Ils ont donné du fruit, cent, soixante, ou trente pour un.

        QUINZIÈME DIMANCHE ORDINAIRE (A)


Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 13, 1-21

Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison, et il était assis au bord du lac. Une foule immense se rassembla auprès de lui, si bien qu'il monta sur une barque où il s'assit ; toute la foule se tenait sur le rivage. Il leur dit beaucoup de choses en paraboles : «Voici que le semeur est sorti pour semer. Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger. D'autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n'avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt parce que la terre était peu profonde. Le soleil montant, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché. D'autres grains sont tombés dans les ronces ; les ronces ont monté et les ont étouffés. D'autres sont tombés sur la bonne terre et ils ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. Celui qui a des oreilles, qu'il entende !»

Les disciples s'approchèrent de Jésus et lui dirent : «Pourquoi leur parles-tu en paraboles ?» Il leur répondit : «A vous, il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux, mais à eux ce n'est pas donné. Celui qui a, on lui donnera et il sera dans l'abondance ; mais celui qui n'a rien, on lui enlèvera même ce qu'il a. Si je leur parle en paraboles, c'est parce qu'ils regardent sans regarder, qu'ils écoutent sans écouter et sans comprendre. Ainsi s'accomplit pour eux la prophétie d'Isaïe : 'Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas. Le cœur de ce peuple s'est alourdi ; ils sont devenus durs d'oreille, ils se sont bouchés les yeux, pour que leurs yeux ne voient pas, que leurs oreilles n'entendent pas, que leur cœur ne comprenne pas, et qu'ils ne se convertissent pas. Sinon, je les aurais guéris !' Mais vous, heureux vos yeux parce qu'ils voient et vos oreilles parce qu'elles entendent ! Oui, je vous le dis: beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu.

Vous donc, écoutez ce que veut dire la parabole du semeur. Quand l'homme entend la Parole du Royaume sans la comprendre, le Mauvais survient et s'empare de ce qui est semé dans son cœur : l'homme c'est le terrain ensemencé au bord du chemin.

Celui qui est ensemencé sur un sol pierreux représente l'homme qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie ; mais il n'a pas de racines en lui, il est l'homme d'un moment : quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il tombe aussitôt.

Celui qui est ensemencé dans les ronces représente l'homme qui entend la Parole ; mais les soucis du monde et les séductions de la richesse étouffent la Parole et il ne donne pas de fruit.

Celui qui est ensemencé dans la bonne terre représente l'homme qui entend la Parole et la comprend ; il porte du fruit à raison de cent ou soixante ou trente pour un».

oOo

Le contexte

Une fois de plus, il nous faut regarder le contexte si nous voulons entrer dans l’intelligence de la parabole du semeur et de la semence. Et non seulement le contexte dans lequel le Christ l’a prononcé, mais également le contexte dans lequel l’évangéliste Mathieu l’a rapporté – avec une explication – à la première communauté chrétienne pour laquelle il a rédigé son évangile.

Le contexte primitif d’abord : nous sommes au temps de la prédication de Jésus en Galilée. Les foules se pressent encore pour l’entendre, mais déjà les contestations se font jour : de la part des « sages et des savants » dont nous parlions l’autre dimanche, et même au sein de sa propre famille. Le passage qui précède notre récit rapporte que « la mère et les frères de Jésus se tenaient dehors, cherchant à lui parler. » L’évangile de Marc est plus explicite, qui nous dit que sa famille le prenait pour un fou et cherchait à le faire enfermer. Donc, un contexte polémique.

Ce n’est pas plus brillant quand Matthieu écrit aux jeunes communautés chrétiennes issues du judaïsme. Ce sont des communautés menacées, en butte à la persécution. Des gens qui risquent de se décourager : l’évangélisation ne va pas vite. Ils sont un tout petit nombre ; et parmi ceux qui ont adhéré au message évangélique, on trouve de tout. Des interprétations aberrantes se font jour, la gnose prétend traduire la Parole en termes hermétiques et la réduire à un enseignement réservé aux initiés. Les premières hérésies fleurissent, et des communautés se divisent. Alors, que devient, dans ce contexte, l’efficacité de la Parole, cette parole qui, selon les dires du prophète Isaïe, est comme la pluie et la neige qui fécondent la terre, qu’on le veuille ou non ?

C'était prévu

L’évangéliste, citant la parabole du semeur, déclare à ses lecteurs que tout cela était prévu : il est inévitable que les croyants soient peu nombreux .Il y aura toujours des gens qui regardent sans voir et qui écoutent sans comprendre. La remarque que Matthieu faisait il y a vingt siècles, nous pouvons la faire nôtre aujourd’hui encore. Regardons autour de nous. Ne sommes-nous pas dans la même situation ? L’annonce de l’évangile rencontre aujourd’hui encore les mêmes résistances. Eh bien, à nous comme aux premiers auditeurs, il répète que c’est prévu, qui ne faut pas nous en désoler : le Seigneur l’avait annoncé .Il suffit qu’il y ait dans le monde un peu de bonne terre pour faire fructifier la semence. C’est ce « petit reste » qui est le sel de la terre, qui lui donne du goût. De toute façon la Parole ne revient pas à Dieu sans avoir produit son effet. Le peu d’impact de l’Évangile sur nos civilisations ne peut stériliser la semence. La Parole est bel et bien enfouie dans la terre. Jésus dira qu’il faut qu’elle y meure pour faire germer la vie.

Ceux qui cultivent la terre, agriculteurs ou jardiniers, savent bien ce qu’il faut de patience, de confiance, une fois qu’on a travaillé le sol, qu’on y a déposé les semences et qu’on a arrosé : on n’a plus qu’à attendre. Dans un premier temps, impossible de savoir de façon certaine si la semence croîtra ou non. Et ensuite on ne peut pas savoir dans quelle mesure elle croîtra. Il faut avoir cela en tête pour comprendre la parabole du semeur et comment Jésus compare la Parole de Dieu à une semence.

La parabole et son explication

Fait assez rare : Matthieu, après avoir rapporté la parabole, en donne l’explication. En général, les rabbins racontaient leur histoire, plus ou moins énigmatique, pour que leurs auditeurs se posent la question : « Qu’est-ce qu’il veut dire ? » A eux, donc, de chercher, pour tirer leurs propres conclusions. Ici, l’auteur met dans la bouche de Jésus, non seulement la parabole, mais son explication. Ce qui fait penser que la seconde partie – l’explication -  n’est pas de Jésus lui-même, mais représente l’interprétation de l’Église primitive. Nous nous en tiendrons donc principalement à la première partie : c’est une réflexion de Jésus sur son ministère. Restons-en donc à la Parole (à la semence), sans regarder le terrain dans laquelle elle es semée.

Bizarre, tout d’abord, ce travail du semeur qui ne fait pas beaucoup attention à ce qu’il fait ! Il sème à tout vent, si bien que la graine tombe un peu partout. Pas étonnant qu’une bonne partie ne donne rien ! Remarquez bien que c’est souvent ainsi dans les paraboles : il ne faut pas s’arrêter aux détails, souvent invraisemblables. Il faut en venir à ce que les spécialistes appellent « la pointe » de la parabole : ici, justement, une semence qui veut s’insérer dans tous les sols, quels qu’ils soient. Autrement dit, si, comme le dit Jésus, « la semence c’est la Parole de Dieu », j’apprends premièrement que Dieu parle et qu’il s’adresse « de multiples manières » - dit la Lettre aux Hébreux – à tous les hommes, de toutes conditions et de toutes situations. Dieu sème largement. Et même s’il sait le sort différent que les hommes réservent à l’accueil de sa parole, il le fait avec une pleine générosité. Il nous fait confiance.

Une relation d'amour

Dieu parle. Dieu n’est pas un Dieu muet, comme beaucoup se l’imaginent. Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’il veut entrer en relation avec chacun de nous, personnellement. La parole, c’est l’un des moyens les plus sûrs pour communiquer. Mais pourquoi veut-il communiquer ? Essentiellement, je crois, pour nous dire son amour. J’explique cela aux enfants en leur disant que, lorsqu’on n’aime pas un copain ou une copine, instinctivement on lui déclare : " je ne te cause plus ! " Se parler, communiquer, c’est le moyen premier pour entrer en relations avec quelqu’un. Donc, Dieu nous parle. Pour nous dire son amour. De multiples manières. Mais la plus belle de ces manières, c’est sa Parole qui s’est faite chair. Jésus, Parole vivante du Père. « Écoutez-le », nous demande-t-il au jour du baptême comme au jour de la transfiguration de son Fils.

Pas étonnant, alors, que les premiers auditeurs – et nous aujourd’hui – se soient demandés comment être une bonne terre capable d’accueillir la semence et de la faire fructifier. Pour cela, il nous faut d’abord éviter un contresens et penser qu’il y a des gens qui sont comme le sol plein de buissons d’épines, ou comme une route imperméable, ou comme une terre qui n’a pas de profondeur. En d’autres termes, qu’il y a des bons et des mauvais. C’est chacun de nous qui ressemble à ce sol plus ou moins accueillant à la semence, selon les temps et les circonstances. Et c’est chacun de nous qui, travaillé par le céleste jardinier, peut devenir une bonne terre. Mais ne nous étonnons pas de l’apparente lenteur et du trop petit résultat. Aussi bien en nous que dans notre humanité contemporaine. Le Christ, affronté à la malveillance et à la surdité plus ou moins volontaires de ses premiers auditeurs, nous délivrait un message de confiance : en quelque circonstance que ce soit, la Parole semée germera et donnera son fruit.

Dire « tout va mal » n’est pas évangélique. Dire « tout va bien » non plus. Il faut savoir qu’il y aura toujours des durs, des inattentifs, des inconstants, et des hommes de bonne volonté. Soyons de ceux « qui accueillent la Parole de Dieu et qui la gardent » pour qu’elle donne du fruit, cent, soixante ou ne serait-ce que trente pour un.  .

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