Je suis la porte des brebis.
QUATRIEME DIMANCHE DE PAQUES (A)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 10, 1-10
Jésus parlait ainsi aux pharisiens : «Amen, Amen, je vous le dis : celui qui entre dans la bergerie sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. Celui qui entre par la porte, c'est lui le pasteur et le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il conduit dehors toutes ses brebis, il marche à leur tête, et elles le suivent, car elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un inconnu, elles s'enfuiront loin de lui, car elles ne reconnaissent pas la voix des inconnus.»
Jésus employa cette parabole en s'adressant aux pharisiens, mais ils ne comprirent pas ce qu'il voulait leur dire. C'est pourquoi Jésus reprit la parole : «Amen, amen, je vous le dis: je suis la porte des brebis. Ceux qui sont intervenus avant moi sont tous des voleurs et des brigands ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu'un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra aller et venir, et il trouvera un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger et détruire. Moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie, pour qu'ils l'aient en abondance.»
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Faire simple
Plus je relis ce passage d’évangile, plus je le trouve compliqué, tant les images se bousculent et même semblent se contredire. On ne peut pas dire, en le lisant, que Jean l’évangéliste ait cherché à faire simple. Je ne sais à qui il s’adressait en premier, mais je me demande si ses interlocuteurs étaient capables d’entrer dans un tel genre de catéchèse et d’y trouver leur nourriture.
Essayons cependant d’y entrer, en remarquant tout d’abord que la logique de l’auteur – et sans doute celle de Jésus – n’a rien à voir avec notre logique d’Occidentaux, avec, dans chaque discours, un premier point, suivi d’un deuxième point, etc. Ici, on a une suite d’images, et chacune de ces images comporte un message. C’est pourquoi, aujourd’hui, je vous prie de ne pas chercher de suite logique dans mes propos : ils n’ont pas beaucoup de rapport les uns et les autres. Je ne formulerai donc que quelques remarques.
Un contexte polémique
Et d’abord, remettons le texte dans son contexte. Nous sommes en pleine période de controverses entre Jésus et les autorités religieuses de son pays. Cela a commencé (chapitre 9) avec la guérison de l’aveugle de naissance : Jésus a reproché aux pharisiens leur aveuglement. Alors, utilisant l’image du berger, il va opposer le vrai berger – lui-même – aux autres guides du peuple, guides spirituels ou politiques, qui sont tous, dit-il, des voleurs et des brigands. C’est, au chapitre 10, le passage que nous venons de lire. S’ensuit une controverse au cours de laquelle Jésus risque de se faire lapider : il s’enfuit. Voilà donc le contexte éminemment polémique dans lequel Jésus emploie l’image du berger, puis, comme ses interlocuteurs ne comprennent pas, il utilise celle de la porte. A partir du verset 11, il reviendra à l’image du berger.
Des critères de discernement
Au fond, ce texte commente un autre passage de l’évangile de Jean (14, 6) où Jésus déclarera : « Je suis la voie, la vérité et la vie. » La voie, comme en un passage obligé, c’est la porte : on la franchit pour quitter l’enclos et cheminer sur la route. La vérité : car Jésus prend la peine d’opposer le vrai berger à tous les faux guides. Enfin, tout se conclut sur une autre opposition entre la mort et la vie : les faux bergers égorgent et détruisent, lui, le vrai berger, est venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. Au début, Jésus ne dit pas qu’il est le vrai berger. Il donne simplement les critères de discernement entre voleurs et vrai berger. Les auditeurs sont amenés à se demander « qui escalade la clôture, qui mène le troupeau, qui, venant dans l’enclos, vient chez lui ? » La réponse, on la trouve dans Jérémie (23, 1-6) : le Seigneur punira les bergers qui ont laissé le troupeau à l’abandon. Il va s’occuper d’eux ! La réponse, on peut aussi la trouver dans Ezéchiel (34, 1-6) : « Malheur aux bergers qui se paissent eux-mêmes... Je viens chercher moi-même mon troupeau pour en prendre soin. » Jésus s’identifie à Dieu : on comprend qu’il suscite la fureur de ses interlocuteurs.
Ouvrez les portes
Je voudrais souligner également l’opposition que fait Jean entre le bercail fermé et le troupeau qui marche à la suite du berger. L’enclos dont il est question ici était le lieu où l’on faisait rentrer les moutons le soir pour les protéger de tous les dangers venant des prédateurs. Je me demande s’il n’est pas l’image du peuple d’Israël , porté, tout au long de sa longue histoire, à se replier sur lui-même. Jésus vient, se fait ouvrir la porte par le portier : c’est pour appeler les brebis à sortir. Elles sont invitées à quitter cet enfermement pour le suivre sur les routes de son ministère. Pas comme un troupeau « moutonnier », mais comme des personnes uniques, qui sont connues, chacune d’elle personnellement, et qui, personnellement, écoutent la voix du berger et le suivent dans sa mission universelle. Poursuivons l’image. Au cours de cette longue marche avec Jésus, il est inévitable que l’un ou l’autre s’égare. Pour actualiser mon propos, supposons que l’un s’égare dans des recherches théologiques aventureuses, l’autre dans des initiatives pastorales hors des sentiers battus. Que fait le Bon Pasteur dont parle Jésus ? Il ne le condamne pas, ne l’excommunie pas, ne l’enferme pas dans le bercail. Il le ramène affectueusement sur ses épaules vers le troupeau toujours en marche.
Autre image employée par Jean : il nous dit que certaines des brebis qui sont dans l’enclos (pas toutes, semble-t-il ?), celles qui lui appartiennent, écoutent la voix du berger et il les emmène dehors. Cette voix qui nous appelle, comment pouvons-nous la reconnaître ? C’est que cette voix – cette Parole – est la Parole créatrice. Elle est en nous plus qu’ancienne. Elle est la Parole du commencement, celle qui nous a donné l’existence et la vie, celle qui nous maintient dans l’être. Elle est au plus intime de nous-mêmes, plus intime que notre intimité, écrit saint Augustin. C’est cette voix qui nous fait « sortir », aller et venir, marcher vers la Vie. Elle nous invite à le suivre : il s’agit donc d’être décidés à passer par où le Christ lui-même est passé. Il nous a ouvert les portes pour nous faire sortir. Les portes de la mort. C’est la pâque du Christ. C’est de notre pâque qu’il s’agit. Le Christ ouvre une issue à notre monde enfermé dans l’enclos de la mort. Bien plus, il est lui-même la porte de la vie.
La subversion évangélique
Je voudrais faire une dernière remarque : il ne faudrait pas prendre tous les détails de cette allégorie au pied de la lettre. Jésus décrit un berger. Or un berger vit de ses brebis, il exploite son troupeau. Les moutons lui fournissent du lait, de la laine, de la viande. Il vit de la chair et du sang de son troupeau. Par contre, dans l’allégorie évangélique, le troupeau vit de la chair et du sang du berger. Nous avons ici, une fois de plus, un basculement des catégories, un renversement de la signification de toutes les valeurs. L’Evangile opère plusieurs fois cette subversion. Rappelez-vous : le Maître et Seigneur qui devient esclave, et c’est en se faisant esclave de nos frères qu’on devient seigneur, mais seigneur au-delà de toute seigneurie. C’est pourquoi il n’y a qu’un seul bon berger. Jésus est berger d’une manière unique, inouïe. Et alors, les autres « ceux qui sont venus avant lui », que penser de la condamnation que Jésus porte. Je crois qu’il faut élargir la perspective à tous ceux qui, dans tous les lieux et dans tous les temps, aujourd’hui encore, hélas, essaient de mettre la main sur le troupeau, de réduire les hommes au statut d’objets : force de travail, agent de production, etc. Le vrai pasteur connaît et respecte personnellement chacune de ses brebis. Voilà une Bonne Nouvelle ! Mais nous savons-nous reconnus et aimés ? Pour cela, relire le psaume 22.