"Vous, vous le connaissez,"

    SIXIÈME DIMANCHE DE PAQUES (A)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 14, 15-21

 A l'heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples : «Si vous m'aimez, vous resterez fidèles à mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : c'est l'Esprit de vérité. Le monde est incapable de le recevoir, parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas ; mais vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure auprès de vous, et qu'il est en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. D'ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez vous aussi. En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. Celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle, c'est celui-là qui m'aime ; et celui qui m'aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l'aimerai, et je me manifesterai à lui.»

oOo

Atmosphère !

            A première vue, il n’y a pas de relation entre les trois textes bibliques que la liturgie de ce dimanche nous donne à entendre. Je me suis donc demandé ce qui pouvait faire le lien, l’unité entre le passage des Actes des Apôtres, l’extrait d’une lettre de Pierre et les dernières recommandations de Jésus à ses amis après le dernier repas. J’ai retenu de ces trois lectures autre chose que des mots, des idées ou des faits : plutôt une atmosphère. Rien d’étonnant à cela, puisque c’est dans la seconde moitié du Ier siècle de notre ère que ces textes ont été écrits. Quelle atmosphère ? Celle d’un vaste procès que « le monde » a intenté au Christ et à ses premiers disciples. Suite du procès intenté à Dieu dès les premiers jours du monde. Procès qui se continue aujourd’hui.

Un vaste procès

            En effet, la haine et la violence qui s’étaient déjà déchaînées contre le Christ ne se sont pas arrêtées à sa mort. Elles ont repris de plus belle, d’abord contre certains des apôtres, notamment Pierre et Jean, puis contre toute la communauté primitive à la suite de la lapidation d’Etienne. Etienne, l’un des « sept » hommes choisis afin de seconder les apôtres dans leur gestion, est un intellectuel. Disputant avec les autorités religieuses de Jérusalem, c’est lui qui a le dernier mot. Aussi on le met à mort après un procès bâclé. La persécution se déchaîne, les chrétiens se dispersent à travers les villes et les villages de Palestine. C’est ainsi que Philippe, l’un des compagnons d’Etienne, arrive en Samarie où il annonce le Christ et fait des conversions. Voilà le résultat de la première persécution : une expansion du christianisme.

            L’apôtre Pierre, qui, à l’époque, avait recommandé aux chrétiens de Jérusalem de fuir la persécution, écrira, quelques années plus tard, à des communautés « dispersées » dans toute l‘Asie Mineure. Le passage de cette première lettre est significatif, mais si vous en avez le loisir, lisez donc toute cette lettre : vous verrez qu’elle se situe, sinon dans une période de persécution générale, du moins dans un contexte où ne sont épargnés aux chrétiens ni vexations, ni critiques, ni railleries, mauvais procédés, délation, ostracisme. Dans ce procès d’intention qu’on fait aux chrétiens, Pierre recommande d’être « toujours prêts à s’expliquer devant ceux qui vous demandent de rendre compte de l’espérance qui est en eux », même quand ceux-ci « calomnient la vie droite que vous menez. »

Notre avocat

            Le Christ avait prévenu ses amis : la haine que « le monde » vouait au maître se reporterait ensuite contre ses disciples. C’est pourquoi, lors du dernier repas, leur adressant ses dernières recommandations, il le fait en évoquant ce « procès » pour lequel ils n’ont pas à avoir peur : le Père leur donnera un avocat, un autre Défenseur, l’Esprit de vérité. Et à la profonde ignorance du « monde », il oppose la clair-voyance des disciples : ils verront le Christ vivant. Et pour affermir leur confiance et leur assurance dans ce contexte, il leur promet d’établir entre eux et lui le même lien qui l’unit au Père : « Vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous. » Nous ne faisons plus qu’un. Cette intimité est le fondement de notre assurance. « Interior intimo meo » (plus profond en moi que le plus intime de moi-même), dit saint Augustin.

            Un procès, des accusateurs et des accusés, le Christ et nous, et un Défenseur. Le mot grec Paraclet a plusieurs significations. Il signifie d’abord l’avocat, le défenseur, mais il est aussi le Consolateur. Dans cette atmosphère de procès, les accusateurs : qui sont-ils, tous ceux que l’évangile de Jean désigne sous le titre « le monde » ? Ce sont, je pense, les hommes habités par l’esprit du mal dans le refus de Dieu. Au chapitre 12 de l’Apocalypse, c’est l’antique serpent, « celui qu’on nomme diable et Satan, le séducteur du monde entier » qui est l’accusateur. Dès le début de l’histoire, il se fait accusateur de Dieu, en faisant croire que Dieu est violence pour l’homme, qu’il ne veut que son obéissance et son abaissement servile : premier procès. Il y aura ensuite le procès de Jésus, Satan, nous dit l’évangile de Jean, « ayant jeté au cœur de Judas la pensée de le livrer ». Et que de fois, dans le même évangile, Jésus souligne comment des hommes sont manipulés par Satan ! Ensuite, le procès continue avec le procès des disciples. Le nôtre.

Aujourd'hui encore

            Dans ce procès, le Paraclet, notre avocat, est l’Esprit de vérité. C’est lui qui s’oppose à l’esprit de mensonge personnifié sous l’appellation de Satan. Notre avocat réfutera le mensonge initial sur Dieu. Non, Dieu n’est pas celui que l’antique serpent présentait comme celui qui brime notre liberté, notre soif de vivre, notre aspiration au bonheur sans limite. Il est la Vie et il veut que nous puissions vivre en plénitude, une vie pleinement humaine, pleinement adulte. Il réfute également le mensonge sur l’homme, dans ce monde de rivalités, d’idéologies meurtrières, de persécutions des faibles et de mises à mort de tant de boucs émissaires. L’Esprit de vérité dit au plus intime de nous-mêmes la vérité de l’homme et la vérité de Dieu. Certes, tout n’est pas encore fait. Nous n’en sommes pas encore à la connaissance totale. Mais l’Esprit de vérité nous fait entrer peu à peu dans la vérité tout entière. La foi est cette ouverture au nouveau qui vient, sans aucune appréhension. Et elle nous pousse à être vrais, dans notre regard sur Dieu et dans notre regard sur les hommes, nos frères.

            Aujourd’hui encore, le procès continue. Évidemment, si nous ne pensons qu’à nous « couler dans le moule », sans nous faire remarquer, en adoptant les modes et la pensée communes, on ne fera pas attention à nous : nous ne serons pas dérangeants. Par contre, si notre foi nous pousse à être vrais, en paroles et dans nos actes, nous ne pourrons pas faire autrement que d’être perçus comme des gens différents. Et on n’aime pas les gens différents. « Ne vous étonnez pas si le monde vous hait », nous rappelle Jésus. Il est là, près de nous, en nous, le Défenseur. On pourra nous moquer, nous mépriser ou même nous calomnier : le « Consolateur » nous donnera toujours l’assurance nécessaire pour avancer, avec assurance, vers ce nouveau qui vient dans notre humanité.

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