Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba.
DIX-NEUVIÈME DIMANCHE ORDINAIRE (A)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 14, 23-33
Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l'autre rive, pendant qu'il renverrait les foules. Quand il les eût renvoyées, il se rendit sur la montagne, à l'écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire.
Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils disaient : «C'est un fantôme», et la peur leur fit pousser des cris. Mais aussitôt Jésus leur parla : «Confiance ! C'est moi ; n'ayez pas peur !» Pierre prit alors la parole : «Seigneur, si c'est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l'eau.» Jésus lui dit : «Viens !» Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant qu'il y avait du vent, il eut peur ; et comme il commençait à enfoncer, il cria : «Seigneur, sauve-moi !» Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit, et lui dit : «Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?» Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors, ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : «Vraiment, tu es le Fils de Dieu !»
oOo
Extraordinaire !
Jésus qui marche sur les eaux, voilà une expérience particulièrement extraordinaire qu’ont faite les disciples du Maître. A tel point extraordinaire que Matthieu, Marc et Jean la rapportent, en des termes assez voisins, mais avec quelques détails différents de l’un à l’autre de ces trois récits. En tout cas, chacun à sa manière, ils ont tenu à nous préciser une chose importante : Jésus marchant sur la mer, s’approche de ses disciples paralysés par la peur pour leur dire : « Courage, c’est moi, n’ayez pas peur. »
Un moment critique
Rappelons-nous le contexte. Après avoir appris l’exécution de son cousin et précurseur Jean-Baptiste, Jésus a, par deux fois, éprouvé le besoin de prendre du recul, de se retirer dans la solitude pour réfléchir et prier. La première foi, il en a été empêché par la foule qui le poursuivait, dont il a eu pitié, pour laquelle il a guéri les malades et qu’il a nourri abondamment. Après cela, il a obligé ses disciples à le quitter pendant qu’il renvoyait la foule ; ils sont partis en barque sur le lac de Tibériade alors qu’il prenait le temps de la prière, dans la nuit. Et c’est au cours de la même nuit, avant l’aube, alors qu’ils sont ballottés par la tempête, qu’il vient à leur rencontre en marchant sur les eaux. Le récit de Marc apporte même une précision assez bizarre : Jésus fait semblant de les dépasser. Il passe près d’eux. Ce qui est bizarre alors que justement il vient à leur rencontre à un moment critique. De toute évidence, nous avons là une allusion à l’une des rencontres les plus significatives de toute la Bible. La rencontre de Yahvé avec Moïse.
Comme Moïse et Elie
Moïse, l’ami intime de Dieu, lui avait demandé la faveur de le voir. Plus précisément de « voir sa face ». C’est une demande bien légitime. Que de fois on trouve cette requête dans la Bible, comme une aspiration de tout être humain : voir Dieu ! A cette demande de Moïse, Yahvé répond qu’on ne peut pas le voir et vivre. Mais il ajoute qu’il va passer devant lui. Il l’invite donc à se rendre sur la montagne où doit avoir lieu cette rencontre. Moïse se placera dans la fente du rocher lorsque la gloire passera ; Dieu le couvrira de sa main jusqu’à ce qu’il l’ait dépassé : Moïse verra Dieu, mais seulement de dos.
La première lecture de ce dimanche nous relate une autre rencontre, qui est comme une répétition de ce qui arriva à Moïse. C’est la révélation de Dieu à Élie, une fois encore sur la même montagne de l’Horeb, dans la péninsule du Sinaï. Élie a été un vaillant combattant du culte du Dieu unique, alors qu’Israël est infecté de quantité de cultes idolâtriques. Il a combattu le pouvoir en place, fait mettre à mort quantité de prêtres des divinités étrangères, avant d’être obligé de fuir devant la menace de mort qui pèse sur lui. C’est là, arrivé à l’Horeb, que Dieu va passer devant lui, alors qu’il est lui aussi caché dans une fente de rocher. Mais à ce violent qui a toujours combattu les armes à la main et avec les moyens de la plus grande violence, Yahvé se présente, non pas dans le grand vent qui déchire les montagnes ni dans les éclairs, le tonnerre et l’orage, mais dans le souffle discret d’une brise légère.
Confiance ! C'est moi.
Le Seigneur passe. Pour confirmer Moïse et l’assurer de son soutien, pour réconforter Elie après les jours de peine et avant de l’envoyer de nouveau en mission. Et également pour rassurer les disciples dans la tempête, leur faire comprendre qu’il est tout près d’eux, qu’il ne les abandonne pas dans les plus forts dangers, mais qu’avec lui, ils ne risquent rien ; Bien plus, pour relancer l’envoi en mission. La mission continue. Après la tempête, on va aborder et reprendre le travail. Une nouvelle journée de travail missionnaire commence.
Dieu passe constamment près de nous. Seulement, la plupart du temps, nous ne le remarquons pas. L’exemple de Pierre, à cet égard, est significatif. Pierre, tout feu tout flamme, est capable de sauter de la barque et de marcher sur la mer tant qu’il regarde vers Jésus. Démarche primesautière d’une foi certaine, mais encore mal assurée. Car d’un seul coup, il ne regarde plus vers Jésus : ne considérant plus que sa propre condition humaine, il se demande si c’est bien réel, ce qui lui arrive… et il coule. Il en est ainsi de chacun de nous. Le Seigneur passe, mais nous ne sommes pas tellement conscients de la réalité de son passage, soit que nous soyons distraits soit que nous soyons repliés sur nous-mêmes, empêtrés dans nos petits problèmes. Nous chercherons peut-être à le trouver dans des événements extraordinaires, alors qu’il passe près de nous dans la personne d’un frère, d’un ami, d’un pauvre qui a besoin de notre aide. Ne cherchons pas bien loin. Dans la nuit de notre vie, et même si notre barque risque de sombrer dans la tempête, nous pouvons croire que le Seigneur passe tout simplement près de nous, en la personne d’autres êtres humains, et qu’il nous redit : « Confiance ! C’est moi. N’ayez pas peur. »