Quand Jésus vit toute la foule qui le suivait, il gravit la montagne.
   FETE DE TOUS LES SAINTS

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5, 1-12 

 

Quand Jésus vit toute la foule qui le suivait, il gravit la montagne. Il s'assit, et ses disciples s'approchèrent. Alors, ouvrant la bouche, il se mit à les instruire. Il disait : «Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise ! Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés ! Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés ! Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde ! Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu ! Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu ! Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux serez-vous si l'on vous insulte, si l'on vous persécute et si l'on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux.»

oOo

Le Malheur du monde !

Tout en rédigeant ce commentaire d'évangile, j'écoutais d'une oreille distraite la radio - France-Info - qui, inlassablement répète les mêmes nouvelles du jour. Enumération de malheurs, comme presque chaque jour : disparition d'un enfant, suicide d'un détenu, agression sauvage d'une vieille dame, suite mortelle d'une bagarre entre bandes rivales, nouvel épisode de la crise boursière, licenciements massifs, scandale financier, reprise des combats en telle région d'Afrique, une jeune coopérante tuée par les talibans en Afghanistan... Ce sont les nouvelles, aujourd'hui. Demain, sans doute, il en sera de même, comme il en était déjà de même hier et avant-hier. Que de malheurs, que de souffrances, que de larmes et de morts inutiles !

Ces drames dont j’entendais parler en vous écrivant ne sont qu’une infime partie des drames, des misères et des malheurs qui ravagent notre monde. Il y a ceux dont les hommes sont la cause, et tous les drames provenant de causes « naturelles » (si je peux m’exprimer ainsi ). En même temps que je ressens mon impuissance à les enrayer, je ne peux pas rester indifférent devant tant de misères. Mais à quoi sert de se lamenter ?. A une personne avec laquelle je discutais dans la rue et qui déplorait  un tel état de fait, ajoutant : « Mais notre monde va de mal en pis »,  j’ai répondu que cela ne datait pas d’aujourd’hui et qu’à toutes les époques de l’histoire, il y avait eu des écrivains pour se demander si le monde n’allait pas à la catastrophe. Alors ?

Un nouvel ordre mondial ?

Depuis quelques décennies, on parle fréquemment d’instaurer un « nouvel ordre mondial. » En d’autres termes, et pour être bien clairs, dans ce monde de violence, d’injustice, de guerre, de conflits et d’attentats en tous genres ; dans un monde où règne la plus grande misère à côté du plus grand gaspillage, créer une sorte de police supra-nationale, un super-pouvoir suffisamment fort pour intervenir en tous endroits et y faire régner le nouvel ordre mondial. Je n’invente rien : depuis le 11 septembre 2001, on a pourchassé « les forces du mal » en faisant la guerre, d’abord en Afghanistan, puis en Irak. Avec les résultats que l’on sait. Et demain ? En tout cas, combattre la violence par une super-violence ne résoudra jamais rien. Alors ?

La subversion évangélique

C’est en cette conjoncture qu’intervient ce qu’un écrivain appelait « la subversion du Christianisme. » Je vais être plus modeste en parlant de la subversion de l’Evangile. Car, hélas, je me demande si le christianisme, tel qu’il est pratiqué, est suffisamment fidèle à l’Evangile. Alors, pour commencer, prêtons attention à la Bonne Nouvelle annoncée par Jésus, telle qu’elle nous est rapportée par saint Matthieu. On l’appelle le « Sermon sur la montagne », et son préambule, ce sont les Béatitudes, ces huit annonces du bonheur possible, que nous venons d’entendre une fois de plus. Mais combien de fois ne les avons-nous pas entendues, au cours de notre existence ?  

Voilà bien la plus forte contestation des pratiques courantes de notre humanité qu’on puisse formuler. Pour que le monde réussisse, annonce Jésus, il est nécessaire qu’on y mette en avant l’esprit de pauvreté, la force de la douceur, le combat pour la paix, le souci du pardon et l’attention à toutes les misères, ainsi que la lutte pour la justice. Et cela, certes, ne se fera pas sans larmes, ni souffrances ni persécutions, parce que cela, c’est l’exact contraire de ce que vit notre humanité. Nous voilà donc de nouveau dans un contexte de lutte, parce que, face à la subversion du message évangélique, le monde ne va pas se laisser faire facilement. La preuve, c’est que le message, énoncé il y a deux millénaires, n’a pas encore produit des effets particulièrement visibles. Il n’en demeure pas moins contestation de nos sociétés, et contestation, même, de nos Eglises.

Un évangile contestataire

Contestation de nos sociétés d’abord. Et là; il s’agit d’un véritable renversement. De nos jours, c’est le christianisme qui est mis en accusation, aussi bien par les philosophes que par les médias. Il est de bon ton d’annoncer sa disparition, de contester comme rétrogrades ses pratiques, d’opposer les « Lumières » à l’obscurantisme. Et voilà que, bien au contraire, l’Evangile proclamé par Jésus critique les soi-disant valeurs du monde moderne. C’est comme si Jésus nous disait ce matin : « Voyez les résultats ! Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas brillant, ce monde moderne, avec son lot de violence, de guerre, d’inégalités, de souffrances. Tout cela parce qu’on a mis en avant des pseudo-valeurs : le culte du « moi », l’égoïsme institutionnel, l’apologie de la force et le règne de l’argent. Moi, au contraire, je vous déclare que, pour réussir, ce monde doit retrouver les valeurs évangéliques de douceur, de paix, de justice, de pardon, de miséricorde ; tout cela dans un esprit de pauvreté. »

Jésus conteste nos sociétés. Je crois qu’il conteste également nos Eglises. Les reproches qu’il adressait aux autorités religieuses de son temps, que nous lisions dimanche dernier, il nous les adresse à nous aujourd’hui. Il nous demande : « Ce message des Béatitudes, qu’en avez-vous fait, jusqu’à présent ? Est-ce que ces valeurs énoncées, condition de la réussite de notre humanité, vous les avez prises au sérieux ? N’êtes-vous pas de ceux qui « disent et ne font pas » ?

Vous allez peut-être penser que je suis particulièrement pessimiste ce matin ! Ne le croyez pas. Je crois fondamentalement à la réussite finale de notre humanité, à la fin de l’histoire. C’est avec pleine lucidité et en grande espérance que je relis la vision de saint Jean dans l’Apocalypse. Dans cette « foule immense, de toutes nations, de toutes langues et de toutes races », je pense qu’il y a celles et ceux que j’ai connus et aimés, de nos familles, de nos paroisses, de nos quartiers. Parents, voisins, camarades d’école ou de travail. Ils n’ont pas vécu l’entier message des Béatitudes. Qui le pourrait ? Seul Jésus, dont c’est d’ailleurs le portrait, a pu le faire. Mais les uns les autres ont essayé de pratiquer l’une ou l’autre de ces valeurs évangéliques. Mais, derrière des visages, à travers quantité d’histoires personnelles, il y avait ces pauvres de cœur, ces forts qui pratiquaient la plus belle douceur ; et cet autre, tellement acharné à crier justice pour ses frères, et cette maman qui savait tellement bien pardonner.

Ah, si chacun de nous essayait de ressembler à Jésus en vivant l’une ou l’autre de ces Béatitudes, je suis persuadé que nos Eglises deviendraient vite signe de contestation dans notre monde qui fait faillite. Je suis certain que « la subversion du christianisme » serait une réalité. Pour le plus grand bien de notre monde. En attendant, je vous souhaite, en cette célébration de la mémoire de tous les saints, à vous qui êtes encore sur la route, une bonne fête, et beaucoup de bonheur.

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