THEOLOGIE "POUR LES NULS"
CETTE ANNEE : LE BAPTEME.
2e
séquence : JESUS EST BAPTISE.
(février 2001)
J'ai commencé cette série sur le Baptême, le mois dernier (voir séquence 1 au sommaire), en vous expliquant que ce ne sont pas les parents qui ont l'initiative première, en ce qui concerne le baptême, mais que c'est Dieu qui demande, le premier, aux parents "Votre enfant, je voudrais, moi aussi, qu'il soit mon enfant bien-aimé". Les parents, en demandant le baptême, ne font que répondre "oui" à la demande du Père. Regardons ce mois-ci ce qui est arrivé à Jésus le jour de son propre baptême.
UN TEXTE FONDATEUR.
Le récit du baptême de Jésus est l'un des rares textes dont il est fait mention dans les quatre évangiles. C'est donc que, pour les premières communautés chrétiennes, ce récit était un texte fondateur, un texte qui donne sens à la pratique universelle des chrétiens, qui considèrent le baptême comme le geste inaugural de toute vie chrétienne.
Si vous avez un Nouveau Testament, je vous invite à regarder ces quatre textes "en parallèle", pour noter les (rares) divergences et tous les points de convergence entre ces récits. Ils se trouvent dans Matthieu 3, 13-17, Marc 1, 9-11, Luc 3, 21-22, Jean 1,29-34. Deux différences à signaler : d'abord, alors que Matthieu, Marc et Luc nous rapportent l'événement comme des témoins oculaires, Jean, lui, met ce récit dans la bouche de Jean-Baptiste ; deuxième différence, alors que pour Matthieu, le Père s'adresse à tous les témoins ("Celui-ci est mon fils bien-aimé"), pour Marc et Luc, Dieu s'adresse à Jésus directement : "Tu es mon fils bien-aimé". Différences minimes, vous en conviendrez.
Regardons davantage l'ensemble des récits et ce qui fait leur unité. Dans chacun, on remarque quatre caractéristiques :
1 - Jésus vient au Jourdain et est baptisé par Jean.
2 - Les cieux s'ouvrent.
3 - L'Esprit-Saint descend sur Jésus.
4 - La voix du Père se fait entendre.1 - Jésus est baptisé par Jean.
Vous allez peut-être me dire : "Quoi d'extraordinaire à cela ? Tout le monde se fait baptiser !" Eh bien non. Chez les Juifs, le baptême n'existait pas, du moins officiellement. Vous ne trouverez aucune trace du mot "baptême" dans l'Ancien Testament. Pour entrer dans la communauté du peuple de Dieu, il y avait la circoncision, un point c'est tout. Jésus a été circoncis, huit jours après sa naissance, comme tout enfant juif. Quant au baptême, d'après ce qu'on peut savoir en l'état actuel de nos connaissances, il était peut-être pratiqué pour les païens qui désiraient entrer dans la religion d'Israël, (et cela depuis une époque récente, quand Jean "Baptiste" commence son ministère au bord du Jourdain). Il y avait également, depuis quelques dizaines d'années, des sectes baptistes en Israël, plus ou moins en rupture avec la religion officielle du Temple. Le mouvement de Jean Baptiste s'inscrit dans cette perspective : un mouvement de "réveil", comme on dirait aujourd'hui. Jean appelle à la conversion, car il s'agit de se préparer à la venue du Messie. Et voilà les foules qui accourent. Elles attendent un Messie et sont prêtes à une conversion. Et le signe extérieur de cette conversion, c'est le baptême dans les eaux du Jourdain : pratiquement un plongeon dans la rivière, signe d'une volonté de purification, de nettoyage, de renaissance. Jésus lui-même, un peu plus tard, baptisera (voir le curieux passage de Jean 4, 1-2, que je vous cite : "Quand Jésus apprit que les Pharisiens avaient entendu dire qu'il faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean - à vrai dire, Jésus lui-même ne baptisait pas, mais ses disciples - il quitta la Judée". )
Le symbolisme de l'eau, bien connu d'un très grand nombre de religions d'hier et d'aujourd'hui, appartient au patrimoine global de l'humanité. Ce mois-ci par exemple, ils sont des millions de fidèles à Allahabad, en Inde, qui viennent, pour la Kumbh Mela, gagner leur immortalité par un bain dans le Gange. En lui-même, ce symbolisme religieux n'est qu'un mode d'expression humaine en face du "mystérieux" en général. Pour trouver le sens profond de l'eau de notre propre baptême, il vaut mieux chercher dans une autre direction.
Pourquoi Jésus éprouve-t-il le besoin d'être baptisé par Jean ? Eh bien, Jésus épouse la condition humaine jusque-là. Qu'il se soit fait homme, d'accord. Il a vécu la condition humaine en toute chose, excepté le péché. Mais Jésus va aller plus loin : il "plonge" dans la condition commune, médiocre, pécheresse de cette humanité. "Il s'est fait péché pour nous", dira St Paul. Il épouse toute la condition humaine. Au jour de son baptême, Jésus se présente à Jean, anonyme, perdu parmi la foule des gens de son pays. Tous, ils viennent, chacun reconnaissant sa condition de pécheurs, pour manifester leur volonté de conversion. Ils font un geste : ils plongent dans le Jourdain (le mot "baptême", vous le savez, veut dire "plongeon".) pour signifier leur désir d'être lavés du péché qui est le leur. Jésus se fait solidaire de la condition humaine, lui qui est sans péché. D'ailleurs, Jean-Baptiste le lui fait remarquer. Mais Jésus tient à manifester, dès ce premier jour de sa mission, comment il est solidaire des hommes : il plonge lui aussi dans la rivière.
2 - Les cieux s'ouvrent.
Et voilà que "les cieux s'ouvrent". Ne croyez pas qu'il s'agit simplement d'un phénomène météorologique ; n'allez pas imaginer comme une déchirure dans un nuage, laissant apercevoir le ciel bleu.
Pour comprendre la signification de cette scène, il faut faire référence à l'Ancien Testament : cette histoire des "cieux qui s'ouvrent", c'est une image qui veut dire une chose essentielle : la communication est rétablie entre Dieu et les hommes. En effet, le peuple hébreu avait eu, pendant des siècles, communication avec Dieu. D'abord par l'intermédiaire de Moïse, ensuite par tous les prophètes. Or, il se trouve que depuis plusieurs centaines d'années, Dieu se tait. Il n'y a plus de prophètes en Israël, si bien que les gens s'imaginent que " Dieu fait la tête ", que Dieu boude. Dans leur prière, ils répètent : "Ah, si tu entrouvrais les cieux !" C'est à dire : si au moins tu pouvais communiquer avec nous ! Or, au jour du Baptême de Jésus, la communication est rétablie : Dieu va parler aux hommes. Et il commencera par parler à un homme en particulier, le prototype de l'humanité nouvelle, Jésus Christ.
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3 - L'Esprit Saint descend sur Jésus.
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On notera d'abord que l'Évangile fait mention du Père, du Fils et de l'Esprit : comme si l'on voulait évoquer, à l'arrière-plan du baptême de Jésus, le baptême chrétien qui sera donné "au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit". Mais d'abord, ce récit du baptême de Jésus est plein de symboles bibliques. Voici que l'Esprit, qui tournoie sous la forme d'une colombe, nous renvoie à la première page de la Bible, à la première création, où l'eau a été fécondée par l'Esprit qui tournoyait sur les eaux. La vie sort de l'eau ; la vie humaine, nous le savons est sortie de l'eau, et c'est une très belle image que celle-là: Jésus sort de l'eau et l'Esprit vient se poser sur lui, comme pour dire : la création nouvelle est enfin commencée. Il y avait l'ancienne création, l'homme naturel, simplement humain sortant de l'animalité ; voici le commencement de "l'homme divin".
4 - La voix du Père se fait entendre.
Nous en arrivons à l'essentiel : une déclaration d'amour. Plus même : une déclaration en paternité. Devant témoins (selon Matthieu et Jean) Dieu déclare que cet homme Jésus, pleinement homme, solidaire de l'humanité pécheresse, c'est son Fils. Marc et Luc, eux, interprètent cette déclaration divine comme un petit mot d'amour d'un père à son enfant. Quoi qu'il en soit, pour les témoins, cela ne fait plus aucun doute : Jésus, sortant du Jourdain où il vient de "plonger", c'est le fils de Dieu, le fils bien-aimé du Père.
Et pour Jésus ? Eh bien, je crois personnellement que c'est ce jour-là qu'il a pris pleinement conscience de sa condition divine. Cela ne veut pas dire qu'il n'est pas fils de Dieu dès sa conception. Ce dont il s'agit ici, c'est une prise de conscience totale de sa condition divine, de sa dignité de fils de Dieu, et de la responsabilité qui en découle. Luc nous dit que Jésus, étant en prière, c'est-à-dire en train de "communiquer" avec Dieu, entend la voix divine qui lui répond : "Tu es mon Fils bien-aimé". Grâce à l'action de l'Esprit, Jésus peut s'ouvrir totalement à cette parole fondatrice. Il peut accueillir cette parole dans toute sa vérité. Il n'a pas dit : c'est une image, c'est un symbole. Non ! Il a accueilli cette parole comme vraie. Et à partir de ce moment-là, il va se comporter pleinement en fils de Dieu. Non seulement il s'adressera désormais à Dieu en empruntant le petit mot de l'amour, qui a des racines communes dans de nombreuses langues : " Abba ", c'est-à-dire " papa ", mais il va charger ce mot de tout un sentiment d'affection profonde et d'obéissance vis-à-vis de son Père. Et cette parole entendue, accueillie, va lui permettre d'exister, de tenir debout. Non seulement d'être " bien dans sa peau " de fils de Dieu, mais d'y puiser la force nécessaire pour les choix difficiles et la confiance pour l'avenir.
"Lui qui était de condition divine..."
La voix qui se fait entendre désigne Jésus, non pas comme le fils de Joseph et de Marie, mais comme le Fils bien-aimé de Dieu. Et en même temps, l'Esprit d'amour vient sur lui. Jésus aurait pu dire aux témoins de cette scène : "Eh bien, vous le savez maintenant, qui je suis". Il aurait pu manifester par de nombreux miracles sa véritable condition divine. Non ! Rien de tout cela. Il n'est pas venu pour dominer, contraindre, soumettre, obliger. Il épouse la condition de Fils de Dieu dans un esprit d'obéissance à son Père et de service de ses frères. Il le répète sans cesse : il faut "faire la volonté du Père" et, pour cela, être serviteur. Être encore davantage inséré dans la condition humaine.
Les quatre évangiles rapportent cette scène du Baptême du Seigneur comme l'intronisation véritable de Jésus. Jésus entend la parole divine dans son sens réel, pas dans un sens symbolique, comme on pourrait le croire : c'est ce jour-là qu'il prend vraiment conscience qu'il est autre chose que le fils de Joseph et de Marie, qu'il est fils de Dieu. Jésus n'a pas fait semblant d'être un bébé, un enfant, un homme. Il a appris à marcher, il a appris, péniblement, comme tous les enfants, à lire, à écrire, à compter. Il a appris son métier de charpentier, en se donnant des coups de marteau sur les doigts. Il n'a pas fait semblant. Et c'est un travailleur d'un humble village, qui n'a pas entière conscience de sa propre identité et de sa mission, qui arrive ce jour-là au Jourdain. Il va falloir que Dieu la lui révèle. Dieu s'adresse à lui pour lui dire : "Tu es mon fils bien-aimé, tu fais toute ma joie". A partir de ce moment-là, Jésus prend conscience de sa dignité et de sa responsabilité. Dans l'expression "Fils de Dieu", il aurait pu ne choisir que le mot "Dieu". Et effectivement, il est Dieu lui-même, il peut tout. C'est d'ailleurs sur ce titre que va jouer Satan dans l'épisode de la tentation (mais c'est toute sa vie que Jésus sera tenté). Jésus est tenté de se comporter en Dieu et de faire des choses sensationnelles qui relèvent de sa toute-puissance. Certes, il va faire des gestes qui manifestent sa toute puissance, mais avec quelle extrême discrétion ! Dans l'expression "Fils de Dieu", il ne retient que le mot "fils". Il a un Père, et à ce père, il doit d'abord obéir, s'il veut lui prouver son amour. Jésus vit dans une civilisation où le père a une autorité et un pouvoir très grands, impensables aujourd'hui où l'on assiste, hélas trop souvent, à une démission des pères. Jésus se situe en fils, c'est-à-dire celui qui obéit sans discuter. Cela le conduira jusqu'à un autre " baptême ", qu'il envisage avec courage et dont le baptême au Jourdain est la préfiguration : le plongeon dans la mort pour ressusciter, homme nouveau à qui Dieu dira définitivement: "Tu es mon Fils. Siège à ma droite"."Tu es son enfant bien-aimé !" A chacun de nous, le Père a dit au jour de notre baptême - et répété combien de fois depuis ! - que nous sommes ses enfants bien-aimés. Réfléchissez donc maintenant, et demandez-vous ce que cela représente pour vous... Nous en reparlerons bientôt.