Celui-ci est mon Fils bien-aimé
La religion des visages
Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène avec lui sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s'entretenait avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : "Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie." Il parlait encore lorsqu'une nuée lumineuse les couvrit de son ombre ; et, de la nuée, une voix disait : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour ; écoutez-le." Entendant cela, les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis d'une grande frayeur. Jésus s'approcha, les toucha et leur dit : "Relevez-vous et n'ayez pas peur !" Levant les yeux, ils ne virent plus que lui, Jésus, seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur fit cette défense : "Ne parlez de cette vision à personne, avant que le fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts."
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 17, 1-9 DEUXIEME DIMANCHE DE CAREME (A) oOo Visages !
Regardez-vous les visages ? Je vous dis cela parce que, souvent, nos interlocuteurs ne nous regardent pas en face. Toute ma vie, j'ai demandé aux enfants, quand ils me saluaient, de me regarder, moi, et non pas la main que je leur tendais. Seuls, peut-être, les petits enfants savent vous dévisager. Pourtant, que de choses peuvent-ils révéler, nos visages humains, pour peu qu'on les laisse parler ! Je me souviens d'une session de notre Centre de Préparation au Mariage où, pour le repas de midi, je me trouvais en face d'un jeune couple qui allait se marier dans les semaines suivantes. On discutait amicalement quand, vers la fin du repas, la jeune fille s'est penchée vers le garçon et a reposé sa tête sur sa poitrine. Ils se regardaient et, tout à coup, leurs visages se sont illuminés. Elle, qui était jolie, sans plus, est devenue très belle. Le soir, en nous quittant, elle m'a dit simplement : " Nous, on veut être toujours clairs. "
Visages fermés par l'indifférence, visages défigurés par la haine, visages abîmés par la souffrance, visages transfigurés par l'amour : vous avez tous déjà vécu ces multiples expériences au cours de multiples rencontres. C'est un philosophe contemporain qui écrit : " Le visage doit se mettre en marche vers un autre visage. " Au matin de la Transfiguration a lieu une des nombreuses rencontres du Père et de son Fils bien-aimé, cette fois en présence de témoins. L'évangile de Luc prend la peine de nous préciser que Jésus était en prière. C'est dans ce dialogue d'amour que, non seulement le visage, mais tout le corps de Jésus est transfiguré par la Parole divine.
Le contexte
Comme bien souvent dans nos recherches sur les textes évangéliques proposés à notre réflexion, il nous faut remettre le texte dans son contexte. Jésus a parcouru son pays jusqu'à l'extrême nord, aux sources du Jourdain. C'est là qu'il va procéder à une " évaluation ", comme on dit aujourd'hui. Il veut savoir ce que les gens pensent de lui. Il veut savoir également ce que ses disciples pensent de lui. C'est Simon-Pierre qui répond : pour eux, il est le Fils du Dieu vivant. Jésus répond en conférant à Simon le surnom qui deviendra un prénom : Simon est Képha, mot araméen qui signifie " rocher ", que le texte grec traduit par le mot " pierre ". Et, dans la foulée, Jésus annonce pour la première fois quel est son destin : on va reprendre la route, du Nord au Sud, jusqu'à Jérusalem ; c'est là que Jésus sera arrêté, condamné, torturé, mis à mort avant de ressusciter. Pierre alors s'insurge et se fait traiter de " Satan " par le Maître, qui met les points sur les i : son destin, ce sera également celui de tous ceux qui veulent le suivre et marcher avec lui. Et six jours plus tard, c'est en présence de trois disciples-témoins que Jésus sera transfiguré. Ensuite, on reprendra la marche vers Jérusalem, vers la Pâque.
Métamorphose
Ce n'est que dans ce contexte pascal de mort et résurrection qu'on peut comprendre pourquoi cette " métamorphose " (c'est le sens exact du mot grec employé par l'Évangile) a eu lieu. Essentiellement parce que l'homme-Jésus a besoin d'être réconforté, éclairé, illuminé par son Père. C'est Gabriel Marcel qui écrit : " Aimer quelqu'un, c'est lui dire : toi, tu ne mourras pas. " Eh bien, ce jour-là, le Père rappelle à son fils que, certes, il doit passer par le tunnel de la mort, mais qu'il doit le faire en gardant confiance : il peut se fier à l'issue glorieuse qui lui est réservée. Le jour de la Résurrection, Dieu tiendra parole. Et c'est pourquoi Jésus, qui a bien compris, recommande à ses disciples de ne parler à personne de sa transfiguration avant qu'il ne soit ressuscité. La transfiguration est comme un signe précurseur, une image de la résurrection promise.
Des têtes de ressuscités
" Tu es son enfant bien-aimé. " Chacun de nous, baptisés, peut se redire cette parole. Enfant de Dieu, vivant de sa vie, vivant sous tension divine, nous pouvons " avoir des têtes de ressuscités " si nous vivons à plein cette vie divine qui nous est communiquée gratuitement. Pour me faire bien comprendre, je prends souvent l'image de l'ampoule électrique. Une ampoule, c'est un objet quelconque, tant que le courant ne passe pas. Mais dès que le courant passe, elle devient rayonnante de lumière. Il en est de même pour nous. Notre destinée est de laisser passer le courant. Nous ne serons pleinement nous-mêmes que lorsque Dieu nous aura envahis tout entiers. Alors nos corps, nos yeux, notre esprit, notre cœur seront transfigurés par la Parole d'Amour. Peut-être qu'actuellement nous n'existons qu'en brouillons, mais le brouillon est l'ébauche de l'œuvre définitive. Au temps de l'accomplissement, nous serons pleinement transfigurés. Dès aujourd'hui, il faut y travailler.
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