THEOLOGIE "POUR LES NULS"


CETTE ANNEE : LE BAPTEME.

3e séquence : Jésus fait le catéchisme.
(mars 2001)


 

 

 

 

 

Le mois dernier, les quatre évangélistes nous ont présenté le baptême de Jésus comme l'événement fondateur de sa propre vie. Ce jour-là en effet, il a réalisé pleinement qu'il était l'enfant bien-aimé du Père. A partir de ce jour-là, il s'est comporté pleinement en fils obéissant. L'évangile de Jean nous le présente ensuite, faisant le catéchisme à deux reprises, à des gens qui ne s'y attendaient pas : Nicodème et la Samaritaine. Il leur parle du baptême.

 

 

 

 

 

I - Ce brave Nicodème !

Ce brave Nicodème ne s'attendait certainement pas à recevoir une telle annonce, lorsqu'il vient trouver Jésus de nuit. On devine son soliloque intérieur lorsqu'il part rencontrer le Maître. Certainement ce Jésus vient de Dieu, se dit-il, sinon il ne pourrait pas accomplir les signes qu'il fait. Voilà ce qu'il pense, lui. Il a dû en discuter avec ses collègues du Sanhédrin, l'assemblée de 71 membres qui exerce le pouvoir suprême, politique, juridique et religieux en Israël. Ses membres sont déjà divisés au sujet de Jésus. Lui, Nicodème, veut en avoir le cœur net, et c'est pourquoi il désire cette rencontre : qui est Jésus, et Dieu est-il avec lui ?

Jésus lui répond, avant qu'il n'ait posé sa question, en parlant de tout autre chose : "A moins de naître d'en-haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu". Incompréhension totale. Nicodème s'écrie que c'est impensable de rentrer dans l'utérus maternel pour naître de nouveau ; et Jésus de continuer : "Nul, s'il ne naît d'eau et d'Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu". Et il met en opposition "ce qui est né de la chair" et "ce qui est né de l'Esprit". Et comme Nicodème est de plus en plus dans le brouillard, Jésus prend une image pour se faire comprendre : l'image du vent qui souffle où il veut. "Tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d'où il vient ni où il va. Il en est de même pour celui qui est né de l'Esprit". Ce qui n'est pas fait, convenez-en, pour éclairer Nicodème.

Voilà le début de la première leçon de catéchisme de Jésus. C'est la nuit, et le jour n'est pas encore levé dans l'esprit de Nicodème. Il semble que le malentendu soit total. Pourtant, il en est de ces paroles de Jésus comme de tant de paroles que nous avons un jour entendues, que nous n'avons pas comprises, mais que notre esprit tourne et retourne sans cesse dans notre tête, jusqu'à ce qu'un jour... Pour Nicodème, le cheminement va être long. Timidement, un jour, il prendra la défense de Jésus (Jean 7, 50). Plus courageusement, il sera là, au pied de la croix, pour participer à la mise au tombeau du Christ (Jean 19, 39).

Laissons donc ces paroles du Christ cheminer un peu en nous.

Jésus parle de "naître d'en-haut" et Nicodème comprend "renaître", naître de nouveau. Il n'a pas tort, car le mot grec peut s'entendre dans les deux sens. Il s'agit donc d'une re-naissance, d'une nouvelle naissance qui n'est plus la naissance ordinaire, simplement humaine, animale, mais d'une deuxième naissance, œuvre de l'Esprit divin. Œuvre d'en-haut. On n'est plus dans l'ordre de la procréation naturelle, fruit de l'acte d'amour d'un homme et d'une femme (du moins dans le meilleur des cas). La nouvelle naissance est fruit de l'Esprit d'amour divin. L'acte d'amour d'un homme et d'une femme m'a donné la vie naturelle. Je n'y suis pour rien. C'est un don que m'ont fait mon père et ma mère, le don de la vie. Et voilà qu'un acte d'amour divin, gratuit, me donne la vie nouvelle, me fait entrer dans un tout autre univers, le monde de la grâce, où je peux enfin "voir le Royaume de Dieu". Je n'y suis pour rien : je n'ai qu'à l'accueillir. Mais si je l'accueille, je vais pouvoir reconnaître l'amour gratuit que Dieu me manifeste.

A Nicodème qui manifeste son incompréhension, Jésus réitère son affirmation, mais pas tout-à-fait dans les mêmes termes. La deuxième fois, il parle de "naître d'eau et d'Esprit". Allusion, sans doute, à la première création du monde, telle qu'elle est rapportée au début de la Genèse, quand "l'Esprit de Dieu planait sur les eaux". Le souffle divin (en grec, c'est le même mot pour dire "le vent", "le souffle", "la respiration") communique sa puissance de vie à l'eau lors de la première création. Et voici une re-création, une deuxième création, celle de l'homme nouveau, régénéré (au sens littéral du terme) par l'eau du baptême. Baptisé, je suis un homme nouveau. Un homme neuf.

Nicodème était un homme sincère. Il voulait mieux connaître sa religion et il venait à Jésus comme un élève vient à un maître : pour apprendre. Mais, en fait, ce dont il avait besoin - et il ne s'en doutait pas - ce n'était pas de nouvelles connaissances, mais d'un renouvellement intérieur. Et nous ? N'est-ce pas un peu la même chose ? En dépit de toute notre expérience et de notre savoir (ou à cause d'eux ), ne sommes-nous pas comme Nicodème : des gens vieillis. Jésus nous dit que nous devons naître de nouveau. Je m'explique. Je vis, mais au fond, je crois vivre : je fais des projets, je jouis de la vie. Il ne s'agit peut-être que de la vie "de la chair", une vie simplement humaine, la vie de quelqu'un qui n'est pas encore éveillé. Mais voilà que j'accueille en moi, que je fais fructifier la vie nouvelle reçue au baptême, et alors je vais découvrir que mes raisons d'agir et mes ambitions ne sont plus les mêmes qu'avant. Je me sens bien avec Dieu et sans crainte près de lui. Et je vais découvrir que ce n'est pas moi qui dirige ma vie, mais qu'un Autre, qui vit en moi, guide mes pas. Je ne saurais pas dire exactement ce qui se passe en moi. C'est comme le vent : je sens son passage, sans pouvoir ni le voir ni le saisir. Mais je sais bien que je deviens autre. Je me sens rajeunir. Je me sens devenir un homme nouveau. Tout baptisé peut entreprendre - ou poursuivre - cette expérience spirituelle.

 

II - La Samaritaine.

Encore plus étonnante, la rencontre de Jésus avec cette femme de Samarie qui venait au puits de Jacob pour la corvée d'eau. Qu'il ait
choisi un sage d'Israël pour nous révéler le mystère de la "nouvelle naissance", d'accord. Mais qu'il demande à la Samaritaine, et à elle
 seule, de nous révéler "le don de Dieu", voilà qui est surprenant.

Car Jésus avait au moins trois bonnes raisons de ne pas parler à la femme
de Sychar. D'abord, parce que c'était une femme et qu'il était inconcevable, à l'époque, qu'un homme parle seul à seule avec une femme dans un lieu public ; ensuite, parce que cette femme était Samaritaine et que, depuis des siècles, les Samaritains étaient les ennemis des Juifs. A tel point qu'ils leur jetaient des pierres (déjà l'Intifada !) lorsqu'ils traversaient leurs villages pour se rendre à Jérusalem. Enfin, le moins qu'on puisse dire, c'est que cette femme ne devait pas avoir très bonne réputation, elle qui en était à son sixième mari.

Et pourtant, c'est grâce à la Samaritaine et à ce qu'elle seule a pu nous transmettre de sa conversation avec Jésus, ce jour-là, au bord du puits de Jacob, que nous a été révélé le grand mystère de l'amour divin pour chacun de nous, de ce don de Dieu : sa propre vie. Les disciples s'étonneront de ce privilège. Il y a de quoi ! C'est une étrangère, une hérétique, une femme pas très recommandable, qui nous a transmis ce message inouï.

Tout avait commencé, une fois encore, par un malentendu. Jésus demande à boire à la femme. Celle-ci commence un jeu plus ou moins ironique : "Tiens, tu me parles, toi, un Juif !" La conversation s'élève : "Si tu savais le don de Dieu, et qui je suis, c'est toi qui m'aurais demandé à boire, et je t'aurais donné de l'eau vive". La femme en reste à son propre niveau : "Tu n'as rien pour puiser, et le puits est profond !" Et Jésus de répondre : "Celui qui boit de l'eau du puits aura encore soif, quelque temps plus tard. Mais celui qui boira de l'eau que je donnerai n'aura plus jamais soif". La discussion va se poursuivre, avec ses malentendus, jusqu'à ce que Jésus "cloue le bec" de la Samaritaine et l'aide à cheminer intérieurement et à devenir à son tour messagère de la bonne nouvelle.

Dans ce dialogue, il est essentiellement question d'une "eau vive" qui est un "don de Dieu", d'une "eau vive" qui devient en celui qui la reçoit "source jaillissant en vie éternelle". De quoi s'agit-il ? Dans ces pays proches du désert, l'eau est principalement symbole de toutes les valeurs de vie. "Eau, tu es la vie", écrit Saint-Exupéry, à la suite d'une expérience terrible dans le désert. L'évangile de Jean évoque ici le don de l'Esprit, qui donne la vie éternelle. C'est encore plus explicite dans un autre passage de son évangile (Jean 7, 37-39) : au dernier jour de la fête des Tentes (Soukkoth), Jésus s'écrie "Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive, celui qui croit en moi ; comme l'a dit l’Écriture, de son sein couleront des fleuves d'eau vive". Et Jean d'ajouter : "Il désignait ainsi l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui".

Soyons simples. Quand l’Écriture parle de "l'Esprit de Dieu" ou quand Jésus nous promet de nous donner "son Esprit", traduisons par "la vie de Dieu", la vie divine. L'esprit, c'est la vie. Au sens où l'on dit de quelqu'un qui vient de mourir qu'il a "rendu l'esprit". Dans sa conversation avec la Samaritaine, Jésus parle de "l'eau vive", ce qui est synonyme de la vie. "Eau, tu es la vie". Il annonce ainsi le grand don que Dieu fait "à tous ceux qui croiront en lui" , le don de sa propre vie. Par le baptême, j'entre dans la vie même de Dieu. J'accueille en moi ce qui fait le propre de la vie même de Dieu , son esprit d'amour.

"Si tu savais le don de Dieu". Je ne pense pas que la Samaritaine ait pu comprendre tout de suite les paroles étonnantes de Jésus. Cependant, il y avait en elle un manque, et un désir. Cinq maris ! Et le sixième ? "Je n'ai pas de mari" : ce ne devait pas encore être le bon. Elle restait avec sa soif d"eau vive", sa soif d'amour. Arrive le septième homme, celui qui peut combler tous ses désirs "jusqu'à plus soif". Il offre "le don de Dieu", une vie pleine d'amour. "Je le suis, moi qui te parle". Il va le montrer quelques mois plus tard, en donnant sa vie par amour pour nous.

Baptisé, il me faut accueillir les paroles étonnantes de Jésus, le message qu'il m'adresse aujourd'hui par l'intermédiaire de Nicodème et de la Samaritaine. Même si, au point de départ, ces paroles restent un peu hermétiques. Les laisser mûrir en moi. La leçon de catéchisme se termine. Je vais repartir à mes occupations quotidiennes. Les propos de Jésus me poursuivront... "renaître de l'eau et de l'Esprit"... "don de Dieu"... "naître d'en-haut"... "eau, source jaillissant en vie éternelle".

Mais, ai-je soif ?

"Comme languit une biche après l'eau vive
Mon âme aspire à toi, mon Dieu."
(Psaume 42)

 

Retour au sommaire