Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits.
QUATORZIÈME DIMANCHE ORDINAIRE (A)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 11, 25-30
En ce temps-là, Jésus prit la parole : "Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l'as voulu ainsi dans ta bonté. Tout m'a été confié par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler. Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger."
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Les tout-petits ?
Pour commencer, il faut apporter une précision : les « tout-petits » dont parle Jésus ne sont pas les enfants, mais les « petits » de ce monde, par opposition aux « grands » de ce monde. Précision importante, nous allons le voir, car le message de Jésus, la bonne nouvelle de ce jour s’adresse à tous les hommes, et particulièrement à ceux qui « peinent sous le poids du fardeau ». C’est à eux que Jésus offre – par deux fois dans ce petit passage d’évangile – le repos. Nous allons donc regarder de plus près cette promesse du Seigneur.
Depuis des mois, Jésus parcourt les villes et les villages de son pays. Au début, tout le monde courait après lui, mais sa renommée, ses miracles, ses propos ont commencé à lui attirer méfiance et hostilité, surtout de la part des autorités religieuses : ce n’est plus la belle unanimité du début. Cependant, demeure un important noyau de fidèles, ces disciples dont parle l’évangile. Pas seulement les apôtres, mais quantité de braves gens, des simples, des pauvres, qui sont attirés par le message de Jésus, une promesse de bonheur, eux qui connaissent les difficultés de l’existence. Car leur vie n’est pas facile, et le « poids du fardeau » dont parle le Maître, ils le connaissent : il est d’ordre politique, économique, religieux. On sait qu’à l’époque de Jésus, sous l’occupation romaine, les pauvres gens connaissaient la rigueur de l’occupation, avec son cortège d’attentats et de répression, une fiscalité très lourde, une situation économique lamentable – on parle même de famine – bref, une existence précaire. De plus, la religion, telle qu’elle est proposée par les autorités religieuses d’Israël, est faite de très lourdes contraintes. On parle de plusieurs centaines de prescriptions, positives ou négatives, que tout bon juif se doit de respecter. Elles ont été ajoutées au fil des siècles à la Loi du Sinaï par les « sages et les savants », ces théologiens chargés d’interpréter le texte sacré et de préciser les obligations de la Loi.
Libération
Jésus ne peut rien faire – et ne veut rien faire – en ce qui concerne la situation politique et la situation économique. Il n’est pas venu pour cela. Par contre, il conteste régulièrement, par ses gestes et dans ses propos, tout ce que la religion impose comme fardeaux. Rappelez-vous certaines de ses paroles : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat. » Et encore cette critique des autorités : « Ils imposent sur le dos des gens des fardeaux qu’eux-mêmes ne soulèvent pas. » Par contre, tous ses gestes sont significatifs d’une volonté de libération de l’homme : des guérisons en particulier. Et ces gestes, comme ces propos, sont comme un programme : la Loi du monde nouveau, telle qu’elle est résumée dans les Béatitudes, invite les disciples à se comporter en hommes libérés. Le message évangélique n’est pas un message d’ordre « moralisant », du domaine du permis et du défendu, mais plus simplement la révélation d’un Dieu qui est le Père de Jésus et notre Père : « Personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler. » Et c’est cette révélation d’un Dieu paternel qui est le fondement d’un unique commandement, en lequel se résume toute morale : « Tu aimeras. » Aimer Dieu, et aimer son prochain comme Jésus nous a aimés. Saint Augustin résume tout en disant : « Ama, et fac quod vis » - Aime, et fais ce que tu veux. En d’autres termes, il s’agit de ne pas mettre la charrue avant les bœufs, de ne pas faire de la religion une morale qui se réduirait au permis et au défendu. La « morale » chrétienne – disons : l’explicitation des comportements du chrétien, et donc du permis et du défendu, ne vient qu’en conclusion – en conséquence – d’une connaissance personnelle du Dieu de Jésus Christ, et donc de l’Amour en lequel nous sommes fondés. Et pour accéder à cette connaissance, point n’est besoin d’avoir son bac’.
Un joug facile à porter
Il y a quelques années, j’ai reçu la visite d’un archevêque brésilien « émérite » (c’est-à-dire : en retraite). Un homme extraordinaire, descendant d’esclaves, débordant d’activité à plus de 85 ans. Comme je lui demandais ce qu’il pensait de la théologie de la libération qui, après avoir connu ses années d’expansion dans toute l’Amérique du Sud, était passablement contestée par Rome, il m’a répondu : « Connaissez-vous une autre théologie que la théologie de la libération ? » Cette boutade m’a beaucoup impressionné. Et je voudrais bien que, dans notre Église, on ait ainsi le souci d’annoncer sans cesse un message libérateur de tout homme – et de tout l’homme. Qu’on n’en soit pas sans cesse à délivrer un message qui risque d’enfermer les hommes sous la loi la plus stricte. Je me demande si la critique que Jésus adressait aux « sages et aux savants » de son temps : « Ils lient de pesants fardeaux et les mettent sur les épaules des hommes, alors qu’eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt » ne s’applique pas trop souvent hélas, aux autorités religieuses d’aujourd’hui. Disant cela, je pense, par exemple, à des interdits de morale conjugale qui ont été pour beaucoup dans la désaffection d’un grand nombre de chrétiens.
Je crois à la nécessité d’une morale, bien sûr, mais d’une morale qui permette à l’homme de s’épanouir et de « trouver le repos ». Jésus n’a pas dit : « Vous pouvez faire n’importe quoi. » Il a même parlé de « prendre son joug ». Et même si ce joug est facile à porter et ce fardeau, léger, il n’en demeure pas moins que c’est une règle de vie. Mais encore une fois, cette règle de vie est basée sur une connaissance interpersonnelle, une connaissance amoureuse. Aimer vraiment quelqu’un nous impose des règles, à commencer par un devoir de fidélité. Aimer Dieu et son prochain nous impose une loi qui contribue à notre liberté et à notre épanouissement personnel.
Je voudrais que chacun de nous parvienne à vivre cette joie intérieure qui poussait Jésus à « proclamer la louange » du Père, Seigneur du ciel et de la terre. Chacun de nous, en effet, par Jésus, peut entrer dans son intimité. Alors, loin de tout souci superflu, nous trouverons en Dieu le lieu du repos, dès aujourd’hui. Pas seulement en ce temps de vacances qui commence, mais pour tous les jours de notre existence.
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