L'APOCALYPSE

(Gilles Brocard)


Article 2 : lettre à Ephèse

Introduction :
Les 7 lettres que nous allons regarder de plus près sont toutes structurées de la même manière : en fait l’auteur de l’apocalypse (Jean) se place dans la peau d’un médecin et fait l’état de santé de chaque Eglises : il se penche sur chacune d’elles, regarde les symptômes, puis il nomme le mal dont elle est atteinte et enfin il rédige une ordonnance avec les remèdes pour soigner cette Eglise particulière.
La manière dont Jean s’y prend est magnifique : avec des doigts d’infirmière, il dégage la plaie avec beaucoup de douceur sans pour autant cacher la vérité du mal dont souffre l’Eglise, car il sait qu’on ne peut prétendre guérir si l’on nie la blessure. Alors autant vous dire tout de suite que les Eglises d’Asie à l’époque ne sont pas en bonne santé ! À part une, les 6 autres sont bien mal en point, certaines vont plus mal que d’autres, bref, ça n’est pas folichon, ça ne respire pas vraiment la santé….
Et aujourd’hui … Qu’en est-il de la santé de nos Eglises locales ? Inutile de se voiler la face, nos Eglises paroissiales sont loin d’être toutes en bonne santé et il serait suicidaire de se persuader qu’elles sont vivantes, parce qu’il y a eu 2 millions de jeunes aux JMJ à Cracovie l’été dernier ou qu’un jeune prêtre vient d’arriver sur la paroisse. Bien sûr tout ne va pas mal et il faut savoir aussi regarder ce qui est porteur de vie et d’espoir. Mais repérer ce qui n’est pas évangélique dans sa communauté, au lieu de s’illusionner que tout va bien, permet à celle-ci de le devenir davantage (évangélique).
C’est ce que dit Dietrich Bonhoeffer (pasteur protestant) dans son livre « de la vie communautaire » : « On ne saurait faire le compte des communautés chrétiennes qui ont fait faillite pour avoir vécu d'une image chimérique de l'Eglise. Certes, il est inévitable qu'un chrétien sérieux apporte avec lui, la première fois qu'il est introduit dans la vie de la communauté, un idéal très précis de ce qu'elle doit être et essaye de le réaliser. Mais c'est une grâce de Dieu que ce genre de rêves doivent sans cesse être brisés. Pour que Dieu puisse nous faire connaître la communauté chrétienne authentique, il faut même que nous soyons déçus, déçus par les autres, déçus par nous-mêmes. Dans sa grâce, Dieu ne nous permet pas de vivre dans l'Eglise de nos rêves, dans cette atmosphère d'expériences bienfaisantes et d'exaltation pieuse qui nous enivre. Car Dieu n'est pas un Dieu d'émotions sentimentales, mais un Dieu de vérité. C'est pourquoi, seule la communauté qui ne craint pas la déception qu'inévitablement elle éprouvera en prenant conscience de toutes ses tares, pourra commencer d'être telle que Dieu la veut et saisir par la foi, la promesse qui lui est faite. Il vaut mieux pour l'ensemble des croyants, et pour le croyant lui-même, que cette déception se produise le plus tôt possible. Vouloir à tout prix l'éviter et prétendre s'accrocher à une image imaginaire de l'Eglise, destinée de toute façon à se dégonfler, c'est construire sur le sable et se condamner, tôt ou tard, à faire faillite. Nous devons bien nous persuader que nos rêves de communion humaine, quels qu'ils soient, constituent un danger public et doivent être brisés sous peine de mort pour l'Eglise. Celui qui préfère son rêve à la réalité devient un saboteur de la communauté même si ses intentions étaient, selon lui, parfaitement honorables et sincères. »
Ce texte puissant est très important pour moi car il met le doigt sur un point sensible chez les chrétiens : leur difficulté à oser dire ce qui ne va pas, qui est si difficile pour certains, y compris pour la hiérarchie, qui préfère parfois montrer une image idéalisée de l’Eglise plutôt que d’accueillir la réalité de sa pauvreté ! Or continue, Dietrich Bonhoeffer, « Dieu hait la rêverie pieuse, car elle fait de nous des êtres durs et prétentieux. Elle nous fait exiger l'impossible de Dieu, des autres et de nous-mêmes. Au nom de notre rêve, nous nous érigeons en juges sur nos frères et sur Dieu lui-même. Notre présence est pour tous comme un reproche perpétuel. Nous ressemblons à des gens qui pensent qu'ils vont pouvoir enfin fonder une vraie communauté chrétienne et qui exigent que chacun partage l'image qu'ils s'en font. Et quand les choses ne vont pas comme nous le voudrions, nous parlons de refus de collaborer, nous commençons par accuser nos frères, puis Dieu, puis, en désespoir de cause, c'est contre nous-mêmes que se tourne notre amertume. »
Voilà l’origine de cette dureté que nombre de personnes ressentent chez les chrétiens, et qui les fait souvent fuir. J’en rencontre beaucoup dans mes entretiens d’accompagnement spirituel, qui quittent l’Eglise sur la pointe des pieds car ils ne s’y sentent pas inconditionnellement accueillis. « Il en va tout autrement (termine Dietrich Bonhoeffer) quand nous avons compris que Dieu lui-même a déjà posé le seul fondement sur lequel puisse s'édifier notre communauté (le Christ) et que, bien avant toute démarche de notre part, il nous avait liés en un seul corps à l'ensemble des croyants par Jésus-Christ ; car alors, nous acceptons de nous joindre à eux, non plus avec nos exigences, mais avec des cœurs reconnaissants et prêts à recevoir. Nous remercions alors Dieu de ses bienfaits. Nous le remercions de nous donner des frères qui, eux aussi, vivent de son élection, de son pardon et sous sa promesse. Nous ne songeons plus à nous plaindre et nous lui rendons grâces de ce qu'il nous donne chaque jour. Il nous donne des frères appelés à partager notre vie faillible et inquiète sous la bénédiction de sa grâce. Que nous faut-il de plus ? Ne nous donne-t-il pas tous les jours, même aux plus difficiles et aux plus menaçants, cette présence incomparable ? Lorsque la vie de la communauté est gravement menacée par le péché et l'incompréhension, un frère demeure ton frère, même coupable. Cela nous fait comprendre que nous ne pouvons absolument pas compter, pour vivre ensemble, sur nos propres paroles, sur nos propres actions, mais uniquement sur la Parole et sur l'Action qui réellement nous lient les uns aux autres, à savoir le pardon gratuit de nos péchés par Jésus-Christ. La vraie communauté chrétienne est à ce prix : c'est quand nous cessons de rêver à son sujet qu'elle nous est donnée. »
Dietrich Bonhoeffer ne dit pas qu’il faut accepter les défauts de l’Eglise sans rien faire, il n’appelle pas au laxisme, au contraire, il invite à débusquer tout ce qui n’est pas évangélique dans le comportement des membres de la communauté afin que celle-ci devienne plus conforme à l’Evangile. Mais c’est sur la manière de le faire qu’il me paraît extrêmement pertinent : il s’agit de quitter l’idée de la communauté idéale, d’être dans la réalité pour laisser le Christ nous soigner, nous guérir, par sa Parole, sans quoi il n’y aura pas d’Eglise à l’image du Christ !
C’est exactement l’état d’esprit de Jean quand il écrit ses lettres aux Eglises. Alors peut être que la lecture de ces 7 lettres peut être une bonne occasion pour faire à votre tour le bulletin de santé de votre Eglise locale, (pas de l’Eglise en général), mais de la communauté à laquelle vous appartenez, de cœur ou géographiquement. Je crois maintenant que nous sommes prêts à lire la première lettre !


La lettre à l’Eglise d’Ephèse

Le contexte historico-géographique : Ephèse est la cité la plus importante du proconsulat d’Asie et le 3ieme plus grand port de l’empire romain. Situé sur le golfe de la mer Egée, Ephèse fleurissait comme un important centre commercial d’Asie. A l’époque du Nouveau Testament, la cité comptait au moins 250.000 habitants. L’Eglise d’Ephèse fut fondée par Paul. Il y restera 3 ans autour de l’an 53 (Ac 19, 1- 8) puis il laissera Timothée à Ephèse (1 Tm 1, 3) pour garder le dépôt de la foi et lutter contre les faux prophètes.

Voici le passage 2, 1 – 7 (je prends le texte de l'Apocalypse dans la traduction liturgique)
01 À l’ange de l’Église qui est à Éphèse, écris : Ainsi parle celui qui tient les sept étoiles dans sa main droite, qui marche au milieu des sept chandeliers d’or :
02 Je connais tes actions, ta peine, ta persévérance, je sais que tu ne peux supporter les malfaisants ; tu as mis à l’épreuve ceux qui se disent apôtres et ne le sont pas ; tu as découvert qu’ils étaient menteurs.
03 Tu ne manques pas de persévérance, et tu as tant supporté pour mon nom, sans ménager ta peine.
04 Mais j’ai contre toi que ton premier amour, tu l’as abandonné.
05 Eh bien, rappelle-toi d’où tu es tombé, convertis-toi, reviens à tes premières actions. Sinon je vais venir à toi et je délogerai ton chandelier de sa place, si tu ne t’es pas converti.
06 Pourtant, tu as cela pour toi que tu détestes les agissements des Nicolaïtes – et je les déteste, moi aussi.
07 Celui qui a de l’oreille, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises. Au vainqueur, je donnerai de goûter à l’arbre de la vie qui est dans le paradis de Dieu.

L’invit : (V 1) Au début de chaque lettre, le Christ qui parle à l’Eglise se définit lui-même : ici le Christ se définit comme Celui qui tient dans sa main les 7 Eglises, symbolisées par les 7 étoiles ou chandeliers d’or ! Cette description est rassurante, car quel que soit leur état de santé, elles sont dans la main de Dieu, elles sont dans la main de celui qui est la Vie, elles ne risquent donc pas de disparaitre !

Les symptômes : (V 2-3) « Je connais tes actions, ta peine, ta persévérance, je sais que tu ne peux supporter les malfaisants ; tu as mis à l’épreuve ceux qui se disent apôtres et ne le sont pas ; tu as découvert qu’ils étaient menteurs. Tu ne manques pas de persévérance, et tu as tant supporté pour mon nom, sans ménager ta peine ».
Ephèse est la plus vieille Eglise d’Asie, prise dans ses habitudes, ayant repoussé les faux apôtres (ils étaient légion à l’époque) c’est une Eglise persévérante, courageuse, mais peut être davantage par sens du devoir que par amour. Jésus, en bon pédagogue, applique ici la méthode de la tarte au citron meringuée : il donne à gouter la meringue sucrée (ta persévérance) avant d’arriver à ce qui coince et qui fait grincer les dents : le citron au verset 4.

Le mal : (V 4) « Mais j’ai contre toi que ton premier amour, tu l’as abandonné. Autrement dit, « tu as perdu ton amour d’antan ». L’Eglise d’Ephèse a perdu son amour pour le Christ. Elle n’est plus alimentée par l’amour du Christ. Dans cette Eglise, tout fonctionne bien, tout est organisé, chacun est bien à sa place, mais il n’y a pas de fraîcheur, pas de ferveur, plus d’amour ! L’Eglise est installée et personne ne veut pas que ça change, car « on a toujours fait comme ça » ! Il n’y a plus d’ouverture à la nouveauté, l’énergie est employée à conserver ce qui est en place.

Les remèdes : (V 5a) « Eh bien, rappelle-toi d’où tu es tombé, convertis-toi, reviens à tes premières actions. » Jésus donne ici 2 étapes pour une guérison durable :

Rappelle-toi ton état d’avant, rappelle-toi ton amour d’antan, regarde-toi maintenant et constate les changements, bref, fais mémoire et vois ce que tu es devenu !

Repens-toi, c’est-à-dire change de direction, retrouve ta pente naturelle, reprends ta conduite première, celle de ton cœur aimant, qui a pu se scléroser au cours du temps.

V 5b : Sinon je vais venir à toi et je délogerai ton chandelier de sa place, si tu ne t’es pas converti. » Cette menace du Christ est à entendre de façon pédagogique : Jésus veut bousculer Ephèse pour qu’elle ne perde pas son rang de fille ainée de l’Eglise, si j’ose dire, car elle a un rôle de témoin pour les autres Eglises, il ne veut pas que les autres Eglises deviennent comme elle, lui ressemble, alors Jésus lui dit comme il a dit à l’infime de la piscine de Bethzata (Jn 5, 8) « Ephèse, lève-toi, prend ton brancard et marche, va de l’avant ». C’est une sorte de coup de pied aux fesses pédagogique !
V 6 - Il y a cependant pour toi que tu détestes les agissements des Nicolaïtes, que je déteste moi-même. – Voici un nouveau compliment. Jésus est encore très pédagogue ici : en soulignant une qualité de l’Eglise d’Ephèse : « tu détestes les agissements des Nicolaïtes » il invite les membres de cette Eglise à retrouver leur capacité d’indignation qui s’origine sur un amour réel pour Jésus, sans quoi ils n’auraient pas d’indignation pour les nicolaïtes. Les Nicolaïtes étaient des disciples de Nicolas d’Antioche, qui proposaient de satisfaire des désirs immédiats, surtout en matière sexuelle et alimentaire.
La recommandation finale : v 7a – « Celui qui a de l’oreille, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Eglises ». Je préfère cette traduction à celle plus habituelle : « celui qui a des oreilles » car on a tous des oreilles !!! Mais avoir de l’oreille, c’est différent ! L’Evangile, c’est une affaire d’oreilles, d’écoute ! Voilà un défi personnel lancé à chaque membre de l’Eglises et une invitation à ceux qui entendent les paroles de ce livre à prendre son message à cœur. Il s’agit d’avoir de l’oreille, d’écouter cette parole de Vie, pour retrouver cet amour qui nous a donné un jour de croire en Celui qui nous veut vivant.
Enfin la promesse : v7b - Au vainqueur, je ferai manger de l’arbre de vie placé dans le Paradis de Dieu. - Pour chaque Eglise, il y a une promesse pour celui qui triomphe. Le fruit de l’arbre de vie fait allusion ici à la genèse (Gn 2, 9) où Dieu plante au milieu de son jardin un arbre de vie : cet arbre puise son eau dans le fleuve de vie, dont Christ est la source et son fruit est promis aux Humains. C’est donc la vie éternelle qui est promise ici aux membres de l’Eglise d’Ephèse, ou tout du moins, à ceux qui auront pour Jésus un amour réel.
Voilà, ces 7 premiers versets et ces quelques commentaires pour pouvoir maintenant réfléchir à votre propre Eglise locale : y a-t-il quelque chose que Jean a pointé qui ressemblerait de près ou de loin à ce que vous vivez dans votre communauté ? En quoi vous y reconnaissez-vous ? Que pensez-vous du remède qui consiste à aller chercher en soi les solutions à ses propres maux ?
Si vous ne trouvez pas de point commun, pas d’inquiétude, il y a encore 6 autres églises, il y en a sûrement une dans laquelle vous vous retrouverez.
Au mois prochain et n’oubliez pas, « la vraie communauté chrétienne est à ce prix : c'est quand nous cessons de rêver à son sujet qu'elle nous est donnée ».


Gilles Brocard

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