Jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche
PREMIER DIMANCHE DE L’AVENT (A)
Évangile de Jésus Christ selon Saint Matthieu 24,37-44
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La fin du monde
Avec ce premier dimanche de l’Avent commence une nouvelle année liturgique. Et immédiatement, l’Eglise nous invite à regarder, non vers le passé, mais vers l’avenir. C’est le sens du mot Avent, qui est étymologiquement cousin du mot avenir. Avenir lointain, certes, puisque dès ce matin, l’Evangile évoque la fin du monde. Est-ce qu’il vous arrive de penser à la fin du monde ? Et d’abord, croyez-vous à la fin du monde ?
Les scientifiques s’accordent tous pour prédire que notre vieille terre aura une fin, et donc que l’humanité elle-même finira un jour d’exister. Même si certains matérialistes pensent, je crois, que la matière est éternelle, ils admettent tous que cet univers dans lequel on vit aura une fin. Les étoiles elles-mêmes meurent. A plus forte raison les « poussière d’étoiles » que nous sommes. Tout, aussi bien dans le règne minéral que végétal ou animal, a un commencement et une fin. Par conséquent, il est normal d’évoquer la fin du monde. Toute la question est de savoir quand et comment cela se produira.
Erreurs de perspective
Il y a eu des époques dans l’histoire de ces deux derniers millénaires, où la question s’est faite pressante, obsédante, et où elle a engendré des peurs incroyables en même temps qu’une vive espérance. Résumons un peu ces mouvements de pensée collective. En premier lieu, il y a eu, au temps de Jésus, toute une littérature « apocalyptique ». Nous en avons un court extrait dans l’Evangile de ce jour. Une fois de plus, je vais rabâcher en vous conseillant de lire dans l’Evangile de Matthieu tout le chapitre 24, pour remettre ce texte dans son contexte. Jésus y annonce, dans ce style particulier que sont les apocalypses, tous les cataclysmes qui précéderont la fin du monde. Ces malheurs sont de tous les temps, de toutes les époques de l’histoire. Et en même temps, il relie, à cette fin du monde inéluctable, le jour de la « venue du Fils de l’homme ». Si bien que les premières générations chrétiennes ont cru que la fin du monde, qui coïnciderait avec le « retour du Seigneur », était imminente. Sentiments de peurs, mais surtout d’attente et d’espérance. Puis les années ont passé, sans que rien n’arrive. Ce fut une première erreur de perspective. Il y en eut d’autres. Jusqu’au XVIIe siècle, notre chrétienté occidentale croyait à la fin prochaine du monde. Christophe Colomb la prédisait pour 1656, et Luther pensait, à la même époque, que l’humanité en avait encore pour cent ans !
Comment se fait-il qu’aujourd’hui l’éventualité de la fin du monde ne nous empêche pas de dormir ? Je crois qu’essentiellement, grâce aux découvertes scientifiques, on s’est rendu compte que le monde, la terre, l’humanité étaient bien plus anciens qu’on ne l’avait cru. C’est alors que naît une autre idéologie – disons : les Lumières. La fin du monde, certes, mais dans un avenir beaucoup plus lointain. Pas de quoi nous effrayer. Essentiellement on en vient à penser que l’humanité est en progrès et va vers une ère de bonheur que produiront les connaissances scientifiques. Le salut de l’humanité surgira, croit-on, du progrès de l’instruction, des connaissances et des techniques. Or, cette idéologie est en train de disparaître. On envisageait l’avenir avec espoir et confiance. Aujourd’hui, l’avenir fait peur. On avait éliminé de nos esprits la peur de la fin du monde. Aujourd’hui, cette peur refait surface. Et elle est tout aussi malsaine que celle qui faisait trembler les hommes du XVe siècle.
Nos peurs actuelles
Il y a les peurs « classiques » de ce début de millénaire : peurs pour l’environnement, de la couche d’ozone au réchauffement du climat ; peur de ce qu’on mange comme de l’air qu’on respire… Je n’insiste pas : tout le monde connaît. A ces peurs « écologiques » viennent s’ajouter aujourd’hui d’autres raisons de craindre pour notre présent et notre avenir. Le philosophe Edgar Morin déclare que « notre monde va vers la catastrophe ». Et il donne des raisons de son pessimisme : « On assiste, dit-il, au retour des barbaries de haine, de torture et de massacres, liées à la barbarie glacée de la technique. A l’amplification des manichéismes dans la lutte du Bien contre la Mal… » Il redoute l’implication des composantes religieuses dans les conflits de la planète, comme l’amplification du désir de vengeance. Si bien que « les principes d’amour et de miséricorde que contiennent aussi bien le christianisme que l’Islam sont submergés par la haine. »
Tenir debout
C’est dans cette conjoncture actuelle, que je vous décris succinctement, que nous avons à nous situer, aujourd’hui, en fidèles disciples du Christ. Il s’agit donc de bien comprendre ce qu’il nous dit. Le contexte était clair : Jésus, sur le mont des Oliviers, face au merveilleux panorama du Temple de Jérusalem, déclare à ses disciples que tout cela sera détruit. Question bien naturelle de ses auditeurs : « Quand ? » Réponse de Jésus : nul ne sait ni le jour ni l’heure. Mais ajoute-t-il, je peux vous décrire le déroulement de l’histoire. Des catastrophes comme la ruine de Jérusalem et la destruction du Temple, des guerres, des famines, des tremblements de terre, il y en aura beaucoup au long de l’histoire humaine. Certains vous diront : c’est la fin du monde. Ne les croyez pas. L’essentiel, c’est que vous puissiez tenir debout au milieu de tous ces bouleversements. Plutôt que de satisfaire une curiosité malsaine et d’entretenir une attente fébrile, Jésus insiste sur le caractère inattendu de ce jour où seront révélées les dispositions du cœur de chacun. Car ce jour sera surprenant, inattendu, comme le fut le déluge, comme la visite d’un voleur. Seul Noé était prêt ; seul le maître de maison veillait. A l’heure où vous n’y penserez pas, seront pris – c’est-à-dire sauvés – ceux qui auront su s’y préparer activement et sereinement, au cœur de leurs tâches quotidiennes, « aux champs ou au moulin ». En conclusion, une invitation répétée de deux manières différentes : « veillez » et « tenez-vous prêts. »
Eveillés et vigilants
Veiller, c’est le contraire de dormir. Or, dans l’existence que nous menons, nous risquons souvent de nous endormir ou de nous laisser endormir. Endormis ceux qui ferment les yeux sur la réalité du monde, ne cherchant qu’à se sécuriser dans ce qu’ils sont ou dans ce qu’ils possèdent. Une fausse conception du salut qui vient pourrait également être un opium, une drogue qui nous endort. Elle consisterait à croire que Jésus Christ nous apporte un salut tout fait. Par exemple : une paix toute faite, comme celle qu’annonce Isaïe. On transforme les épées en charrues et le tour est joué. L’attente du salut, à la réflexion, ne peut être qu’active et dynamique. Elle consiste à voir les conflits, les contradictions et à s’y engager. Non pas pour le plaisir de la bagarre, mais pour y rencontrer l’autre en vérité.
Il s’agit donc de ne jamais s’évader des réalités de l’existence, mais de prendre du recul pour être attentifs, pour n’être pas prisonniers du quotidien. Dans l’attente sereine et joyeuse de ce qui adviendra demain, sans crispation sur le présent, sans nostalgie du passé.
Dans l’évangile de Matthieu, après ce chapitre 24, il faut lire, dans la foulée, tout le chapitre 25. Il est comme une illustration concrète de cette invitation à rester pleinement éveillés. Eveillés comme le serviteur que le maître, à son retour, trouve en plein travail. Comme les cinq jeunes filles prévoyantes, qui ont suffisamment d’huile pour éclairer toute la noce. Comme ces employés qui font fructifier les biens que leur maître leur a confiés. Alors, si nous avons vécu ainsi éveillés, quelle ne sera pas notre agréable surprise, au dernier jour, lorsque le Seigneur se fera reconnaître de chacun de nous, nous accueillant dans le Royaume, parce que toute notre vie, nous aurons appris à rencontrer l’autre, quel qu’il soit, et à le traiter comme un frère. « J’ai eu faim, nous dira-t-il (du moins je l’espère), et vous m’avez donné à manger, etc.
C’est Jean Delumeau qui évoque ce jour de sa rencontre personnelle avec le Seigneur. Il écrit : « Je ne redoute pas tant la mort en elle-même que l’après-mort. Notre dignité, notre responsabilité d’hommes font que nous aurons forcément des comptes à rendre. Or je mesure mes responsabilités. De toute façon, je ne me vois pas arriver au banquet éternel sans avoir pris une douche, enfilé une chemise propre et un complet neuf. »
Tenez-vous prêts !