"Il viendra... au chant du coq ?"

Veiller, réveiller, éveiller.

Jésus parlait à ses disciples de sa venue : " Prenez garde, veillez : car vous ne savez pas quand viendra le moment. Il en est comme d'un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et recommandé au portier de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de maison reviendra, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin. Il peut arriver à l'improviste et vous trouver endormis. Ce que je vous dis là, je le dis à tous : veillez ! "

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 13, 33-37

PREMIER DIMANCHE DE L'AVENT (B)

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Dormeurs ? Endormis ?

Tout au long des dimanches du mois de novembre, Jésus n'a cessé de nous rabâcher cette consigne : "Veillez." Et aujourd'hui, en ce premier dimanche de l'Avent, une dernière fois, il le fait d'une manière encore plus insistante : à quatre reprises, dans ce court passage de l'Evangile de Marc, il nous le répète, et il ajoute même : "Je ne m'adresse pas seulement à vous, mes disciples ; je le dis à tous, les jeunes, les vieux, les enfants : "Veillez".

Pourquoi cette insistance ? Sans doute parce qu'il sait bien que nous sommes tous, plus ou moins, des "dormeurs", ou que nous nous laissons endormir.

Dormeurs, bien sûr, au sens figuré, beaucoup de nos contemporains en effet, le sont. Quand on commence à s'endormir, on ferme les yeux, et on s'efforce de ne plus penser à rien. Eh bien, c'est exactement l'image que le Christ emploie. Regardons bien notre vie, et nous verrons que souvent, nous fermons les yeux, nous ne pensons à rien, simplement pour nous sécuriser. Et nous nous endormons. Les fausses sécurités, on les trouve dans notre propre existence. Ce peut être la possession d'objets, de biens matériels qui nous sécurise. Fausses sécurités aussi que la douceur d'un amour, ou même notre profession : on s'étourdit par le travail. Fausses sécurités, enfin, qui peuvent venir de la recherche de relations efficaces. Dans tous les cas, cela nous permet de nous faire un "cocon" et de ne plus regarder avec lucidité la réalité de notre vie. On est des endormis. Nous nous sentons rassurés, comme si rien ne pouvait nous atteindre.

On vous endort !

Ou alors, on se laisse endormir. Par les médias, par la publicité. Regardez, par exemple, comment tout pouvoir, quel qu'il soit, cherche immédiatement à accaparer les médias. Pourquoi? Pour donner sa propre vision des choses. A la limite pour nous endormir, pour nous empêcher de regarder avec lucidité le réel de nos existences d'aujourd'hui. On ira même, par exemple, jusqu'à trafiquer les chiffres. On fait dire aux statistiques ce qu'on veut. Si, pour gouverner, on a besoin d'alerter la population, on dramatisera les situations ; et si, par exemple, on craint des mouvements hostiles, on présentera la situation en rose. Quant à la pub', elle est là aussi pour nous endormir : "Il vous faut cela... vous devez être comme ça...vous pouvez faire cela." Tout est fait pour nous pousser à vivre à la surface de nous-mêmes, sans intériorité, sans rester lucides, comme si l'important était le "paraître". Tout est fait pour nous faire croire que notre vie ne finira pas. Tout est fait pour nous faire croire que nous serons toujours jeunes, forts, performants et beaux. On nous endort.

Vigiles de ce monde.

Et c'est à vous tous que Jésus rabâche aujourd'hui, une fois de plus : "Veillez." C'est-à-dire : Soyez éveillés, vigilants, réveilleurs, éveilleurs. Veiller (on emploie aujourd'hui le mot "vigile" : c'est le mot latin). Le veilleur, le vigile, c'est celui qui est vigilant, chargé de scruter la nuit, pour surveiller, pour protéger, pour alerter. C'est un beau rôle que celui du vigile. Jésus nous demande aujourd'hui d'être les vigiles de ce monde. Comment ?

En sachant regarder les événements du monde comme les événements de notre propre vie pour y trouver le sens, la signification. Il est banal de dire qu'aujourd'hui les gens tournent en rond, qu'il n'y a plus de grandes perspectives d'avenir. Il n'y a peut-être plus, effectivement, de "clé" pour lire les événements de chaque jour. Eh bien, le vigile, le disciple (vous, moi) est celui qui se tient informé de tous ces événements pour y voir autre chose que la banalité d'un fait-divers, mais y chercher, non pas seul, mais avec d'autres, le sens, la signification, l'importance, pour aujourd'hui et pour demain, de chaque événement. Le vigile ne se réfugie pas dans sa tour d'ivoire. Il est là pour regarder et évaluer.

Vivre l'attente.

Pour regarder, également, les événements de notre propre vie. Tout ce qui survient, tout ce qui nous arrive. Que ce soit en bien ou en mal, nous ne nous laisserons pas surprendre, mais nous chercherons à lire la signification même de tel événement. Une maladie, une rupture, un accident, tout ce qui arrive a une signification. Il y a un sens de l'histoire, il y a un sens de notre propre histoire. Ne soyons pas de ceux qui, aujourd'hui, se disent chaque jour : "Après tout, on verra bien : vivons le jour présent." Non. Je pense qu'il y a un sens. Pour nous, croyants, le sens est toujours indiqué : nous attendons une rencontre, nous attendons la venue du Seigneur. Attendre. Nous vivons d'attente. Parce que l'incertitude et la précarité restent notre lot. Parce que nous vivons dans le provisoire, parce que, nous le savons bien, tout ce que nous faisons n'est pas très parfait, que nous serons toujours des insatisfaits de tout ce que nous faisons. Le vigile est dans l'attente d'un futur plus vrai, plus beau, plus significatif. Et il le prépare par sa vie quotidienne. Toutes nos réalisations, même les meilleures, creusent en nous l'appel d'un "plus".

Le veilleur est aussi celui qui sait prendre du recul, parce que ce qui arrive ne le surprend pas, ne le désarçonne pas. Il se dit toujours que ce qui nous arrive, ce qui risque de nous abîmer, ce n'est pas la fin du monde. Ce peut être quelque chose de grave, mais ce n'est pas toujours dramatique. Le veilleur sait "rencontrer Triomphe après Défaite, et recevoir ces deux menteurs d'un même front." (Kipling)

Réveilleur... et éveilleur.

Le veilleur est aussi un "réveilleur". Nous sommes responsables les uns des autres. Regardez comment beaucoup de gens aujourd'hui pensent avec des idées toutes-faites, avec des "idées reçues", qu'on répète à tout venant. Réveilleur, le chrétien lucide se doit d'être un "libre-penseur", en ce sens qu'il va, lui, peut-être, aller à contre-courant des idées reçues, non seulement par ses paroles, mais par ses manières d'être. Il ne va pas céder à toutes les modes, quelles qu'elles soient. Il fait partie d'un "peuple de prophètes", chargé d'indiquer, "à temps et à contre-temps", les chemins du salut. Il ne s'agit pas de jouer les Cassandre. Il s'agit, aujourd'hui, dans ce monde désabusé et qui tourne en rond, d'être porteur d'une espérance.

Enfin, le chrétien, veilleur, réveilleur, doit être un éveilleur. Vous les parents, vous le savez bien, qui avez été, qui êtes toujours responsables de vos enfants pour les éveiller à certaines sensibilités, à certaines réalités, à la vie. Mais qui que nous soyons ici, à n'importe quel âge, nous pouvons être les éveilleurs les uns des autres. J'ai eu des camarades, à 10, 15 ou 18 ans, qui m'ont éveillé à certaines réalités. On est là pour s'éveiller les uns les autres. Qu'est-ce que ça veut dire, pour un chrétien ? Cela veut dire : manifester, par sa vie, mais aussi par ses paroles que celui qui est à côté de moi, probablement, "peut plus qu'il ne fait", mais certainement, "vaut plus qu'il ne le croit."

Le temps de l'Avent commence. Nous nous préparons à la venue du Seigneur. Pourvu qu'il trouve chacun de nous lucide, "debout, éveillé et vigilant."

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