Le berger des brebis
La porte des brebis
Jésus parlait ainsi aux pharisiens : "Amen, Amen, je vous le dis : celui qui entre dans la bergerie sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. Celui qui entre par la porte, c'est lui le pasteur et le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il conduit dehors toutes ses brebis, il marche à leur tête, et elles le suivent, car elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un inconnu, elles s'enfuiront loin de lui, car elles ne reconnaissent pas la voix des inconnus."
Jésus employa cette parabole en s'adressant aux pharisiens, mais ils ne comprirent pas ce qu'il voulait leur dire. C'est pourquoi Jésus reprit la parole : "Amen, amen, je vous le dis: je suis la porte des brebis. Ceux qui sont intervenus avant moi sont tous des voleurs et des brigands ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu'un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra aller et venir, et il trouvera un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger et détruire. Moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie, pour qu'ils l'aient en abondance."
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 10, 1-10 QUATRIEME DIMANCHE DE PAQUES (A) oOo Une image dépassée
Je pense que si Jésus vivait de nos jours, il n'utiliserait pas l'image du berger et du troupeau de moutons pour nous transmettre son message. Mais il parlait il y a vingt siècles, il s'adressait à des gens qui vivaient dans une civilisation rurale, qui chaque jour voyaient des bergers et des moutons, s'ils n'étaient pas eux-mêmes des pasteurs. Certes, aujourd'hui encore il y a des troupeaux et des bergers, mais qui d'entre nous est vraiment au courant des problèmes de l'élevage (à part les cas exceptionnels de jeunes soixante-huitards qui se sont reconvertis dans l'élevage, mais ce sont des cas suffisamment rares pour qu'ils fassent l'objet de reportages dans les journaux ou à la télé.) De plus, il y a l'histoire de Rabelais et des moutons de Panurge qui a nui considérablement à l'image des troupeaux de moutons, symboles actuels de stupidité. Enfin, nos contemporains n'apprécient que très peu d'être comparés à un troupeau de moutons, troupeau docile conduit par un chef qui possède tous les pouvoirs et tout le savoir.
Image biblique
Pourtant l'image du berger est très présente dans la Bible. Elle est une image valorisante, aussi bien pour le berger que pour les brebis. Elle fait d'abord référence aux ancêtres pasteurs, les patriarches, Abraham, Isaac, Jacob. Mais aussi à la libération d'Égypte : Moïse est présenté comme le pasteur qui conduit le peuple vers la Terre promise à travers le désert. Ensuite, les auditeurs de Jésus pensent obligatoirement à David, le berger que Dieu a pris " derrière les brebis pour en faire le pasteur de son peuple ". Jésus parle dans la culture qui est la sienne. Son langage est localisé et daté. Que veut-il nous dire ? De quoi parle-t-il ? De lui, bien sûr et de ses relations avec nous. Mais, plus profondément, des relations de Dieu avec les hommes. Il prend des réalités de la vie quotidienne de son époque, comme il le fait d'ailleurs dans presque toutes les paraboles, mais c'est pour leur donner un sens nouveau. Opérer une espèce de retournement radical. C'est particulièrement le cas ici.
Renversement des valeurs
Un berger est un exploitant. Un troupeau n'existe que pour être exploité, au sens technique du mot. On tire de chaque brebis du lait, de la laine, puis de la viande, enfin une peau. Rien n'est perdu. Elle sert donc à notre alimentation aussi bien qu'à nous vêtir. Jésus ne parle pas de cela : une parabole ne prend pas en compte tous les aspects de la réalité qui lui sert simplement de point de départ. Relisons notre passage d'évangile : il n'est question que d'un enclos où le troupeau passe la nuit, d'un " guide ", et de la porte de l'enclos. Deux catégories d'hommes tentent d'approcher les brebis : d'un côté les voleurs, de l'autre le " vrai pasteur ". Quant à ce pasteur, il ne ressemble absolument pas aux bergers ordinaires : il vient pour que le troupeau " ait la vie ".
Voilà le renversement dont je vous parlais : l'éleveur, ordinairement, exploite le troupeau à son profit ; Jésus, lui, est un berger qui se fait exploiter par le troupeau. C'est le retournement évangélique. Plus loin, on lit que le bon pasteur " donne sa vie pour ses brebis ", au lieu de leur prendre la vie pour se nourrir. Nous voici en pleine perspective pascale !
La porte
Et comme les interlocuteurs de Jésus ne comprennent pas, celui-ci va utiliser une autre image, aussi peu lumineuse à première vue, d'ailleurs : Jésus se présente comme celui qui entre par la porte pour faire sortir, puis comme la porte par laquelle on passe. Sans doute l'évangéliste a amalgamé deux traditions différentes et les a regroupées ici. Peu importe. Donner la possibilité d'aller et de venir, d'entrer et de sortir, c'est introduire à la liberté. Une nouvelle fois, nous sommes témoins d'un retournement, d'un renversement de perspective : à l'image du pasteur détenteur du pouvoir sur le troupeau est substituée l'image d'un bon pasteur qui fait " entrer et sortir ". Certes, les brebis suivent le pasteur, mais elles n'y sont pas contraintes. C'est de leur plein gré, parce qu'elles le reconnaissent. Le Christ vient chez les siens : il n'entre pas comme un voleur. Et s'il entre, c'est pour faire sortir, pour libérer ceux qui le reconnaissent. Il y a connivence entre lui et les hommes qui sont " vie en lui ". C'est en vertu de cette connivence qu'il peur guider sans porter atteinte à la liberté. En la loi du Christ, l'homme reconnaît sa propre loi. Avec le Christ, nous ne sommes pas avec un étranger, mais avec ce qu'il y a de plus intime en nous-mêmes.
C'est seulement dans le sens de cet accompagnement de chaque homme jusqu'au lieu où il se sent chez lui que Jésus entend sa vocation de pasteur. Il s'agit d'atteindre ; puis de nourrir une confiance réciproque. Le Christ ne guide les hommes qu'en les rappelant à leur voix la plus intérieure, en les aidant à exprimer une connaissance depuis longtemps éprouvée, fût-elle profondément enfouie, afin qu'ils s'y reconnaissent. Un tel berger ne vient jamais de loin, il n'est jamais étranger à l'être, mais parle à ce qu'il y a de plus profond en soi. Et ce faisant, il fait de nous des hommes libres.
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