Vous êtes le temple de Dieu
La Dédicace de la Basilique du Latran
Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 2, 13-22
Comme la Pâque des Juifs approchait, Jésus monta à Jérusalem. Il trouva installés dans le Temple les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple ainsi que leurs brebis et leurs bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. » Ses disciples se rappelèrent cette parole de l’Ecriture : l’amour de ta maison fera mon tourment. Les Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ? » Jésus leur répondit : « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple et toi, en trois jours, tu le relèverais ! » Mais le Temple dont il parlait, c’était son corps. Aussi, quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent aux prophéties de l’Ecriture et à la parole que Jésus avait dite.
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La plus vieille église
Ce n’est pas tous les ans, mais seulement tous les cinq ou six ans, lorsque le 9 novembre tombe un dimanche, que nous célébrons la fête de la Dédicace de la basilique du Latran. De quoi s’agit-il, en fait ? La basilique saint Jean du Latran à Rome est la plus vieille église chrétienne du monde. Elle a été construite à la fin des persécutions par l’empereur Constantin, qui avait fait don à la jeune Eglise, du palais du Latran, vers 320, et c’est en 324 qu’elle fut dédicacée par le pape saint Sylvestre. Elle est la cathédrale de Rome, et les papes ont vécu au palais du Latran pendant plus d’un millénaire. On appelle cette basilique « la Mère de toutes les églises. » Et l’anniversaire de sa dédicace est pour nous l’occasion de faire quelques mises au point, en apportant les précisions nécessaires.
Des mots profanes
En premier lieu, il nous faut définir les mots employés : basilique, cathédrale, église, dédicace. Ces mots, originellement, sont tous des mots du langage profane. Une basilique, dans l’antiquité, est un bâtiment couvert, un hall, si vous voulez, qui sert à la fois de marché couvert et de bâtiment administratif. Le mot latin cathedra désigne une chaise avec un dossier. Quant au mot grec ekklesia, il signifie l’assemblée du peuple. L’Eglise, c’est d’abord cela : l’assemblée que nous formons, et c’est seulement en un sens second qu’on parle de l’église comme du bâtiment capable de réunir l’assemblée. Enfin, le mot dédicace signifie primitivement inauguration. Quand les chrétiens du IVe siècle ont eu enfin le droit de sortir de la clandestinité, ils ont pensé à construire des bâtiments suffisamment fonctionnels pour accueillir l’Ecclesia, l’Eglise, l’assemblée nombreuse des chrétiens, et ils ont bâti ces locaux sur le modèle des basiliques, des bâtiments publics de l’époque. Et l’église-mère, l’église de l’évêque, abritait la cathèdre, la chaise, qui deviendra bien vite une espèce de trône, d’où l’évêque exerçait sa fonction de présidence : on l’appela la cathédrale. On ne parlait pas alors de « consécration », mais de dédicace : l’église était dédiée à un saint : à Rome, saint Jean-Baptiste. .
La différence
Si j’apporte ces précisions d’ordre linguistique et historique, c’est pour bien marquer l’originalité des églises chrétiennes et la différence qu’il y a entre elles et tous les autres lieux de cultes des autres religions, temples ou mosquées par exemple. (Je ne parle pas des temples protestants, qui, pour beaucoup de nos amis, luthériens particulièrement, ne devraient pas s’appeler des « temples », mais des « églises », tout simplement)
La plupart des temples, dans l’hindouisme ou le bouddhisme par exemple, sont essentiellement la résidence d’un dieu ou d’un bouddha, dont les statues tiennent la place centrale et même parfois toute la place. Il en était de même des temples de l’antiquité grecque ou latine. Quant au Temple de Jérusalem, si les diverses esplanades pouvaient accueillir des foules considérables, le seul endroit couvert (le saint et le saint des saints), qui avait abrité avant sa destruction par Nabuchodonosor l’arche d’alliance, symbole de la présence de Dieu au milieu de son peuple, lors de sa reconstruction au temps de Jésus, cet endroit couvert était entièrement vide. Dieu est Esprit, et c’était son Esprit qui habitait le lieu sacré.
Détruisez ce temple
Lorsque Jésus chasse les vendeurs du Temple, il fait un geste hautement significatif : on vient dans le temple essentiellement pour prier. Il cite Isaïe : « Ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples. » , puis répondant à ses contradicteurs, il prononce des paroles étranges, que les disciples comprendront seulement après sa résurrection : c’est lui, Jésus, qui, en sa propre personne, est le vrai temple de Dieu. Quant au Temple de Jérusalem, tout sacré et respectable qu’il soit, Jésus annoncera sa destruction. Avec lui, tout change de sens et prend une autre valeur.
Vous êtes le temple de Dieu
Il faut croire que les disciples ont bien vite compris le sens et la portée de ce geste et de ces déclarations, puisque, dès la première génération chrétienne, aussi bien Pierre que Paul annoncent que le transfert est accompli. Pierre écrit aux chrétiens qu’ils sont les « pierres vivantes » de l’Eglise, et Paul déclare aux Corinthiens qu’ils sont « la maison que Dieu construit » et il ajoute : « vous êtes le temple de Dieu. »
Maison du Peuple
Comprenez-vous maintenant pourquoi on utilise le même mot, « Eglise », pour désigner le peuple de Dieu et le bâtiment qui lui permet de se rassembler ? Il faut éviter de trop sacraliser les bâtiments. Quand on me dit, par exemple, que « l’église, c’est la maison de Dieu », je réponds : « Oui, mais c’est parce qu’elle est, d’abord, la maison du peuple de Dieu. Et, par extension, la maison de la Rencontre. » Quand le pape saint Sylvestre a fait la « dédicace » de la basilique de saint Jean de Latran, il a, certes, dédié cette église au culte divin, mais il l’a d’abord offerte au peuple chrétien de Rome, pour qu’il puisse y « faire Eglise ».
Notre fête à tous
C’est pourquoi l’anniversaire de cette dédicace est non seulement la fête qui célèbre la naissance de la première église chrétienne, mais aussi et surtout notre fête à tous. Nous pouvons nous réjouir au souvenir du bonheur des chrétiens qui, sortant de près de trois siècles de persécutions, pouvaient enfin, sans se cacher, se rassembler au vu et au su de tout le monde pour proclamer la louange divine. Oh je sais bien – et l’histoire nous le rappelle - la suite ne fut pas toujours très glorieuse. Et aujourd’hui encore, alors que nos basiliques et nos cathédrales d’Occident sont loin d’être bien remplies, alors que tant d’églises de campagne restent fermées le dimanche, il nous faut regarder lucidement notre présent et envisager notre avenir avec confiance. Lucidité et confiance ? Je pense d’abord à saint Bernard, chez qui c’était presque devenu un refrain que rappeler aux gens que ce sont eux, petit troupeau ou grandes masses, qui sont l’Eglise. Je le cite : « Dieu n’a cure des pierres ! En effet ce ne sont pas les murs mais les hommes qui disent : « Il prend soin de nous. » et encore : « Quelle sainteté peuvent avoir ces pierres pour que nous en fassions une fête ? N’oubliez pas que si elles sont sanctifiées, ce n’est qu’à cause de vous… Cette fête est vôtre, tout à fait vôtre. »
Nous qui faisons Eglise aujourd’hui, célébrons cette eucharistie – ce merci à Dieu – dans la joie, que nous soyons très nombreux ou seulement un petit nombre. « Quand deux ou trois sont rassemblés en mon nous, nous redit Jésus, je suis au milieu d’eux ». Bonne fête.