Article 3 - Lettre à l’Eglise de Smyrne
(Ap 2, 8 – 11)
Le
contexte historico-géographique : Smyrne,
c’est la ville d’Izmir aujourd’hui, qui se situe à environ 60 km au nord
d’Ephèse sur la côte d’Egée en Turquie. A l’époque, Smyrne était très connue
pour son port en activité depuis -195 avant Jésus-Christ. Elle est aussi la
première ville du monde ancien à construire un temple en l’honneur de la déesse
Roma. Ces liens avec Rome et la population juive nombreuse et influente rendaient
la vie difficile aux chrétiens de Smyrne. Ils ont connu plusieurs persécutions
sévères. Le martyr le plus célèbre de Smyrne fut « Polycarpe », le
« douzième martyr de Smyrne », qui, lorsqu’il refusa de rendre un
culte à César fut brûlé. Ce saint m’est particulièrement proche car St Ferjeux
fut envoyé évangéliser la Franche-Comté (ma région natale et actuelle) par St
Irénée de Lyon, lui-même disciple de St Polycarpe !
Le passage : Ap 2, 8 - 11
08 À l’ange de l’Église qui est à Smyrne, écris : Ainsi parle celui qui est le Premier et le Dernier, celui qui était mort et qui est entré dans la vie :
09 Je sais ta détresse et ta pauvreté ; pourtant tu es riche ! Je connais les propos blasphématoires de ceux qui se disent Juifs et ne le sont pas : ils sont une synagogue de Satan.
10 Sois sans aucune crainte pour ce que tu vas souffrir. Voici que le diable va jeter en prison certains des vôtres pour vous mettre à l’épreuve, et vous serez dans la détresse pendant dix jours. Sois fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de la vie.
11 Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises. Le vainqueur ne pourra être atteint par la seconde mort.
L’adresse : v8 - « A l’Ange de l’Eglise de Smyrne, écris : Ainsi parle le Premier et le Dernier, celui qui était mort et qui est entré dans la vie. Comme à chaque fois, l’auteur de l’apocalypse profite de l’adresse de la lettre pour définir d’une manière unique le Christ : ici il rappelle que le Christ est non seulement l’alpha et l’oméga (un des titres du Christ courant à l’époque) mais aussi qu’Il est mort et ressuscité ! Dire qu’il est l’alpha et l’oméga, c’est dire qu’il tient tout, que tout est dans sa main, qu’il n’y a donc rien à craindre. Dire qu’il est mort et ressuscité, c’est dire que les chrétiens persécutés, même s’ils meurent, ressusciteront. Cette définition du Christ est destinée sans conteste à réconforter les chrétiens de Smyrne qui se trouvent confrontés à la persécution.
Les symptômes v9 – « Je connais ta détresse et ta pauvreté - pourtant tu es riche. » L’Eglise de Smyrne a souffert de la persécution des juifs à son égard, elle n’a plus de biens, plus de communauté structurée, les pasteurs ont été tués, elle est dans un réel dénuement. « Je connais les propos blasphématoires de ceux qui se disent Juifs et ne le sont pas : ils sont une synagogue de Satan. Ces pauvres chrétiens de Smyrne sont l’objet de calomnies de la part des juifs qui tenaient l’économie de la ville ! Ils sont raillés car ce sont des juifs devenus chrétiens, qui pour les juifs, ont donc renié leur foi. C’est une Eglise d’exclus, de petits, de rejetés, broyés par la persécution. En ce sens, elle est pauvre, affaiblie, pourtant, nous dit st Jean, elle est riche. Cette pauvreté-là est à entendre comme la première béatitude, « heureux les pauvres » qui donne à penser que la pauvreté, le dénuement, la détresse ne sont pas uniquement des choses négatives, mais des moyens pour vivre plus pleinement. Bien sûr ceci est folie aux yeux du monde mais sagesse aux yeux de Dieu comme le dit st Paul : « Car ce qui serait folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes, et ce qui serait faiblesse de Dieu est plus fort que la force des hommes » (1 Co, 1, 25) et Paul ajoute : « C’est lorsque je suis faible que je suis fort ». C’est bien ce qu’ont bien compris St François d’assise et le pape François aujourd’hui.
Le mal : le problème, c’est que cette Eglise est riche mais ne le sait pas ; elle se lamente sur ses pauvretés à tel point qu’elle ne voit plus qu’elle est riche ! Cela nous ressemble drôlement vous ne trouvez pas ? Nous savons que c’est dans notre faiblesse que Dieu peut agir et faire son œuvre, mais que c’est dur d’accepter nos pauvretés ! Nous n’aimons pas ça ! Alors que faisons-nous ? Nous luttons contre nos pauvretés en les niant et en disant « même pas peur » ! Le Christ, par la bouche de St Jean, nous invite ici à accueillir la réalité telle qu’elle est, afin de laisser Dieu agir en elle. Mais tant que nous n’accueillons pas cette réalité, Dieu n’a pas de prise sur elle et ne peut pas agir ! Voilà le mal dont souffre l’Eglise de Smyrne et peut-être nous-même ou notre communauté : ce n’est pas d’être pauvres (car finalement nous le sommes tous un peu quelque part) mais de croire que la pauvreté est un mal alors qu’elle est un bien. Aveuglés par notre refus d’accepter nos pauvretés, nous ne voyons pas que nous sommes riches … de ressembler à Dieu ! Il faut dire que la société ne nous aide pas à accepter nos pauvretés, elle qui sans cesse nous invite à la perfection et exclut tout ce qui semble avoir un défaut.
Le remède : v10 – « Ne crains pas les souffrances qui t’attendent : voici, le Diable va jeter des vôtres en prison pour vous tenter et vous aurez dix jours d’épreuve. Reste fidèle jusqu’ à la mort, et je te donnerai la couronne de vie. » Face aux persécutions, st Jean ne leur cache pas la réalité, il veut qu’ils sachent que la souffrance fait partie de toute vie du vrai disciple. « Dix jours » est un chiffre symbolique qui désigne une période indéterminée mais courte. Le remède qu’il propose consiste à regarder la réalité en face et de laisser le Christ donner ce qu’il veut bien nous donner : « la couronne de vie » qui signifie la vie en plénitude, une vie pleine, dense, qui ne peut s’arrêter avec la mort, car au moment de notre mort, ne meurt que ce qui est mortel. C’est ce qui s’est passé pour Jésus et c’est ainsi que j’entends sa résurrection : rien en Lui n’est mort avec sa mort, car tout était vivant en lui ; du coup, toute sa vie a été éternisée, divinisée. Vous me direz « oui mais lui c’est Jésus » ! Certes, mais « il est le premier né d’une multitude de frères » nous dit l’Evangile, c’est donc que nous pouvons suivre son chemin, lui ressembler, en accueillant le tout de notre vie, les zones sombres comme les zones lumineuses et laisser le Christ les baigner de sa présence. Il n’y a que cela qui nous rendra vivant jusqu’à la mort.
En fait le vrai problème, ce n'est pas de savoir si nous serons vivants après la mort (cela est certain pour moi) mais, si nous serons vivants avant la mort. C'est cela la grande tragédie, finalement, c'est de n'avoir pas vaincu la mort durant la vie. L'immense majorité des hommes sont des morts vivants qui sont morts avant de mourir, parce qu’ils n'ont pas conquis la mort et ne l'ont pas vaincue de leur vivant.
Le remède consiste donc à mourir en vie ! En accueillant la vie donnée par le Christ grâce aux moments difficiles de notre vie qui nous ont rendu pauvres. La seule chose à faire est d’accueillir nos pauvretés sans les rejeter et sans nous y attacher non plus, en sachant que « accueillir ce n’est pas applaudir ». Accueillir, c’est reconnaitre notre bassesse pour mieux laisser le Christ y plonger et nous relever. Or souvent nous (ou nos communautés chrétiennes à l’instar de l’Eglise de Smyrne) refusent cet état de pauvreté et la combattent de toutes leurs forces, du coup ils empêchent le Christ d’agir et de leur donner la couronne de vie ! Car pour pouvoir recevoir, il faut accepter d’être pauvre, de manquer ! c’est bien ce que nous dit la première béatitude que je traduis ainsi : « Heureux ceux qui acceptent de manquer, ils pourront recevoir ce que le Christ veut leur offrir (le royaume ou la couronne de vie) » !
Enfin la promesse : v11 – « le vainqueur n’a rien à craindre de la seconde mort. » La seconde mort est celle d’une vie éternelle hors de la présence de Dieu, donc hors de la Vie ! La première mort, c’est la mort physique, la seconde mort c’est de ne pas être dans la présence du vivant. Voilà pourquoi je voudrais terminer ce commentaire par ces mots de Maurice Zundel « Il s’agit de vaincre la mort aujourd’hui même. Le ciel n’est pas là-bas : il est ici ; l’au-delà n’est pas derrière les nuages, il est au-dedans. L’au-delà est au-dedans, comme le ciel est ici maintenant. C’est aujourd’hui que la vie doit s’éterniser, c’est aujourd’hui que nous sommes appelés à vaincre la mort, à devenir source et origine, à recueillir l’histoire, pour qu’elle fasse, à travers nous, un nouveau départ. Aujourd’hui, nous avons à donner à toute réalité une dimension humaine pour que le monde soit habitable, digne de nous et digne de Dieu. »
Oui c’est aujourd’hui qu’il nous faut vivre en accueillant le Vivant en nous grâce à l’accueil de nos pauvretés. Voilà le message de Jésus à l’Eglise de Smyrne, grâce à la vision de St Jean. Peut-être est-ce l’occasion de nous interroger à notre tour sur notre propre bilan de santé, sur le mal dont cette Eglise est atteinte et sur les remèdes proposés.
Profitez de ce bon temps de l’Avent pour cela et au mois prochain, (et à l’année prochaine) pour découvrir la lettre à l’Eglise de Pergame.
Gilles Brocard