pour tout être humain et pour toutes les races. Lorsque Matthieu nous parle de la naissance virginale, ce qu’il veut souligner n’est pas tant un événement miraculeux que le fait que Jésus est beaucoup plus qu’un enfant d’Israël. Oui, il était juif de naissance. Oui, ses ancêtres étaient juifs. Mais son vrai père était Dieu qui, par lui comme il l’avait fait par Adam, donnait naissance à une nouvelle race, une race dans laquelle les liens du sang n’avaient pas beaucoup d’importance.
Notre citoyenneté
La naissance de Jésus met fin à la supériorité d’une race sur une autre, d’une culture sur une autre. Depuis Jésus, quelle que soit notre citoyenneté, que nous appartenions à un tout petit pays ou à une superpuissance qui prétend agir comme police internationale, nous n’avons qu’une seule citoyenneté qui compte vraiment : nous sommes tous fils et filles de Dieu. Tout le reste, comme dirait saint Paul – j’emploie intentionnellement une expression édulcorée, tant le mot de Paul est fort – « ce sont des excréments ».
Je crois qu’il y a dans ce qui est arrivé à Joseph encore autre chose, une réalité qui est très importante pour nous, chrétiens. Le danger d’appropriation. Nous disons, et nous pensons couramment que Dieu est « notre Dieu » ; nous avons tendance à faire de Jésus notre propriété. Il est « notre Seigneur ». On veut bien, certes, le partager avec tout le monde. Mais à y bien réfléchir, ni Dieu ni le Christ ne nous appartiennent en propre. Pas plus à nous, chrétiens d’aujourd’hui, que Jésus n’appartenait à Joseph ou à Marie. Nous avons simplement à le découvrir dans les autres. C’est cela, être chrétien ; nous avons à témoigner par toute notre existence que tous les hommes sont égaux, que personne n’a le droit, pour aucune raison, de dominer une autre personne. Aussi bien dans la cité que dans la famille ou dans l’Eglise. Il y a deux manières de dire Emmanuel, « Dieu-avec-nous ». Une manière possessive : il est le Dieu d’un clan, d’une nation, d’une Eglise. Ou une manière vraiment « catholique » ( c’est-à-dire universelle) : Il est le Dieu de tous, quels qu’ils soient, sans exception.