O CROIX DRESSEE SUR LE MONDE !

     LA CROIX GLORIEUSE - 14 SEPTEMBRE

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 3, 13-17

Nul n'est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme. De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle. Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.

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Une découverte

C'est une fête très ancienne que nous célébrons chaque année le 14 septembre. Elle rappelle l'"Invention de la vraie croix" au IVe siècle de notre ère. Ce fut d'ailleurs le premier nom de la fête que nous célébrons aujourd'hui. Invention, c'est-à-dire découverte. La ville de Jérusalem avait été complètement détruite au IIe siècle par l'occupant romain, aucune trace de la religion juive ne devait y subsister, pas plus que les rares traces des lieux où la croix de Jésus avait été plantée en terre, ni du tombeau où il avait été mis, ni du jardin de la résurrection. Or la tradition rapporte que, sur l'initiative d'Hélène, mère de Constantin, les chrétiens purent redécouvrir la vraie croix. C'est sur ces lieux qu'en 335, pour abriter la croix du Christ, l'empereur Constantin fait bâtir la première basilique de la Résurrection. Puis, au fil du temps, bien d'autres malheurs survinrent. Notamment l'invasion par les Perses (l'Iran actuel) qui s'emparèrent de la sainte Croix,  et la reconquête au VIIe siècle par l'empereur Héraclius qui se fit restituer la précieuse relique par Chosroès, roi des Perses.

Une exaltation

Plus traditionnellement, et pendant de siècles, la fête que nous célébrons aujourd'hui s'est appelée la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix. On célébrait le jour où elle avait été portée en triomphe. Plus profondément, on évoquait, grâce au double sens du terme exaltation, à la fois le mouvement consistant à élever la croix sur laquelle se trouve un condamné (dans l'acte même de la crucifixion) et le mouvement consistant à élever bien haut, en signe de triomphe, la croix portant le Christ pour lui rendre gloire.

Qu'est devenue cette croix redécouverte par Constantin, volée par Chosroès, restituée à Héraclius, vénérée à Jérusalem ? Nul le le sait. Par contre, on en trouve en de nombreux lieux du monde chrétien d'infimes petits morceaux, quelques esquilles, comme autant de précieuses reliques. On peut certes douter de l'authenticité de quantité de celles-ci. Il y eut des époques où la vénération des reliques prit une telle importance qu'elle ressemblait à de la superstition. Quoi qu'il en soit - et nous le savons bien - ce n'est pas le bois de la croix, si vénérable soit-il, qui importe dans notre dévotion de chrétiens, mais ce qu'il signifie. Chaque année, d'ailleurs, lors de l'office liturgique du Vendredi Saint, a lieu une vénération de la croix. Et l'on acclame par des chants la croix de Jésus Christ. Car elle est symbole, signe éclatant du geste d'amour qu'a fait le Christ en nous donnant sa vie. Nous le savons bien, aucun objet en lui-même n'est sacré ; même pas la croix. C'est ce qu'elle représente qui doit nous permettre une réflexion salutaire, pour "mettre en nous les sentiments qui furent ceux du Christ Jésus", selon les mots même de saint Paul. Quels sentiments ? Jésus l'exprime en une phrase : "Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime." C'est par amour que Jésus a donné sa vie sur une croix.

Nicodème

Les textes de l'Écriture que la liturgie nous invite à lire et à méditer en ce jour de fête sont très éclairants. Jésus les résume dans la conclusion de sa discussion avec Nicodème : "Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé." Il est donc essentiellement question du salut du monde. Et comment peut se réaliser ce salut ? Par une "exaltation". Dans un autre passage d'évangile, Jésus déclare que "lorsque j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi." Ici, il le répète : "Il faut que le Fils de l'homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle. " Deux allusions au genre de mort qui l'attend. Donc, il y a déjà cela : ce corps supplicié, cloué au bras horizontal de l'instrument de supplice, élevé pour être fixé ensuite au bras vertical de la croix. Assez haut pour que tout le monde puisse le voir. Un corps exposé à la vue de tous. Objet d'horreur capable d'inspirer des sentiments divers chez ceux qui le regardent. Crainte, pitié, dégoût ? On a plutôt envie de détourner son regard. Mais Jésus, lui, nous demande de regarder. Comme les pauvres gens victimes des morsures de serpents, lors de la longue marche dans le désert. Un seul remède pour échapper à la mort : regarder le serpent d'airain que Moïse venait de fixer au sommet d'un poteau. Regarder, nous aussi, celui que les hommes ont élevé sur la croix, si nous voulons échapper à la mort et obtenir la vie éternelle. "Ils regarderont celui qu'ils ont crucifié."

Identité de sentiments

C'est en reprenant les termes mêmes d'une des premières hymnes chrétiennes que saint Paul, dans as lettre aux Philippiens, nous dit quels furent les sentiments du Christ Jésus et quelle trajectoire fut la sienne. Premièrement, un total abaissement : Dieu se fait homme, épouse la condition humaine dans toutes ses dimensions. Il ne fait pas semblant ; il s'abaisse au plus bas de la condition humaine : la condition d'esclave. Et le supplice de la croix, qu'il va subir, était un supplice réservé notamment aux esclaves. Et c'est là, quand il est parvenu au plus bas, et parce qu'il en est arrivé là, que Dieu va l'exalter et lui donner un nom - entendez pas là une situation, une condition sociale - au-dessus de tout nom.

Le message est éclairant pour nous, aujourd'hui particulièrement. D'abord parce que, pendant des siècles, on a considéré le supplice de Jésus sur la croix comme un sacrifice destiné à apaiser la colère de Dieu. (Rappelez-vous le "Minuit, Chrétiens" qui chantait : "et de son Père apaiser le courroux.") C'est exactement le contraire de ce qu'annonce l'évangile. En mourant sur une croix, Jésus ne fait que manifester l'amour total, extraordinaire, invraisemblable de Dieu pour les hommes. "Dieu a tant aimé le monde... ! " L'amour vrai va jusque là. Le croyons-nous ?

Et donc, deuxièmement, il convient d'avoir "entre nous les mêmes sentiments que ceux de Jésus", comme l'écrit saint Paul. Ce qui est, certes, plus facile à dire qu'à faire. Je lisais récemment, dans un roman, la réaction outrée d'un personnage. Alors que son interlocutrice lui disait "faut le comprendre", pour excuser quelqu'un, l'autre lui a répliqué : "C'est de la foutue morale de messe, ça, des bons sentiments pour pas cher !" Morale de messe ? J'aimerais qu'il n'en soit rien. Et que chacun de nous, vous et moi, prenions très au sérieux l'invitation de saint Paul. Pas question de bons sentiments pour pas chers. Il s'agit de donner sa vie, jour après jour. Humblement, discrètement. Par amour.

   

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