"Il fut transfiguré devant eux ."
DEUXIEME DIMANCHE DE CAREME (A)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 17, 1-9
Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène avec lui sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s'entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : «Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie.» Il parlait encore lorsqu'une nuée lumineuse les couvrit de son ombre ; et, de la nuée, une voix disait : «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour ; écoutez-le.» Entendant cela, les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis d'une grande frayeur. Jésus s'approcha, les toucha et leur dit : «Relevez-vous et n'ayez pas peur !» Levant les yeux, ils ne virent plus que lui, Jésus, seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur fit cette défense : «Ne parlez de cette vision à personne, avant que le fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts.»
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Où allons-nous ?
La recherche scientifique, de nos jours, continue à faire de grands progrès en ce qui concerne les origines de l’homme. Dernièrement encore, une émission de télévision cherchait à rendre accessible au grand public l’état de la recherche en la matière. Et en voyant représentés nos lointains ancêtres, tellement proches des grands singes, je me disais que nous avions bien de la chance de vivre en ce début de 3e millénaire. Je ne sais pas quel était le niveau de conscience et d’intelligence de l’homo erectus ni de l’homo sapiens, mais je trouve qu’ils n’étaient pas beau. En ce domaine de l’aspect extérieur, comme sans doute en d’autres domaines, grâce à l’évolution des espèces, l’homme a acquis une certaine beauté, une certaine grandeur. Et en même temps que je me faisais cette réflexion, je me demandais pourquoi cette tendance à nous rapprocher d’un passé très reculé est-elle en train de grandir, alors que j’aimerais qu’on nous aide davantage à envisager notre avenir. Y compris notre avenir le plus lointain. N’avez-vous pas remarqué combien beaucoup d’esprits avertis, lorsqu’ils évoquent le futur, le font en agitant toutes sortes de peurs, et jamais en termes d’espérance et de confiance en l’avenir de l’espèce humaine !
Le contexte
Je me faisais ce genre de réflexions, ces derniers jours, en relisant l’évangile de la transfiguration. Car l’incident dont furent témoins ce jour-là Pierre, Jacques et Jean, et qu’ils ne rapportèrent à leurs camarades qu’après la résurrection, ne concerne pas seulement la personne de Jésus. Il nous concerne, chacun de nous personnellement ; bien plus, il concerne l’avenir de l’humanité toute entière. Mais pour bien comprendre la signification de cet épisode de la vie publique de Jésus, qui est rapporté par les trois évangiles synoptiques, il faut le remettre dans son contexte.
Un jour, lors de son baptême, Jésus entendit l’appel de Dieu qui le désignait comme son Fils bien-aimé et confirmait sa mission. Il se mit en route, et dès le début commença à rencontrer sur cette route la tentation aux multiples formes. Et d’abord, lors des premiers succès de sa prédication, lorsque les foules couraient après lui en le révérant comme un prophète. Il dut s’arracher à la tentation du sensationnel ; de même lorsque, après la multiplication des pains, les gens voulaient s’emparer de lui et en faire leur roi. Mais progressivement, les autorités religieuses le considérèrent comme une menace et commencèrent à lui tendre des traquenards. Alors beaucoup de gens s’éloignèrent. Même des disciples. Jésus réalisa alors que le projet de ses ennemis était de le faire disparaître. Aussi, on remarque dans les évangiles qu’à partir d’un certain moment de sa vie publique, il va consacrer le plus clair de son temps à la formation de ses disciples. C’est à ce tournant que se situe l’épisode de la transfiguration.
De la mort à la vie
Pour la première fois, il dévoile à ses amis quel sera son destin : la haine qu’il sent monter contre lui ira jusqu’à son point culminant. Il annonce qu’il sera arrêté, jugé, mis à mort… avant de ressusciter (un mot que les disciples ne comprennent pas). Ils ne retiennent des paroles de Jésus que son destin tragique. Si bien que Pierre va devenir tentateur, un « Satan » : il veut empêcher Jésus d’aller vers son destin. Il se fait rabrouer par le Maître qui, pour bien enfoncer le clou, ajoute que son propre destin sera ensuite celui de tous ceux qui veulent le suivre. Il faut passer par la mort pour accéder à la vie.
On comprend que les disciples soient désarçonnés devant une telle perspective d’avenir assez sombre. C’est pourquoi ils ont besoin d’être confirmés par un signe alors que leur confiance en Jésus se fait chancelante. Trois d’entre eux vont être témoins de la transfiguration. Au début de l’aventure, ils avaient vu Jésus comme un homme assez extraordinaire, puis ils s’étaient posé des questions à son sujet. C’était, certes, un prophète, mais ne serait-il pas le messie attendu ? A cette question Pierre avait répondu un jour, au nom de tous : Jésus est vraiment le messie, et même plus : il est le Fils du Dieu vivant. Mais est-ce que le Fils de Dieu peut connaître l’échec apparent que Jésus annonce ? Les trois disciples vont voir confirmée leur foi chancelante : Jésus, homme transfiguré devant eux, est cependant l’homme qui mourra défiguré par la souffrance sur une croix. C’est, nous dit l’évangile de Luc, le sujet de son entretien avec Moïse et Elie : « Ils parlaient, écrit Luc, de son exode (de son départ) qui devait avoir lieu à Jérusalem. » Jésus est bien un homme, certes, et il connaîtra la mort, comme tout homme, mais il est Dieu et en ce matin sur la montagne, il ne peut plus cacher sa propre identité. Il faut que quelques hommes en soient témoins, avant de repartir vers Jérusalem. Et pour qu’ils en soient bien assurés, la voix du Père le leur confirme, comme au jour du baptême : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir. Ecoutez-le. » Au baptême, il fallait que les disciples accueillent l’enseignement du maître. Sur la montagne, le contexte est tout autre : il faut que les témoins sachent bien que même dans l’horreur de la Passion, Jésus restera le Fils bien-aimé et que le visage défiguré par la souffrance coïncidera avec le visage rayonnant de la gloire divine.
L'avenir de l'espèce humaine
Cet événement nous concerne tous : il nous dit de façon claire notre avenir de croyants. Certes, notre avenir proche est limité par la mort, à plus ou moins brève échéance. Comme Jésus lui-même. Mais, de même que lui, Fils de Dieu, envisageait sa propre mort comme un passage qui débouche sur la vie, de même notre propre mort est un passage : notre horizon n’est pas bouché, il ouvre sur la « résurrection de la chair ». Il y a des jours dans nos existences où nos visages peuvent déjà être transfigurés : l’amour, le succès, une réussite, une simple rencontre peut-être en sont la cause. Mais il y aura certainement aussi des jours où nos visages risquent d’être défigurés par la souffrance, une peine, une rupture, un échec. C’est notre lot commun. C’est même le sort de notre humanité. Alors, souvent on se demande qui va l’emporter, du sens ou du non-sens. Est-ce la mort, la destruction, le mal, qui sont au bout de tout ? La réponse est celle de Jésus : l’être humain a un avenir. Si fragile qu’il soit, il n’est pas destiné à finir dans un trou. Baptisés dans la lumière de Jésus, dont « le visage était resplendissant comme le soleil », l’évangile nous assure que « les justes resplendiront comme le soleil. » Tel est notre destin. Si Dieu s’est fait homme, nous rappelle saint Irénée, c’est « pour que l’homme soit fait Dieu. » Tel est notre avenir. Tel est l’avenir de l’espèce humaine.