THEOLOGIE "POUR LES NULS"
CETTE ANNEE : LE BAPTEME.
8e
séquence
:
"Pour le pardon des péchés."
(Août 2001)
"Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés." (Symbole de Nicée-Constantinople)
"Le baptême est un sacrement qui efface le péché originel..." (le catéchisme de mon enfance).
Quel est le but du baptême ?
A cette question, je pense que beaucoup d'entre vous répondront spontanément comme mon vieux catéchisme : le baptême sert à effacer le péché originel. Cela semble clair : il suffit de se rappeler le rite central de la liturgie du baptême. On verse de l'eau, comme pour effacer une tache. Somme toute, il s'agirait d'une sorte de nettoyage.
Cette réponse n'est pas fausse, mais elle est particulièrement négative. C'est d'ailleurs pour cela que nous n'avons pas encore évoqué cet aspect du baptême, au cours des sept séquences précédentes. D'autres perspectives beaucoup plus positives et tout à fait essentielles ont retenu notre attention en priorité. En tout cas, si vous aviez demandé aux chrétiens des tout premiers siècles : "Quel est le but du baptême", ils n'auraient certainement pas parlé de "péché originel". En effet, c'est saint Augustin qui, le premier, non seulement crée l'expression "péché originel", mais également en formule la doctrine, de 408 à 412.
Alors, pourquoi se faisait-on baptiser, dans l'Église des premiers siècles ?
Au seuil de l'Évangile se trouve Jean-Baptiste. Pourquoi baptise-t-il ? Pour "préparer pour le Seigneur un peuple bien disposé" (Luc 1, 17). Son baptême dans l'eau est "un baptême de repentir en vue de la rémission des péchés", et ceux qui le demandent "confessent leurs fautes" (Marc 1, 4-5). Jean demande un repentir, l'aveu des péchés pour qu'ils soient remis, et cela pour préparer le Peuple messianique.
Jean-Baptiste au Jourdain
Par son "baptême" dans la mort et la résurrection, Jésus verse son sang "pour la multitude", pour "ramener à l'unité les enfants de Dieu dispersés" : "C'est à travers son sang que nous avons la rémission des péchés". Et dans sa résurrection, Jésus est mis par son Père en possession de l'Esprit Saint pour le répandre et constituer ainsi le Peuple messianique dont il est établi comme Seigneur (Actes 2, 32-36)
Repentir accompagné de baptêmes, rémission des péchés, effusion de l'Esprit, voilà les trois phases de la constitution du nouveau Peuple de Dieu. A la foule qui lui demande, au matin de la Pentecôte : "Que devons-nous faire ?", Pierre répond : "Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour la rémission de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint Esprit" (Actes 2, 38). Il fallait donc, premièrement manifester un repentir, pour que, par le rite du baptême, on obtienne la rémission des péchés, avant qu'en couronnement, on ne reçoive l'Esprit Saint.
"Mourir au péché" pour "renaître à la vie nouvelle" : il s'agit d'une démarche personnelle, d'une "délocalisation". On va sortir du monde du péché pour entrer dans l'Église de Dieu. Dans le baptême, le baptisé, s'il se repent de tout ce dont il a été coupable, est totalement libéré et pardonné de tout péché antérieur. Il en est "lavé", rendu "sans tache", dit saint Paul. Tout ce qui, en lui, était péché, est détruit, quelle qu'ait été auparavant sa situation de pécheur. Il est soustrait à la tyrannie du "Prince de ce monde". Il est définitivement "affranchi". Paul compare le baptême, délivrance de la méchanceté du monde, au passage de la Mer Rouge, où les Hébreux, fuyant l'esclavage d'Égypte, se mirent en marche vers la terre de la liberté.
L'image est parlante. De même que, libérés de l'esclavage, les Hébreux ne sont pas au bout de leurs peines (ils vont connaître 40 ans d'épreuves, de chutes et de relèvements, de méfiance et de confiance), de même, le baptisé, libéré de la tyrannie de l'esprit du mal, reste soumis, au cours de sa longue marche terrestre, à des alternances de chutes et de relèvements, à des périodes de méfiance et de confiance. Le baptême n'a rien d'une potion magique.
Oui mais, les enfants ?
Tout cela est bel et bon quand on envisage le baptême des adultes. Mais les enfants ? On ne va pas demander au petit bébé de se repentir (de quoi ?), ni de confesser ses péchés ! Ce qui était bon pour les adultes au moment de leur conversion, un geste personnel qui les engageait pour la vie, ne l'est pas pour les petits enfants, incapables de pécher et à plus forte raison de s'en repentir. Très tôt s'est posée la question. Il semble bien, en effet, qu'on a baptisé les petits enfants dès les premiers siècles, voire même dès le Ier siècle de notre ère. Mais nous en reparlerons une prochaine fois.
Quoi qu'il en soit, il semble que les autorités religieuses, les Pères de l'Église, les théologiens ont cherché à donner une réponse valable à notre question. C'est saint Augustin (je vous le disais plus haut) qui a formulé la réponse en expliquant qu'avant tout péché personnel, avant tout acte mauvais, il y a un état de l'homme qu'il appelle le péché originel. En conséquence, quand on baptise un bébé, on le lave de la faute originelle, source et origine de tous les péchés. Cette doctrine du péché originel, dont le germe est contenu dans la Bible, puis dans les œuvres des anciens écrivains chrétiens, est une réponse originale à la grande question que tous les hommes se posent : "D'où vient le mal ?"
D'où vient le mal ?
Rappelons brièvement quelques réponses contenues dans les mythes ou les systèmes philosophiques anciens :
* Le mal vient d'un principe mauvais s'opposant à un dieu bon.
* Il est la conséquence de la faute d'un dieu qui a perturbé l'œuvre des autres dieux.
* Il est le résultat de l'intervention d'anges pécheurs qui sont venus enseigner aux hommes les arts pervers de la civilisation.
* Il vient de la chute des âmes ayant péché avant leur existence terrestre et étant "tombées" dans le corps sous l'effet d'un châtiment.
ou encore !
* "l'homme naît bon ; c'est la société qui le déprave."
* Il n'y a rien en dehors de l'homme : c'est ce qui explique le tragique de l'existence.
Etc.
La doctrine biblique et chrétienne, au contraire, affirme que le monde et l'homme ont été créés bons, bien que limités. Que la vie sexuelle et le développement culturel sont choses bonnes et ne résultent aucunement d'un défaut ou d'un péché antérieurs à l'homme. S'il y a du mal dans l'humanité, c'est par suite du libre péché de l'homme. Le péché remonte aux origines de l'humanité.
Enluminure - Musée de Carpentras
Les générations actuelles pâtissent des conséquences du passé et il existe une certaine solidarité dans le péché. Mais cet état présent n'exclut pas toute possibilité de bien dans l'humanité. Bien au contraire. La doctrine du péché originel a ceci d'intéressant qu'elle nous invite à nous déplacer d'une réponse théorique au problème du mal vers un diagnostic que notre conscience personnelle peut faire chaque jour : il y a en l'homme (en moi) un mélange du bien et du mal ; et Dieu, qui a créé l'homme bon, lui offre les moyens de dépasser toutes ses déficiences. Il aime l'homme, donc, il l'espère.
J'aime beaucoup l'idée de saint Irénée de Lyon qui parle d'une "récapitulation" d'Adam par le Christ, c'est-à-dire d'une restauration et d'un couronnement. Adam avait été créé "à l'image et à la ressemblance de Dieu". Par le péché, il a perdu cette ressemblance. Jésus, Verbe de Dieu, se fait homme pour nous restituer cette ressemblance. Et il ajoute que l'homme a été créé enfant, qu'il n'avait encore qu'une intelligence enfantine, ce qui explique qu'il ait pu être facilement séduit par le démon. Ce qu'il a perdu, ce n'est pas une possession complète de la ressemblance divine, mais plutôt un premier degré dans cette ressemblance. Après le péché subsiste en l'homme une aptitude fondamentale. Le Christ lui rend la possibilité de parvenir au terme dont il s'est détourné. Quelle merveilleuse intuition que celle qui lui fait envisager une lente évolution, une longue maturation d'une création fondamentalement bonne, et non pas seulement la restauration de l'état initial.
San Antonio.
Frédéric Dard, alias San Antonio, stigmatise dans un de ses livres "ceux qui enseignent aux enfants que le péché existe et qui le leur interdisent, au risque que des natures faiblardes leur obéissent.." Beaucoup de nos contemporains, sans doute, pensent de même. Nietzsche et Freud sont passés par là. Ils pensent que le péché a été inventé par les prêtres pour culpabiliser les croyants et assurer sur eux leur domination. Bien sûr, le sentiment de culpabilité est quelque chose de morbide : il n'est qu'une des formes du péché, puisqu'il nous centre sur nous et met en doute la bienveillance qui nous fait exister. Il n'empêche que le péché existe bel et bien.
Trois conduites possibles, en face du mal, qui est une évidence, si on rejette la notion de péché originel. La première consiste à reporter le mal sur un autre que soi, à chercher un bouc émissaire. Jamais autant que dans le siècle qui vient de s'achever ne se sont développées les inquisitions séculières et les terrorismes idéologiques. Avez-vous remarqué combien est de plus fréquent le mot "dénoncer", dans le langage courant ? Peuple de mouchards ! Deuxième attitude: évoquer l'innocence universelle, mais cela prélude à l'irresponsabilité de chacun et souvent au malheur de tous. Comment justifier une telle attitude en un temps où l'homme s'est révélé à un tel point capable de calomnier, de torturer et d'exterminer. Troisième conduite (la plus commune de nos jours) : le destin a remplacé le péché originel comme véritable clef inconnue de notre situation d'êtres jetés dans le monde.
Méfiance.
Plutôt que de considérer l'homme comme le jouet des circonstances, né par hasard et soumis au destin, je préfère reprendre la pensée chrétienne qui me considère comme un homme libre, et donc responsable. Pour traduire cette pensée chrétienne en termes plus actuels, je dirais que fondamentalement, le péché est méfiance à l'égard de la Parole d'amour que Dieu propose à toutes ses créatures
Les petites heures du duc de BerryDans la légende d'Adam et Ève telle que la Bible nous la rapporte, on voit l'homme et la femme se méfier de Dieu, avoir peur qu'il ne les trompe. De même Caïn se méfie des avantages qu'il suppose à Abel son frère. Le péché, ce n'est pas, d'abord, l'orgueil, le désir, la concupiscence. C'est la méfiance. La méfiance qui change radicalement la situation relationnelle de la créature. Le péché change radicalement la qualité de ma relation à Dieu et aux autres hommes. Comme Adam et Caïn, chacun de nous se replonge dans la méfiance destructrice. Mais si je suis lucide, sur moi-même et sur l'état de notre humanité, ayant constaté les dégâts qu'a engendrés dans la modernité la suppression du sens du péché, je saurai reconnaître l'importance de son éclairage: il me permet de me situer en vérité dans ma relation à Dieu et dans ma relation aux frères. Il m'encourage surtout à marcher, libre et responsable, vers le Royaume. (à suivre)
30 juillet 2001.