Caravage - "Une pauvre jeune femme"

      L’ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc  1, 39-56

 

En ces jours-là, Marie se mit en route rapidement vers une ville de la montagne de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors Élisabeth fut remplie de l’Esprit Saint et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car lorsque j’ai entendu tes paroles de salutation, l’enfant a tressailli d’allégresse au-dedans de moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur. Il s’est penché sur son humble servante : désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles : Saint est son nom ! Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères en faveur d’Abraham et de sa race à jamais. »

            Marie demeura avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.

oOo

Il existe au musée de Messine, en Sicile, un tableau du Caravage intitulé "L'adoration des bergers."  Lorsque j'en ai vu une reproduction pour la première fois, j'ai été saisi d'émotion. Des tableaux de la Nativité, tous les peintres en ont fait. En quoi celui-ci a-t-il retenu particulièrement mon attention ? Simplement parce qu'il représente Marie, assise, presque étendue par terre, serrant contre elle son bébé. Et surtout parce que le peintre a représenté Marie de manière inhabituelle ; un peu comme une pauvre jeune femme toute ordinaire, peut-être une errante, sans domicile fixe, que des gens du pays découvrent là, dans une grange. Marie en robe rouge, un pauvre foulard sur la tête. Profond réalisme, qui tranche avec toutes les représentations picturales de Marie. Mais réalisme propice à la méditation. On a tellement l'habitude de représenter Marie de manière irréelle, un peu comme une déesse ! L’Écriture, dans sa grande discrétion à son sujet, ne nous indique absolument rien qui pourrait ainsi fausser son image.

En cette fête de l’Assomption, je me permets de vous préciser quelques traits de ma propre dévotion à Marie. Et d'abord rectifier une idée commune autrefois, mais qui demeure dans l'esprit de beaucoup. Marie a réellement connu la mort, comme tout mortel, comme, avant elle, son fils Jésus. Savez-vous qu'il a fallu attendre 1997 pour que le pape Jean-Paul II apporte cette précision, pour détromper ceux qui pensaient que Marie était passée directement de la vie terrestre à la gloire du ciel. Je l'ai dit et répété souvent : l'Eglise orthodoxe a su éviter une telle erreur en parlant, non pas de l'Assomption, mais de la Dormition de Marie. Je crois donc que Marie s'est endormie paisiblement dans la mort, avant qu'elle ne soit prise et « assumée » par son Fils dans la vie éternelle, corps et âme, c'est-à-dire « en personne ». Simplement, elle nous précède, puisque nous aussi, nous sommes appelés à la Résurrection. C'est une question de temps. « Je crois en la résurrection de la chair : »

Autre chose : je n'aime pas l'expression « la Vierge Marie ». Bien sûr qu'elle est vierge, mais on ne dit jamais, à propos d'autres saintes, la Vierge Catherine, la Vierge Claire ou la Vierge Cécile. Quand je parle d'elle ou que je m'adresse personnellement à elle, je dis « Madame », de même que nous, collectivement, nous lui disons « Notre Dame ». Ce n'est que question de détail, me direz-vous. Mais pour moi, ce sont des détails qui comptent, en ce qu'ils marquent un type de relation plus personnelle, moins factice. A « ma dame », je ne dis pas non plus facilement « maman », moi qui suis âgé. Et je n'arrive plus à me représenter Marie avec une belle robe blanche et une ceinture bleu ciel, encore moins avec une couronne sur la tête, comme dans certaines reproductions d'apparitions. Je tiens à éviter toutes expressions d'un pauvre sentimentalisme. L'Evangile me suffit.

Quand Marie se désigne elle-même comme « humble servante du Seigneur », je vois cette jeune maman, dans son habitation semi-troglodytique (sans doute) de Nazareth, pauvre femme revenant de la corvée de bois, son fagot sur les épaules, ou de la corvée d'eau, sa cruche sur le tête, attelée quotidiennement aux tâches ménagères de toutes les femmes. Oh non, elle n'avait rien d'une vedette, encore moins d'une déesse ! C'est à elle que je m'adresse chaque jour, plus précisément chaque soir avant de m'endormir. Je ne vais tout de même pas l'appeler « ma mère », cette jeune femme ; « ma dame » convient mieux, pour dire affection, respect et admiration. Nous avons tant de choses à nous dire !

Que Marie ait été « bénie entre toutes les femmes », elle ne l'a pas montré dans son existence quotidienne. Si Elisabeth lui adresse ce compliment, c'est parce que l'évangile situe ces deux femmes, la jeune et l'ancienne, au terme de l'histoire. Alors, regardant « la première en chemin », comme dit le chant, sa cousine peut la complimenter, Marie, « heureuse, celle qui a cru ». Car c'est en cela qu'elle est particulièrement « bénie entre toutes les femmes ». Elle a cru en une parole qui lui a été adressée alors qu'elle n'était encore qu'une gamine, à peine sortie de l'enfance. Elle a assumé tous les risques que son « oui » allait lui apporter, les mystères douloureux comme les mystères joyeux que nous évoquons dans le chapelet. Car ce ne fut pas tous les jours le pur bonheur annoncé par Elisabeth. Madame Marie a dû sans doute, bien des fois, trouver que le Père lui en demandait trop ! Et pourtant, dans les jours de peine comme dans les moments de pur bonheur, elle a su garder confiance en la Parole entendue au premier jour. « Pleine de grâce », lui avait dit l'ange. En grec kekaritômenè, littéralement : très agréable, très aimable, digne d'être aimée,  gracieuse .. Un cantique traduit cela très bien : « Réjouis-toi, Marie, toute aimée de Dieu. »

Mais personnellement je préfère ces vers d'Henriette Charasson :

Mère de Dieu, divine ménagère
Qui besognez aux célestes parvis,
Reine angélique, et pauvre sur la terre,
Tout occupée à frotter le logis,
À cuisiner, à tirer l’eau du puits. [...]

Lasse ce soir de besognes vulgaires,
Le cœur serré d’absurdes chamaillis,
Je viens à vous pour vous dire ; ô ma Mère,
Donnez courage aux femmes d’aujourd’hui !
Vous qui, trente ans, travaillâtes sans bruit

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