"Les cieux s’ouvrirent,"
LE BAPTEME DU SEIGNEUR (A)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 3, 13,17
Jésus, arrivant de Galilée, paraît sur les bords du Jourdain, et il vient à Jean pour se faire baptiser par lui. Jean voulait l’en empêcher et disait : «C’est moi qui ai besoin de me faire baptiser par toi, et c’est toi qui viens à moi !» Mais Jésus lui répondit : «Pour le moment, laisse-moi faire : c’est de cette façon que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste». Alors Jean le laissa faire.
Dès que Jésus fut baptisé, il sortit de l’eau ; voici que les cieux s’ouvrirent, et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et des cieux, une voix disait : «Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon amour».
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Manifestations
Au début du mois de janvier, chaque année, la liturgie nous propose de méditer trois textes évangéliques qu’elle présente sous un même titre : le mot « Manifestation ». Il s’agit, d’abord, le jour de l’Epiphanie, de la manifestation du Christ aux nations païennes en la personne des Mages ; ensuite, aujourd’hui, de la manifestation de Jésus au jour de son baptême ; enfin, la troisième de ces manifestations a lieu à Cana : Jésus change l’eau en vin, et l’évangile de Jean précise qu’ainsi « il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. »
De ces trois manifestations, la plus centrale est celle qui arrive au jour du baptême. Alors que seul Matthieu mentionne la visite des mages, et que seul Jean raconte le miracle de Cana, par contre les quatre évangiles nous présentent l’événement du baptême comme l’événement inaugural de toute la mission du Christ comme Sauveur. C’est tellement important que lorsqu’il faut choisir un successeur à Judas qui s’est pendu, Pierre précise que la première condition pour devenir apôtre est d’avoir été témoin des faits et gestes du Christ "depuis le jour de son baptême par Jean." Et le même Pierre, présentant le Christ au premier païen qui se convertit, le centurion Cornélius à Césarée, commence son récit en mentionnant le baptême de Jésus, avant d’ajouter, en un simple résumé, que Jésus « est passé parmi nous en faisant le bien, guérissant tous ceux qui étaient sous le pouvoir du démon. » Pourquoi les premiers témoins ont-ils attaché une telle importance à l’événement ? Parce qu’il s’agit d’un baptême et d’une confirmation.
Un plongeon
Voilà donc un homme qui arrive de Nazareth, parfaitement anonyme dans la foule des gens qui se pressent au Jourdain pour entendre Jean et recevoir le baptême. Jésus a trente ans, et il n’a jamais fait parler de lui. Pour ceux qui le connaissent, c’est un charpentier, un travailleur manuel. Un point c’est tout. Pour tout le monde, c’est un fait banal. Sauf pour Jean Baptiste qui se récrie, en le voyant : « C’est toi qui dois me baptiser, et non l’inverse. » Jésus répond par une formule assez incompréhensible : « C’est ainsi que nous devons accomplir toute justice » Ce qui, sans doute, signifie qu’il lui faut aller jusqu’au bout de la fidélité à sa mission. Et il plonge. Pour bien comprendre la signification de son geste, il faut nous rappeler que le mot « baptême » est un mot grec qui signifie « plongeon », et que le baptême de Jésus, comme celui des gens qui sont là, ce n‘est pas Jean qui verse quelques gouttes d’eau sur leur tête, comme le représentent tant de peintures, mais c’est un plongeon dans l’eau du fleuve. L’évangile précise : « Alors Jean le laisse faire. »
Proximité
Mais Jésus, s’il fait ce geste, tient à manifester quelque chose d’essentiel. Lui, sans péché, se fait solidaire de l‘humanité pécheresse : il plonge au cœur de cette humanité. « Il s’est fait péché pour nous », dira saint Paul. Cette solidarité qu’il tient à manifester, c’est la manifestation de l’amour de Dieu pour l’homme. Jésus tient à manifester, dès le premier jour de sa vie publique, que sa mission est de sauver les hommes, et donc, que pour cela, il faut qu’il se situe au plus près, au plus profond de cette humanité. Pour bien me faire comprendre, je reviens sur le drame épouvantable qu’a vécu l’Asie il y a trois ans, le 26 décembre 2004. En quelques minutes, plus de cent cinquante mille personnes ont péri, englouties par un énorme « tsunami ». Immédiatement, dès que nous avons appris la nouvelle, des gens du monde entier se sont mobilisés. Personne ne peut rester indifférent devant une telle catastrophe. Et c’est tout à l’honneur de notre humanité. Et en même temps, la plupart d’entre nous se sentent impuissants. Que faire ? Prières, minutes de silence, collectes d’argent, générosité incroyable : tout cela est bel et bon, mais insuffisant. Il y a eu, en plus, et dès les premières heures, les sauveteurs qui se sont précipités sur les lieux. Des gens qui venaient de près ou de loin, secouristes, médecins, pompiers, infirmiers ou simples bénévoles. Ils ont sauvé des vies de multiples manières. Parce qu’ils s’étaient faits proches. Souvent même au péril de leur vie.
Sauveteur
Ils me font penser à Jésus et au geste inaugural qu’il a fait en plongeant dans le Jourdain, et manifestant ainsi que Dieu, en la personne de son Fils, plonge au plus profond de notre humanité pour la sauver. J’appelle le baptême un geste inaugural. En effet, tous les gestes que fera ensuite le Christ seront des gestes de sauveteur, de sauveur. Relisez chaque page de l’évangile : vous le verrez s’approchant, guérissant, réconciliant, consolant tous ceux qui ont besoin de ce salut. Des gestes de sauveteur, car pour lui le salut c’est quelque chose de concret. Il ne vient pas « sauver nos âmes », il vient sauver l’homme tout entier. La personne humaine avec ses limites, la maladie, le péché et la mort ; mais aussi avec ses possibles : l’homme en tant qu'il est un être en relation. Et il veut que, guérissant l’homme, celui-ci puisse être réintégré dans la communauté humaine, la communauté toute simple de sa famille, de son village. Cette mission de sauveur ne va pas sans risque, bien sûr. Et Jésus prend des risques. Affrontant tous les pouvoirs qui rabaissent les hommes et les rendent plus ou moins esclaves, il se fait des ennemis, dans sa volonté de libérer les pauvres et les exclus. Il sait que sa mission de sauveur va jusque là : donner sa vie par amour. Vous voyez donc comment le baptême de Jésus est une démarche importante, fondatrice même.
Confirmation
Je vous disais que ce jour-là, il y avait eu un baptême et une confirmation. La confirmation, la voici : « Les cieux s’ouvrirent, et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et des cieux une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en lui j’ai mis tout mon amour. » Avec le sceau de l’Esprit, la voix du Père qui confirme, pour les premiers témoins, quelques futurs disciples, que cet anonyme de Nazareth, c’est bien le Fils de Dieu qui entreprend la mission pour laquelle il est venu : sauver le monde. Jésus est manifesté par le Père comme son Fils, chargé d’une mission, à laquelle il va consacrer le reste de sa vie mortelle.
A chacun de nous, au jour de notre propre baptême, Dieu a dit : « Tu es mon enfant bien-aimé. » Le croyons-nous ? Et le vivons-nous ? C’est la question qu’il faut nous poser en ce jour. Et d’abord, le croyons-nous ? C’est toute la question de ce que j’appelle la « fierté chrétienne » Il ne s’agit pas, bien sûr, de proclamer « Je suis chrétien, voilà ma gloire », ni de manifester une certaine vanité. Il s’agit de n’avoir pas à rougir de ce beau titre de fils ou fille de Dieu. Or, trop souvent de nos jours, nous sommes moqués, ridiculisés, voire même méprisés, si nous nous disons croyants. C’est un peu comme si on nous prenait pour des demeurés, des dinosaures, une espèce en voie de disparition. Voir un certain nombre d’émissions radiophoniques ou télévisées. Il s’agit donc de nous présenter, sans fausse pudeur, comme disciples de ce Christ qui est mort et ressuscité, comme fils de ce Dieu qui aime tant le monde. Fierté chrétienne donc. Et, en même temps, sens de nos responsabilités. En tant que fils, nous avons à suivre l’exemple de Jésus, notre frère aîné, et à faire la volonté de notre Père commun. En d’autres termes, il s’agit de collaborer au salut de notre monde. Suivre l’exemple du frère aîné, c’est, comme lui, savoir donner notre vie. Il ne s’agit pas, d’abord, de « mourir pour », mais de « vivre pour ». Etre, comme lui, serviteurs. Chacun à sa place, selon ses capacités et ses disponibilités.
Chaque fois que nous participons à l’eucharistie, comme nous le faisons aujourd’hui, nous entendons Jésus nous redire, après avoir changé le pain et le vin en son corps livré, en son sang versé, « faites ceci en mémoire de moi. » Il ne s’agit pas, d’abord, de refaire les mêmes gestes, de répéter les mêmes signes liturgiques. Les rites seront toujours vides de sens si, par notre vie quotidienne, nous ne nous appliquons pas à « faire ceci en mémoire de Lui », c’est-à-dire, chaque jour, en risquant notre vie pour servir nos frères.