LA SAINTE TRINITÉ (A)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 3, 16-18
Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au jugement, mais celui qui ne veut pas croire est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
oOo
Imaginons !
J’ai reçu cette semaine un e-mail : « Bonjour, pourriez-vous me donner quelques images sur Dieu. Merci », me demandait une sympathique correspondante inconnue de moi. La demande m’a laissé perplexe. Quelques images sur Dieu ? S’agit-il d’images pieuses comme on en trouve encore parfois, de plus en plus rarement, Dieu merci ? Ou s’agit-il d’images qu’on a dans la tête quand on « imagine » - justement ! – Dieu. Par exemple quand on dit que Dieu est Père ? J’ai donc répondu : « Je ne comprends pas bien votre demande. Des images sur Dieu, je n'en connais pas. La Bible dit que "de Dieu on ne doit pas faire d'images". Par contre, des images de Jésus, il y en a beaucoup. Car il est lui-même "image visible du Dieu invisible". Réponse immédiate d’Eliza : « C’est mon maître de religion qui me la demande. J’ai 10 ans Je pourrais en avoir plus? Merci. » Il doit s’agir d’un bon catéchisme.
Depuis qu’il y a des hommes, tous se sont demandé, un jour ou l'autre « Qui est Dieu ? ». Et tous se sont fait des images de Dieu. Pas seulement ces images interdites par la Bible, ces idoles de bois, de métal ou de pierre, pour lesquelles on a construit les temples les plus beaux, mais des images dans leur tête, en fonction de leur civilisation, de leur culture, de l’époque où ils vivaient. Et l’imagination humaine a toujours été féconde en ce domaine. La plupart du temps, les hommes ont donc attribué à la divinité des qualités ou des défauts qui étaient ceux des hommes de leur temps, en attribuant à ces qualités – ou à ces défauts - un très fort coefficient d’absolu. Rappelez-vous la boutade de Voltaire : « Dieu a fait l’homme à son image ; mais l’homme le lui a bien rendu. »
Des mots
Ne soyons pas trop idéalistes ! Même si « de Dieu on ne peut rien dire » - c’est le sens étymologique du mot « ineffable » - on sait bien que nos esprits humains sont ainsi faits qu’ils chercheront toujours à se l’imaginer. La religion juive avait même interdit de prononcer le nom de Yahvé, pour ne pas en corrompre la représentation, ce qui n’empêche pas la Bible d’employer quantité d’adjectifs pour le désigner. Il est l’Éternel, le Très-Haut, le Rocher, le Tout-Puissant, etc. Toutes ces images disent un peu qui est Dieu. De même, quand les textes bibliques décrivent l’action divine, ils le font en termes très imagés. Pour ne prendre qu’un exemple, au livre de la Genèse, on nous présente Dieu jouant dans le sable, ou plutôt l’argile, au matin de la création, et formant de ses mains le corps d’un être humain. Et cette statue lui plut tellement qu’il souffla dans ses narines son propre souffle de vie pour en faire un être vivant.
Yahvé lui-même, quand il se présente à Moïse, sur la montagne du Sinaï, se dit avec des mots humains, qui désignent des réalités très humaines. Vous avez entendu : « Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité. » Pour qui sait l’hébreu – ce n’est pas mon cas, hélas – tous ces mots décrivent concrètement des sentiments et des attitudes propres à l’expérience humaine. Un simple exemple : le mot « tendre », en hébreu, évoque le sein maternel. Dieu est tendre comme une maman qui allaite son bébé.
L'image du Père
Mais ce ne sont là que des images. Et il y a toujours loin de la photo d’une personne à la réalité de cette personne, vous le savez bien. C’est pourquoi Dieu a voulu se révéler – se dévoiler – et dire un peu plus qui il est. C’est pourquoi il a pris visage humain en la personne de Jésus. Il a fallu qu’il devienne visible. Image parfaite de Dieu, Jésus est tellement homme (comme Dieu a rêvé l’Homme) qu’il en est Dieu. Car, ne l’oublions pas, « Dieu a fait l’homme à son image », même si le péché défigure souvent cette image. En Jésus, par contre, l’image n’a plus aucun défaut. Parfaitement Dieu et parfaitement homme, il a vécu à la manière humaine tout ce que Dieu est. Il nous a révélé par toute son existence la richesse de la relation, la capacité d’aimer que Dieu est. A Philippe qui lui demande « Montre-nous le Père et cela suffit », Jésus répond : « Qui me voit, voit le Père. »
Jésus ne se contente pas de nous révéler dans ses actes et par toutes ses attitudes qui est ce Dieu qu’il appelle « papa » (abba). Il explique longuement à ses amis quelle est sa relation avec Dieu. Dieu, son Père, et lui, le Fils, ne font qu’un. Ils sont unis par un mystère d’amour que Jésus appelle l’Esprit. Par des images, il nous décrit un peu la richesse de la vie affective de Dieu. Mais il nous laisse entrevoir, en même temps, que Dieu est infiniment plus grand, plus riche et plus beau que tout ce qu’on peut en dire.
Dieu est relation
Il n’y a qu’un mot qui puisse approcher d’un peu près la réalité du mystère de Dieu. Jean l’évangéliste l’utilise en une formule très brève : « Dieu est amour. » Je crois qu’il aurait fallu en rester là : tous ceux qui font une quelconque expérience de l’amour humain – si cet amour est vrai – sont sur le chemin de la vraie connaissance de Dieu. « Celui qui aime connaît Dieu », écrit le même saint Jean. Seulement voilà ! on a voulu en dire davantage, du mystère de Dieu. On s’est mis à parler de Trinité. Et on l’a fait à partir de divers systèmes philosophiques qui avaient cours à certaines époques de l’histoire de l’Église. Les théologiens ont utilisé les notions de personne, de nature, de relation, et ont inventé un langage de plus en plus compliqué pour creuser le mystère de Dieu. On a parlé de « circumincession », on s’est mis à batailler autour des mots, comme les théologiens savent le faire, et on a inventé quantité d’hérésies. Et on a procédé à des excommunications. N’oublions pas que nous sommes divisés depuis un millénaire, nous catholiques, d’avec les orthodoxes à cause d’un simple mot latin : « filioque », parce que nous professons que le Saint-Esprit « procède » du Père et du Fils, alors que pour les orthodoxes, le Saint-Esprit procède du Père par le Fils. A la fin du compte, toutes ces querelles de mots ne disent rien de plus que ce que Jean avait dit en trois mots : « Dieu est amour. »
Je vais tout de même apporter un bémol à ce que je viens de déclarer. Il y a, dans la Somme de saint Thomas d’Aquin, une expression qui me plaît et qui, je crois, peut nous permettre d’entrer un peu plus dans le mystère divin. L’expression, la voici : « Dieu est relations subsistantes ». L’appellation peut vous paraître abstraite et compliquée. En fait, elle est géniale : elle dit que ce qui fait que Dieu est Dieu, c’est la relation. Dieu n’est que relation. Le Père n’existe que par sa paternité ; la relation se confond avec l’existence. C’est par elle qu’il « subsiste ». Il en est de même du Fils et de l’Esprit. Rien, dans le Père, le Fils et l’Esprit qui ne soit relation. Dieu est l’Unique, certes, mais pas au sens où l’entendent les fidèles de certaines religions : le voir comme un « solitaire », c’est une régression. Dieu n’est pas « solitude », mais « société ».
Remarquez que, pour nous aussi, il en va de même. Et c’est peut-être en cela que nous sommes créés à l’image du Dieu Trinité : nous n’existons que par et dans la relation. Ce que nous dit l’Écriture de Dieu nous révèle ce que nous sommes, et encore plus ce que nous sommes appelés à devenir. Saint Paul nous le dit aujourd’hui comme il le disait aux Corinthiens : c’est parce que Dieu est relation d’amour et de paix que nous sommes invités à vivre entre nous dans l’amitié et la paix.