THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
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Cette année 2015 :
NOS PERES DANS LA FOI
16 - ATHANASE D’ALEXANDRIE
par
Vénuste Linguyeneza
(Avril 2015)
IV. La théologie de saint Athanase
La pensée théologique d’Athanase pourrait se résumer en cette affirmation : le Christ est vrai Dieu. Il la répète dans une monotonie que certains jugent pesante. Ce ne fut pourtant pas une obsession ni une lenteur d’esprit. Ce fut l’arme de quelqu’un qui était toujours provoqué ou invité à expliquer que le Fils n’est pas une créature. Contre ses adversaires, il eut, lui aussi, recours à la raison et à la philosophie, il utilisait la pensée grecque, mais en la subordonnant à la foi : la priorité revient à la foi, il importe de distinguer la pensée humaine et la révélation divine, la vérité évangélique. Il a ainsi défendu la tradition chrétienne contre le danger d'hellénisation qui se cachait dans l’hérésie d'Arius et de ses partisans. Le patriarche parle et écrit comme évêque et non comme un philosophe chrétien.
Athanase n’a presque rien apporté sur le plan spéculatif, cependant l’histoire du dogme au 4ème siècle s’identifie à l’histoire de sa vie. Il posa les bases du développement théologique pour les siècles à venir. La doctrine trinitaire et christologique de l'Église lui doit ses idées fondamentales.
1. Trinité.
Arius avait affirmé que le Père a créé le Fils comme intermédiaire pour la création du monde. Athanase tient à rectifier et à présenter une Trinité « non constituée de créateur et de créé, mais tout entière créatrice ». Dans sa première Lettre à Sérapion, Athanase déclare :
Il y a donc une Trinité sainte et parfaite, reconnue comme Dieu dans le Père et le Fils et le Saint-Esprit ; elle ne comprend rien d'étranger, rien qui lui soit mêlé de l’extérieur ; elle n'est pas constituée de créateur et de créé, mais elle est tout entière vertu créatrice et productrice ; elle est semblable à elle-même, indivisible par sa nature, et unique est son efficience. En effet, le Père fait toutes choses par le Verbe dans l’Esprit, et c'est ainsi que l'unité de la Sainte Trinité est sauvegardée, ainsi que, dans l'Église, est annoncée un (seul) Dieu (qui est) au-dessus de tous et (agit) par tous et (est) en tous (Ephes., 4, 6) : « au-dessus de tous » comme Père, comme principe et source, « par tous » par le Verbe, « en tous » dans l'Esprit-Saint. La Trinité existe, non pas limitée à un nom et à l’apparence d'un mot, mais (comme) Trinité en vérité et réalité. Car de même que le Père est l’Existant, ainsi son Verbe est l’Existant et Dieu par-dessus tout, et l’Esprit-Saint n'est pas dépourvu d'existence, mais il est et subsiste vraiment. L'Église catholique ne pense rien de moins pour éviter de tomber au rang de ceux qui sont actuellement juifs à la manière de Caïphe et de Sabellius ; elle n'imagine rien de plus pour éviter de rouler dans le polythéisme des Gentils.
Pour Arius, le Père ne pouvait pas se rabaisser pour toucher la matière ; c’est pour cela que, pour la création du monde, il s’est fait une aide dans la personne du Fils. Athanase réfute :
S'ils disent que Dieu, ne voulant point se fatiguer à créer le reste, a fait seulement le Fils, toute la création réclamera contre ce langage inconvenant pour Dieu. Isaïe dit dans l'Écriture : « Le Dieu éternel qui a préparé les confins de la terre n'éprouvera ni la faim, ni la fatigue » (Is., 40, 28). Que Dieu, jugeant indigne de lui de créer le reste ait seulement créé son Fils et lui ait remis la charge des autres, comme à un aide, c'est cela qui est indigne de Dieu, car Dieu n'est pas un Dieu d'orgueil, et le Seigneur reprend (ceux qui pensent ainsi) quand il dit : « Ne vend-on pas deux passereaux pour un sou ? et pourtant l'un d'eux ne tombe pas sur la terre sans la volonté de votre Père qui est dans les cieux », etc. (Matth., 10,29). S'il n'est pas indigne de Dieu de se préoccuper même de choses si minimes, un cheveu, un passereau, l’herbe des champs, il n'était pas non plus indigne de lui de les créer. Ceux dont sa providence s'occupe, il en est le créateur par son propre Verbe. Ceux qui parlent ainsi rencontrent en effet une pire absurdité, car ils distinguent entre les créatures et la création, et ils considèrent cette dernière comme l’œuvre du Père, les créatures étant celle du Fils. Au contraire, ou bien toutes choses doivent être amenées à l'être par le Père avec le Fils, ou bien, si toutes les choses produites viennent à l'être par le Fils, nous ne devons pas l’appeler lui-même l’une des choses produites.
Quand on parle de père et de fils, la raison humaine met une distance de temps entre les deux : le fils vient après le père. Dans la Trinité, ce n’est pas le cas. Athanase reprend l’image célèbre à cette époque déjà, l’image de la lumière issue du soleil (comme l’image de la source et du fleuve), pour montrer que la génération divine diffère de la génération humaine en raison de l’indivisibilité de Dieu. Qui dit soleil, dit lumière, l’un ne peut pas être sans l’autre, il n’est pas possible d’avoir le soleil sans la lumière qu’il dégage, l’un et l’autre sont simultanés :
Puisque nous en sommes venus à parler du baptême, il est nécessaire d'expliquer pourquoi le Fils est nommé avec le Père. Ce n'est pas que celui-ci ne suffise point, ce n'est pas non plus sans raison et par hasard. C'est parce qu'il est le Verbe de Dieu et sa propre sagesse, sa splendeur ; il existe avec lui de toute éternité. Il est par suite impossible que si le Père offre la grâce, elle ne soit point donnée dans le Fils, car le Fils est dans le Père comme la splendeur dans la lumière. Ce n’est point par indigence que Dieu « a fondé la terre par sa sagesse » (Prov., 3, 19) mais parce qu'il est le Père. C'est pour cela aussi qu'il a tout fait par son Verbe et confirme le saint baptême dans le Fils. Où est le Père, là est aussi le Fils, comme où est la lumière, là est la splendeur. Comme ce que fait le Père, il le fait par le Fils, le Seigneur lui-même disant : « Ce que je vois faire à mon Père, je le fais aussi » (Jean, 5, 19), ainsi dans l’institution du baptême, celui que baptise le Père, le Fils le baptise aussi et le Saint-Esprit le rend parfait. Le soleil brille-t-il, on dit que sa splendeur illumine, car la lumière est une et l’on ne peut ni la diviser ni la partager. De même ici, que le Père existe ou soit nommé, le Fils s'y trouve aussi ; le Père est nommé au baptême, il est nécessaire que le Fils le soit aussi.
Le Fils est éternel comme le Père. Père et Fils sont deux, mais le même, parce qu'ils possèdent la même nature. L’argument veut réfuter une autre hérésie qui prétendait, toujours pour défendre l’unicité de Dieu, que le Père est tantôt le Fils et tantôt l’Esprit Saint :
Ils sont en effet un, non pas comme quand un être est divisé en deux parties, qui ne sont qu'un, ni comme l’un deux fois nommé, de sorte que le même est tantôt le Père, tantôt son Fils : Sabellius qui pensait ainsi a été jugé hérétique. Mais ils sont deux parce que le Père est Père et n'est point en même temps le Fils, et le Fils est Fils et n'est point le Père. Il n'y a qu'une seule nature, car ce qui est engendré n'est pas dissemblable de celui qui engendre ; il est son image et tout ce qui est du Père est du Fils. Aussi le Fils n'est-il pas un autre Dieu, car il n'a point été conçu du dehors, sinon il y aurait plusieurs dieux, avec cette divinité conçue étrangère au Père. Si le Fils est autre comme engendré, il est la même chose comme Dieu ; le Père et lui sont un par la propriété et la parenté de la nature, et par l’identité de l’unique divinité, comme il a été dit. La splendeur est aussi lumière ; elle n'est pas en dehors du soleil ni une autre lumière, ni par participation de lui, mais sa propre et complète génération. Pareille génération est nécessairement une unique lumière et l'on ne dirait pas qu'il y en a deux ; ils sont deux, à savoir le soleil et la splendeur, mais une seule lumière venant du soleil et illuminant dans la splendeur tout l'univers. Ainsi la divinité du Fils appartient au Père, aussi est-elle indivisible. Il n'y a qu'un seul Dieu et il n'y en a pas d'autre hors de lui. Le Père et le Fils sont donc une seule chose et unique est leur divinité. On dit du Fils tout ce qui est dit du Père sauf de l’appeler Père.
Athanase va jusqu’à dire qu’il ne peut y avoir qu'un seul Fils, puisqu'à lui seul il suffit à épuiser la fécondité du Père :
La progéniture des hommes est une partie des pères, car la nature même des corps n'est pas incomposée, mais à l'état fluent et faite de parties ; et les hommes perdent leur substance dans la génération, pour récupérer de la substance par assimilation de nourriture. Aussi les hommes avec le temps deviennent-ils pères de multiples enfants ; mais Dieu, étant incomposé, est Père du Fils sans partage ni passion, car il n'y a ni écoulement de l’immatériel, ni influx de l'extérieur, comme chez les hommes. Étant donc simple par nature, il n'est Père que d'un seul Fils, et ce dernier est l’Unique engendré, unique dans le sein du Père, seul reconnu par le Père comme venant de lui, selon l’Ecriture : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu » (Matth., 3, 17). Il est aussi le Verbe du Père, ce qui veut dire la nature impassible et indivisible du Père. En effet, si la parole humaine elle-même n'est pas engendrée avec passion ou division, à plus forte raison le Verbe de Dieu (Sur les décrets du concile de Nicée, 11).
Il y eut une hérésie qu’on a appelé le subordinatianisme, qui volait au secours de l’arianisme pour dire que le Fils est inférieur au Père, qu’il lui est subordonné, que c’est le Fils lui-même qui l’affirme. Effectivement dans l’évangile, on trouve des affirmations du Christ qui dit que le Père est plus grand, qu’il lui doit obéissance, puisqu’il est venu faire sa volonté. Si le Fils dit : « Le Père est plus grand que moi », cela signifie : le Père est l'origine, le Fils la dérivation (Or. c. Arian., 3, 3 ; 4 EP 760-776). Engendré de toute éternité, le Fils est de la substance du Père, il est consubstantiel au Père. L’expression fut employée par le concile de Nicée et Athanase la juge absolument essentielle et exacte, tandis qu'il écarte comme insuffisant le mot « semblable » :
Dire seulement « semblable en substance », n'est pas tout à fait dire ce qu'affirme l’expression « de la substance », qui - eux-mêmes le reconnaissent - fait ressortir le lien naturel entre le Fils et le Père. L'étain est seulement semblable à l’argent, le loup au chien, le cuivre doré à l'or véritable, et l'étain ne provient pas de l’argent ni le loup ne saurait être fils du chien. Mais comme ils disent à la fois et « de la substance » et « semblable en substance », que signifient-ils par-là, sinon le « consubstantiel » ? Qui affirme seulement le « semblable en substance » ne caractérise pas tout à fait ce qui vient de la substance, mais qui parle de « consubstantiel » embrasse le sens des deux expressions « semblable en substance » et « de la substance ». Eux-mêmes, s'attaquant encore à ceux qui disent que le Verbe est créature et ne veulent pas qu'il soit Fils authentique, ont emprunté leurs preuves contre eux aux exemples humains du fils et du père, mais avec cette exception que Dieu n'est pas comme l’homme et que la génération humaine n'est pas la génération du Fils qui est telle qu'il convient à Dieu et que nous devons la concevoir. Ils ont en effet appelé le Père source de la vie, le Fils splendeur de la lumière éternelle et qui se dit lui-même engendré de la source : « Je suis la vie » (Jean, 14, 6), et : « Moi, la sagesse, j'ai habité le conseil » (Prov., 8,12). Or la splendeur de la lumière, la génération de la source, le Fils du Père, quel nom convenable veulent-ils, hors du « consubstantiel » (Sur les synodes, 41).
2. Verbe et rédemption.
En parlant du Verbe, Athanase développe l’idée de la rédemption :
Il s'est fait homme pour que nous devenions Dieu ; il s'est rendu visible en son corps pour que nous nous fassions une idée du Père invisible ; il a supporté les outrages des hommes afin que nous ayons part à l’immortalité (Sur l’incarnation du Verbe, 54).
Le Verbe donc voyait que la corruption des hommes ne pouvait être détruite que par la mort. Mais il n'était pas possible que le Verbe mourût, étant immortel et fils du Père ; aussi, il prend pour lui un corps capable de mourir, afin que, participant au Verbe qui est au-dessus de tout, ce corps soit capable de mourir pour tous, et que, grâce au Verbe qui habite en lui, il reste incorruptible et désormais fasse cesser en tous la corruption par la grâce de la résurrection. Ainsi, comme un sacrifice et une victime sans aucune tache, il offre à la mort ce corps qu'il a pris pour lui, et aussitôt il fait disparaître la mort en tous ses semblables par l'offrande d'une victime qui leur ressemble. Il est juste que le Verbe de Dieu, qui est supérieur à tous, en offrant son temple et l’instrument de son corps en rançon pour tous, paie notre dette en sa mort. Ainsi uni à tous les hommes par un corps semblable au leur, le Fils incorruptible de Dieu peut justement revêtir tous les hommes d'incorruptibilité et leur promettre la résurrection. Et la corruption même de la mort n'a plus de pouvoir contre les hommes, à cause du Verbe qui habite parmi eux en un corps semblable au leur (Sur l’incarnation du Verbe, 9).
Pour l’évêque d’Alexandrie, Dieu a voulu nous sauver ; d’où la nécessité de l’incarnation et de la mort. Nous n'aurions pas été rachetés, si Dieu lui-même ne s'était pas fait homme, et si le Christ n'avait pas été Dieu. Le Fils de Dieu, en prenant la nature humaine, a déifié l’humanité ; il a vaincu la mort non seulement pour lui-même, mais pour nous tous :
Et ainsi il prend de nous une nature semblable à la nôtre, et comme tous nous sommes soumis à la corruption et à la mort, pour tous il livre son corps à la mort, le présentant au Père, et faisant cela par philanthropie. Ainsi, puisque tous meurent en lui, la loi de corruption portée contre les hommes sera brisée, après avoir exercé tout son pouvoir sur le corps du Seigneur, et n'ayant plus dès lors à sévir sur les hommes ses semblables. Il ramène à l’incorruptibilité les hommes qui étaient retournés à la corruption, il les vivifie en les arrachant à la mort, en s'appropriant un corps, et par la grâce de la résurrection, il fait disparaître loin d'eux la mort, comme une paille dans le feu (Sur l’incarnation du Verbe, 8).
Le Verbe ne pouvait pas nous sauver s’il n’est pas vrai Dieu, s’il n’a pas la nature divine en propre. Si le Christ était Dieu, non par nature, mais par participation, il n'aurait jamais pu former la ressemblance de Dieu en qui que ce soit, car celui qui ne possède que ce qu'il emprunte aux autres, ne peut rien leur donner :
En recevant de lui, nous avons part au Père, car ce qu'est le Verbe appartient au Père. C'est pourquoi, s'il fut lui-même aussi le fruit de la participation, et s'il n'a reçu du Père sa divinité et son image essentielles, il ne déifie pas, étant lui-même déifié. Il est impossible en effet que celui qui ne possède que par participation accorde de cette participation aux autres, car ce qu'il possède ne lui appartient pas en propre, mais à celui qui le lui a donné, et ce qu'il a reçu n'est rien de plus que la grâce qui lui est accordée à lui-même (Sur les synodes, 51).
La pensée d’Athanase à ce propos, peut se résumer dans cette parole devenue célèbre : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ».
3. Christologie.
Avec l’arianisme et ses dérivés, Athanase a beaucoup exploré la relation du Fils avec le Père. Mais il a aussi réfléchi à la personne du Christ elle-même. Comment être à la fois vrai Dieu et vrai homme ? Tout en maintenant la distinction réelle entre la divinité et l’humanité après l’incarnation, il souligne l’unité personnelle du Christ :
Comme il est Verbe de Dieu, il le demeure après que « le Verbe s'est fait chair » ; et tandis qu' « au commencement était le Verbe », la Vierge, à la consommation des siècles, conçut, et le Seigneur se fit homme. Celui qui est indiqué par ces deux propositions est une seule personne, car « le Verbe s'est fait chair ». Mais les expressions employées au sujet de sa divinité et de son incarnation, doivent être interprétées avec discrimination et d'une façon qui convienne au contexte particulier. Celui qui écrit sur les attributs humains du Verbe sait aussi ce qui se rapporte à sa divinité, et celui qui parle de sa divinité n'ignore pas ce qui appartient à sa venue dans la chair, mais, discernant toute chose comme un habile et « bon changeur », il marchera sur le droit chemin de la piété. Quand donc il parle de ses larmes, il sait que le Seigneur, s'étant fait homme, tandis qu'il manifeste son caractère humain par les larmes, en tant que Dieu, ressuscita Lazare ; il sait qu'il connut la faim et la soif physiques, bien qu'il nourrît divinement cinq mille personnes au moyen de cinq pains ; et il sait que, tandis qu'un corps humain repose dans la tombe, il fut ressuscité comme corps de Dieu par le Verbe lui-même.
Ainsi, tout ce que le Seigneur fit comme Dieu et comme homme appartient à la même personne :
Fils véritable de Dieu, il s'est fait Fils de l'homme ; Fils unique de Dieu, il s'est fait le premier-né parmi beaucoup de frères. Aussi n'y avait-il point un Fils de Dieu antérieur à Abraham, et un autre après Abraham ; autre n'était point celui qui ressuscitait Lazare, autre celui qui posait des questions sur lui ; c'était le même qui humainement disait : Où git Lazare ? et divinement le ressuscitait ; le même qui, dans son corps, crachait comme un homme et divinement, en Fils de Dieu, ouvrait les yeux de l’aveugle-né ; qui souffrait dans sa chair, comme l'a dit saint Pierre, et par sa divinité ouvrait les tombeaux et ressuscitait les morts (Tome aux Antiochiens., 7).
L'unité personnelle entre la nature divine et la nature humaine est la raison pour laquelle Marie est réellement et en vérité « Mère de Dieu » (theotokos) :
Le but et la marque distinctive de l’Ecriture, comme je l’ai souvent dit, est d'annoncer une double doctrine sur le Sauveur : qu'il était toujours Dieu et Fils, étant Verbe, splendeur et sagesse du Père, et que plus tard, pour nous, ayant pris chair de la Vierge Marie, la mère de Dieu (theotokos), il s'est fait homme » (Discours contre les ariens 3, 29 ; 3, 14).
Quid de l’adoration que nous devons au Christ, même dans sa nature humaine ? Parce que l’adoration est exclusivement réservée à Dieu, les ariens attaquaient les « nicéens » en disant que ceux-ci adorent une créature, si c’est vraiment le Fils de Dieu qui est devenu homme. Voici la réponse d’Athanase :
Nous n'adorons point une créature, oh ! non. Les païens et les ariens commettent cette erreur ; c'est le maître de la création fait chair, le Verbe de Dieu que nous adorons. Bien que sa chair en elle-même fasse partie des créatures, elle est devenue le corps de Dieu. Nous n'adorons point ce corps en lui-même, isolé du Verbe ; voulant adorer le Verbe, nous ne le séparons pas non plus de la chair, mais sachant que « le Verbe s'est fait chair », nous le reconnaissons Dieu, même quand il s'est fait chair. Qui est assez insensé pour dire au Seigneur : Éloigne-toi de ton corps, pour que je t'adore ? (Lettre à Adelphius, 3).
Si Dieu s’est fait homme, il s’est abaissé, mais il ne s’est pas rabaissé de telle sorte qu’on puisse dire que c’est à sa honte ; au contraire, l’incarnation et la mort du Christ allaient à l’honneur de Dieu, nous donnant une raison de plus d'adorer le Seigneur :
Le Verbe prenant un corps n'est point diminué, de manière à demander la grâce ; il a au contraire divinisé ce qu'il a revêtu et l’a donné au genre humain. De même que le Verbe était toujours adoré, étant Verbe et existant dans la forme de Dieu, de même, quoique devenu homme et appelé Jésus, il n'en a pas moins sous les pieds toute la création, qui fléchit le genou à ce nom et confesse que l’incarnation du Verbe et la mort qu'il a subie dans sa chair n'ont pas été pour le déshonneur de sa divinité, mais pour la gloire du Père. La gloire du Père est de retrouver l’homme créé et perdu, de vivifier le mort et de le rendre temple de Dieu. Comme au ciel, les puissances, les anges et les archanges qui ont toujours adoré le Seigneur l’adorent maintenant au nom de Jésus, c’est notre grâce et notre exaltation que, devenu homme, le Fils de Dieu soit adoré ; les puissances célestes ne s'étonnent point que nous soyons, nous, qui avons le même corps que lui, introduits tous dans leurs rangs (Discours contre les ariens, 1,42).
4. Saint-Esprit.
Les ariens et leurs affiliés niaient la divinité du Fils et, par conséquent, la divinité de l’Esprit-Saint. Il est vrai que la controverse sur le Saint-Esprit sera plus explicite les années après, mais du vivant d’Athanase, l’hérésie faisait déjà son chemin. L'enseignement d'Athanase sur la divinité du Saint-Esprit et son identité d'essence avec le Père suit la ligne de pensée christologique de Nicée. Le Saint-Esprit doit être Dieu car, s'il était une créature, nous n'aurions en lui aucune participation divine. Cette idée revient maintes fois dans les Lettres à Sérapion :
Celui donc qui n'est pas sanctifié par un autre, ni participant de la sanctification, mais qui est lui-même participable, celui en qui toutes les créatures sont sanctifiées, comment serait-il un de tous ces êtres (créés), propre à ceux qui participent à lui ?...
Si, par la participation de l’Esprit, nous devenons « participants de la nature divine » (2 Pet., 1, 4), bien insensé serait quiconque dirait que l’Esprit appartient à la nature créée et non à celle de Dieu. C'est pour cela, en effet, que ceux en qui il se trouve sont divinisés. Que s'il divinise, nul doute que sa nature ne soit (celle) de Dieu (Lettre à Sérapion, 1 23).
Du fait que le Saint-Esprit fait partie de la Sainte Trinité et que celle-ci est homogène, il va de soi qu’il n'est pas créé, mais qu’il est Dieu :
Pour la même raison également, c'est folie que de dire que (l'Esprit) est une créature, car, s'il était créature, il ne serait pas rangé avec la Trinité. Il suffit de savoir que l’Esprit n'est ni créature, ni compté parmi les œuvres (de Dieu) : en effet, rien d'étranger n'est mêlé à la Trinité, mais elle est indivise et semblable à elle-même (Lettre à Sérapion, 1, 17).
En conséquence, le Saint-Esprit est, comme le Fils, consubstantiel (de même substance, de même nature que) au Père :
Que si l’Esprit-Saint est unique tandis que les créatures sont multiples et multiples les anges, quelle ressemblance y a-t-il entre l’Esprit et les êtres venus à l’existence ? Il est manifeste que l’Esprit n'est pas du nombre des êtres multiples, ni non plus un ange, mais qu'il est unique et même propre au Verbe, qui est unique, et propre à Dieu, qui est unique, et consubstantiel à eux.
Ainsi donc, les considérations faites (par l'Écriture) au sujet du Saint-Esprit montrent déjà à elles seules et par elles-mêmes qu'il n'a rien de commun ni de propre, quant à la nature et la substance, avec les créatures, mais qu'il est propre à la substance du Fils, par laquelle, appartenant aussi à la Trinité, il couvre de honte la stupidité des adversaires (Lettre à Sérapion, 1, 27).
Quid de la « procession » de l’Esprit Saint ? L’histoire va malheureusement enregistrer controverses et schismes suite aux débats sur cette question. Tout le monde s’accorde à dire que l’Esprit-Saint procède du Père, mais on est divisé quand il s’agit d’affirmer qu’il procède du Père « et » du Fils ou au contraire du Père « par » le Fils ! Double « procession » ?
Athanase déclare expressément que le Saint-Esprit « procède du Père » (Lettre à Sérapion, 1, 2). On peut se demander s'il enseigne la doctrine de la double procession, du Fils aussi bien que du Père, car il ne dit nulle part de façon explicite que le Saint-Esprit procède du Fils ; mais la procession de l’Esprit à partir du Fils, ou du Père par le Fils, est un corollaire nécessaire de l'ensemble de son argumentation. En fait, tout ce qu'il dit au sujet de la procession du Saint-Esprit n'aurait aucun sens s'il ne croyait pas que le Saint-Esprit procède aussi du Fils. Nous percevons, en effet, sa procession même du Père à travers notre connaissance de sa mission par le Verbe, comme il ressort de la remarque :
Unique étant le Fils, le Verbe vivant, il faut qu’unique, parfaite et pleine soit sa vivante efficience sanctificatrice et illuminatrice, ainsi que sa donation, qui est dite procéder du Père parce que de par le Fils, qui est confessé (comme provenant) du Père, il resplendit et est envoyé et est donné (Lettre à Sérapion, 1 ,20,).
5. Baptême
Athanase est catégorique : le baptême conféré par les ariens est invalide. Il est très clair dans sa Première Lettre à Sérapion (30), il dit :
C'est précisément cette foi dans la Trinité qui unit à Dieu, tandis que qui enlève quelque chose de la Trinité et est baptisé au seul nom du Père ou au seul nom du Fils, ou dans le Père et le Fils sans l'Esprit, ne reçoit rien..., car le rite de l'initiation se fait dans la Trinité : de même, qui sépare le Fils du Père ou rabaisse l’Esprit parmi les créatures, ne possède ni le Fils ni le Père, mais est sans Dieu et pire qu'un infidèle. Il est tout plutôt que chrétien.
Athanase ne condamne pas le baptême des ariens parce qu'ils n'emploient pas la formule trinitaire requise, mais parce que la foi dans laquelle ce baptême est donné est déficiente, comme il ressort du second Discours contre les Ariens (42) :
Les ariens risquent aussi de ne point avoir la plénitude du sacrement, je veux dire le baptême. Si la sainteté est donnée au nom du Père et du Fils et s'ils ne prononcent pas le nom du vrai Père, parce qu'ils nient que le Fils soit de lui et semblable à sa substance, s'ils nient le vrai Fils et en nomment un autre qu'ils se sont façonné du néant, comment leur don n'est-il point complètement vide et sans utilité, ayant de l’apparence mais en réalité n'étant d'aucun secours pour la piété ? Ils ne donnent pas au nom du Père et du Fils, mais du créateur et de la créature, de l’auteur et de son œuvre. De même que la créature diffère du Fils, de même ce qu'ils donnent est forcément étranger à la vérité, bien qu'ils feignent de nommer le Père et le Fils conformément à l'Écriture. Il ne suffit pas de dire « Seigneur » pour le donner, mais il faut avec le nom avoir la foi orthodoxe. Aussi le Sauveur n’a-t-il point simplement ordonné de baptiser ; il dit d'abord : « Enseignez », puis « Baptisez au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matth., 28, 19). L'enseignement transmettra la foi orthodoxe et, avec la foi, la sanctification sera donnée par le baptême.
Beaucoup d'autres hérésies disent les noms seulement, mais n'ont pas les vraies pensées ni la foi saine ; inutile est donc l’eau qu'elles donnent, la piété en est absente, celui qui en est arrosé est plutôt souillé dans l’impiété que purifié... Ainsi les manichéens et les Phrygiens [montanistes] et les disciples de Paul de Samosate ; ainsi à leur tour les sectateurs d'Arius ; bien qu'ils lisent l'Écriture et prononcent les noms, ils jouent ceux qui reçoivent d'eux le baptême (Discours contre les ariens, 2, 42).
6. Eucharistie
Nous connaissons aujourd’hui l’enseignement de l’Eglise sur ce qu’elle appelle la « transsubstantiation », c’est-à-dire la présence du Christ dans le pain et le vin consacrés. Qu’en pense l’évêque d’Alexandrie ? Dans un fragment de son sermon Aux nouveaux baptisés, Athanase dit clairement :
Vous verrez les lévites apporter les pains et un calice de vin, et les déposer sur la table. Aussi longtemps que les invocations et les prières n'ont pas commencé, il n'y a que du pain et du vin, mais quand les grandes et merveilleuses prières ont été prononcées, le pain devient le corps du Seigneur Jésus-Christ et le vin devient son sang. Venons à la célébration des mystères. Aussi longtemps que les prières et les invocations n'ont pas eu lieu, ce pain et ce vin sont simplement [du pain et du vin], mais quand les grandes prières et les saintes invocations ont été prononcées, le Verbe descend dans le pain et le vin et ils deviennent son corps.
En conclusion
Voilà la personne, l’œuvre et la pensée du patriarche d’Alexandrie. Il est incontestable qu’il mérite d’être appelé « le pilier de l'Église », « le Père de l’orthodoxie », « le champion de la foi » etc. Il a contribué à expliquer la Trinité, mais sans en faire un problème philosophique (dans une démarche d’hellénisation à la manière des ariens), parce que le « mystère » de la Trinité reste du domaine de la foi, de la vérité évangélique. Tout théologien devrait prendre Athanase en exemple dans cette démarche d’« inculturation » : dire et vivre la foi dans son contexte culturel sans enfermer le donné révélé dans sa culture, mais plutôt en convertissant sa culture. C’est à cette condition que le Christ rejoint tous les hommes de toute tribu et langue, de tout peuple et nation (Apocalypse 5, 9)…
Vénuste Linguyeneza
FIN