L'APOCALYPSE

(Gilles Brocard)


Article 7 : Lettre à Philadelphie

 

Le contexte :
Dès sa naissance en l'an 189 avant Jésus-Christ, Philadelphie prospéra pendant 2 siècles, et en l'an 17 de notre ère, un tremblement de terre l’a détruite entièrement. En raison des secousses sismiques fréquentes, Philadelphie ne fut jamais très peuplée. Mais comme elle était située sur la route de l'Orient, elle occupait toutefois une position stratégique : pour les peuples d’Orient, elle était la dernière étape avant de déboucher sur les centres vitaux de Smyrne et d'Ephèse, autrement dit, elle était la porte vers la Grèce et l'Italie.

Le texte : (Ap 3, 7 - 13)

07 À l’ange de l’Église qui est à Philadelphie, écris : Ainsi parle le Saint, le Vrai, celui qui détient la clé de David, celui qui ouvre – et nul ne fermera –, celui qui ferme – et nul ne peut ouvrir.

08 Je connais ta conduite ; voici que j’ai mis devant toi une porte ouverte que nul ne peut fermer, car, sans avoir beaucoup de puissance, tu as gardé ma parole et tu n’as pas renié mon nom.

09 Voici que je vais te donner des gens de la synagogue de Satan, qui se disent Juifs et ne le sont pas : ils mentent. Voici ce que je leur ferai : ils viendront, ils se prosterneront à tes pieds ; alors ils connaîtront que moi, je t’ai aimé.

10 Puisque tu as gardé mon appel à persévérer, moi aussi je te garderai de l’heure de l’épreuve qui va venir sur le monde entier pour éprouver les habitants de la terre.

11 Je viens sans tarder : tiens fermement ce que tu as, pour que personne ne prenne ta couronne.

12 Du vainqueur, je ferai une colonne au sanctuaire de mon Dieu ; il n’aura plus jamais à en sortir, et je graverai sur lui le nom de mon Dieu et le nom de la ville de mon Dieu, la Jérusalem nouvelle qui descend du ciel d’auprès de mon Dieu, ainsi que mon nom nouveau.

13 Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises.

 

L'adresse :

V 7 : A l’Ange de l’Eglise de Philadelphie, écris : ainsi parle le Saint, le Vrai, celui qui détient la clef de David : s’il ouvre, nul ne fermera, et s’il ferme, nul n’ouvrira. Jésus est décrit ici comme « le Vrai », celui qui parle vrai, qui révèle la vérité et la favorise. C’est ainsi que Jésus se définit dans l’Evangile de St Jean : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » ; autrement dit, le Chemin qui conduit à la Vie passe par la Vérité (le mot « vérité » est entre les deux mots « le chemin et la vie »). Voilà en quoi on peut dire que Jésus est saint : Il est saint, car il est vrai. La sainteté n’est pas une vertu, mais c’est notre humanité vécue en vérité, notre humanité accomplie, dans notre chair particulière et unique. Les saints sont les plus humains des Hommes, les plus vrais des humains.
Dans sa lettre à l’Eglise de Philadelphie, Jean nous dit aussi que Jésus détient « la clef de David », il pense certainement au chapitre 22 du livre d’Isaïe : « Et, ce jour-là, j’appellerai mon serviteur, Éliakim, fils d’Helcias. Je le revêtirai de ta tunique, je le ceindrai de ton écharpe, je lui remettrai tes pouvoirs : il sera un père pour les habitants de Jérusalem et pour la maison de Juda. Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira ». (Is 22, 20-22). On voit dans la figure d’Eliakim une figure messianique, un père pour le peuple, avec une certaine autorité : celle de pouvoir ouvrir ou fermer, bref avec le pouvoir des clés. Le mot « autorité » vient du latin « augerer » qui a donné le mot « augmenter » en français et qui signifie « faire grandir, faire croître ». Jésus « enseignait en homme qui a autorité et non pas comme les scribes » nous dit l’Evangile (Mt 7, 29). L’autorité du Christ consiste à faire croître, à faire grandir et à nous rendre auteur de notre vie. Voilà ce que signifie « avoir de l’autorité », ce qui vous l’aurez compris, n’a rien à voir avec l’autoritarisme. Jésus a non seulement donné aux Humains de croître, mais en plus, il nous a donné la possibilité de faire de même : j’ai lu cela dans l’Evangile de Matthieu : « Voyant cela, les foules furent saisies de crainte, et rendirent gloire à Dieu qui a donné une telle autorité aux hommes ». (Mt 9, 8). Dieu a donc donné aux Hommes la même autorité que Jésus ! Le sachant, il nous reste à l’exercer, c’est-à-dire à donner à ceux qui nous entourent la possibilité de croître et de devenir, à leur tour, auteurs de leur vie.


Les symptômes

V 8 : « Je connais ta conduite : voici, j’ai mis devant toi une porte que nul ne peut fermer, et, disposant pourtant de peu de puissance, tu as gardé ma parole sans renier mon nom ». Des louanges, rien que des louanges, il n’y a pas de reproche dans cette lettre. Certes, il est fait mention de la faiblesse de cette Eglise, mais ce n’est pas sous la forme d’un reproche, au contraire, c’est une qualité qui est soulignée ici. Cette Eglise avait peu de puissance, ce qui signifie sans doute que ses membres étaient peu nombreux et peu influents. Mais cette impuissance est ce qui constitue sa force : nous entendons en arrière fond la parole de St Paul : « C’est lorsque je suis faible que je suis fort » (2 Co, 12, 10). Comment comprendre cette parole si paradoxale ? C’est tout d’abord une incitation à sortir de la volonté de toute puissance et à laisser Dieu nous dire : « ma grâce te suffit ». Cette Parole nous dit aussi que la puissance de Dieu se déploie dans notre faiblesse, quand nous avons cessé de vouloir avancer seul et nous réaliser par nous-même. En fait, nous avons tous fait l’expérience que nos pauvretés nous rendent plus ouvert, que nos épreuves nous rendent plus compréhensifs, que nos fêlures permettent à la lumière de passer, bref, c’est comme si notre faiblesse ouvrait une porte en nous, pour que la grâce de Jésus (= son Esprit) puisse passer et nous rendre plus fort !
Il est justement question de « porte » dans ce verset 8 : « voici, j’ai mis devant toi une porte que nul ne peut fermer » : je vous ai dit que Philadelphie était considérée comme la porte entre l’orient et l’occident : cela me fait penser à Jésus qui se définit lui aussi comme « la porte » : « Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage ». (Jn 10, 7-9) Superbe image où l’on entrevoit le rôle de Jésus qui comme un bon berger, ouvre la porte pour nous conduire vers l’extérieur, vers de nouveaux pâturages et qui ferme aussi la porte pour nous protéger des voleurs et des bandits. Jésus ouvre une porte dans les âmes pour y faire pénétrer sa grâce et personne ne peut la fermer. De même, Il ferme aussi cette porte dans nos âmes pour faire obstacle aux menaces des adversaires et personne ne peut alors l'ouvrir.
Contrairement à l’Eglise de Pergame, de Thyatire et même de Sardes, qui ont laissé des adversaires entrer dans leur enclos ou qui sont restés repliés sur eux-mêmes, l'Eglise de Philadelphie a su faire du Christ sa porte pour aller et venir par elle. Des portes sans doute, lui sont fermées. Elle n'a pas l'audience des autorités de l'époque. Elle n'a pas de chaires célèbres, ni les postes enviés. Mais la porte de son cœur est ouverte sur le Christ, qui l’ouvre et la protège. Cet équilibre entre l’ouverture sur l’extérieur et le besoin de se retrouver entre soi n’est jamais facile à trouver, et il arrive parfois que certains chrétiens opposent la communion et la mission l’une à l’autre. Or seul le Christ qui est la porte peut nous aider à tenir les deux, sans nous perdre dans un excès d’ouverture ni risquer d’étouffer par un excès de fermeture ! Il y a là un critère très intéressant pour faire le bulletin de santé de votre Eglise locale ! Une communauté chrétienne doit être comme un cœur qui bat : La diastole est la phase de dilatation du cœur, (lorsque ses cavités se remplissent à nouveau de sang), avant la phase de contraction du cœur (la systole) pour éjecter le sang. Diastole : ouverture aux autres, mission, mouvement vers les périphéries, et systole : communion, temps de ressourcement, recentrement sur le Christ pour mieux repartir vers les autres, et ainsi de suite. C’est ainsi qu’une communauté est vivante, quand son cœur bat.  Et dans votre communauté, comment bat son cœur ?

 
La triple promesse : v 9 - 12a

« Voici que je vais te donner des gens de la synagogue de Satan, qui se disent Juifs et ne le sont pas : ils mentent. Voici ce que je leur ferai : ils viendront, ils se prosterneront à tes pieds ; alors ils connaîtront que moi, je t’ai aimé. » Jésus promet quelques conversions de juifs qui vont intégrer la communauté. Pas étonnant qu’une telle communauté rayonne et donne envie à d’autres de la rejoindre. Justement parce qu’elle ne paye pas de mine, parce qu’elle ne se gonfle pas d’orgueil.
Mais il y a une autre promesse : « Puisque tu as gardé mon appel à persévérer, moi aussi je te garderai de l’heure de l’épreuve qui va venir sur le monde entier pour éprouver les habitants de la terre. » (V 10) Comme le Christ reçoit sa solidité de son Père, ainsi nous pouvons espérer être solides avec le Christ qui nous garde et nous rend solides. Grâce à (et non malgré) leur pauvreté, l’Eglise de Philadelphie va pouvoir s’appuyer non sur ses propres forces, mais sur la force du Christ qui agit en elle. C’est ainsi et seulement ainsi qu’elle sera solide au moment de l’épreuve. L’épreuve dont il est question n’est pas une menace de Jésus, mais cette certitude que quelque chose doit mourir pour que autre chose advienne, que ce monde-là doit passer pour qu’un autre monde advienne. Nous le savons bien, il n’y a pas de résurrection sans mort ! N’est-ce pas ce que nous vivons en ce moment dans notre monde en transition ? La bonne nouvelle, c’est que le Christ est là dans ces moments là, comme il le redit au V 11 : « Je viens sans tarder : tiens fermement ce que tu as, pour que personne ne prenne ta couronne ». Il est là, il sera là toujours. C’est le message central du livre de l’apocalypse.
Le mot « couronne », rappelle la couronne du vainqueur remise à celui qui a couru la course jusqu’au bout. Dieu n’éprouve pas les hommes pour savoir jusqu’où ils vont tenir, mais il est là pour nous aider à tenir la course jusqu’au bout. Et pour cette belle Eglise de Philadelphie (dont le nom signifie « amour du frère ») une troisième promesse l’attend et pas des moindres : « Du vainqueur, je ferai une colonne au sanctuaire de mon Dieu ; il n’aura plus jamais à en sortir, et je graverai sur lui le nom de mon Dieu et le nom de la ville de mon Dieu, la Jérusalem nouvelle qui descend du ciel d’auprès de mon Dieu, ainsi que mon nom nouveau. (V12) Une colonne dans une église, solidement bâtie, servait à soutenir la voute, elle pouvait supporter des charges extrêmement lourdes. L'Eglise de Philadelphie a été cette colonne : elle a expérimenté la solitude, le vide autour d'elle, mais elle fut la colonne dont Dieu avait besoin en cette fin du 1er siècle de l'ère chrétienne. Elle était comparable aux colonnes du Temple de Salomon (2 Chron 3, 17) qui portaient chacune 2 noms : la 1ère se nommait Jakin (Dieu rend ferme), la 2ème s'appelait Boaz (en lui, la force). Pour une Eglise qui se sent faible, impuissante, quelle glorieuse certitude de savoir que sa force est en Christ et que c’est sur elle que toute l’Eglise tient malgré l’adversité. Oui, les pauvres, les petits sont la véritable colonne vertébrale de l’Eglise. Ce rappel me semble très éclairant pour réfléchir à l’Eglise actuelle et sa manière de tenir le coup dans la période de transition qu’elle traverse. Et dans votre Eglise locale, quelle place ont les pauvres ? Faites-vous Eglise « pour » les pauvres ou « avec » les pauvres ? autant de questions intéressantes à se poser pour continuer à faire le bulletin de santé de votre Eglise.

 

Conclusion : V 12b 

« Je graverai sur lui le nom de mon Dieu et le nom de la ville de mon Dieu, la Jérusalem nouvelle qui descend du ciel d’auprès de mon Dieu, ainsi que mon nom nouveau. » Quel cadeau pour l’Eglise de Philadelphie : cette Eglise va recevoir 3 noms : le nom du Dieu de Jésus-Christ, le nom de la Cité céleste, (Jérusalem) dont ils étaient citoyens par élection (Philip. 3, 20), et enfin, le Nom de Jésus, qu'ils ont confessé devant le monde. Recevoir un nom, c‘est recevoir une identité, c’est donc exister. Ce nom sera gravé dans la pierre ou le bronze, c’est-à-dire que cette inscription est indélébile. C’est vraiment le vœu de Dieu que de nous partager son nom et celui de Jésus, cela signifie que nous sommes créés non seulement à son image, mais que nous sommes devenus un peu plus « à sa ressemblance ».
Comme les autres lettres, cette lettre à Philadelphie est une bonne occasion de réfléchir à votre Eglise locale, et notamment à la pauvreté que vous vivez aujourd’hui. Nous avons si longtemps prié pour être pauvres et si Dieu nous avait exaucé ? Je me demande si la diminution du nombre de pratiquants, la pauvreté matérielle que l’Eglise connait aujourd’hui et même la crise des vocations, n’est pas un signe des temps, un signe de l’Esprit, la volonté de Dieu ? Jésus n’a-t-il pas dit : « heureux les pauvres, le royaume de Dieu est à eux » ! Il n’y a pas de raison que l’Eglise échappe aux béatitudes… non ?
Au mois prochain, pour le dernier article sur la dernière lettre aux Eglises d’Asie mineure : l’Eglise de Laodicée, une Eglise un peu tiède… comparée à celle de Philadelphie. 

 

Gilles Brocard


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