THEOLOGIE "POUR LES NULS"

CETTE ANNEE : LE BAPTEME.

9e séquence : BAPTISER LES ENFANTS ?
(septembre 2001)

Le dimanche 19 août, j'ai baptisé une petite Clarisse, née le 13 juillet. Sylvie et Christophe, ses parents, étaient venu me voir il y a trois mois, pour me demander si je voulais bien baptiser leur petite fille avant que je quitte le ministère actif à Grand Charmont, et nous avions convenu de cette date, avant même la naissance du bébé. A cela, rien que de très normal, me direz-vous! Oui, mais voilà. Christophe n'a été qu'épisodiquement au caté pendant ses années d'enfance (je ne l'ai pratiquement jamais vu à la messe), et Sylvie, elle, n'a reçu aucune éducation religieuse. Aussi convenait-il qu'on ait de sérieuses conversations avant que je n'accepte ce baptême. On en a pris le temps, l'équipe de préparation au baptême et moi, et si j'ai accepté de baptiser Clarisse, c'est à cause d'une réflexion de la maman. Je vous la livre. "Vous savez, a-t-elle dit, mon père ne croit à rien. Il avait accepté de nous faire baptiser, sur les instances de ma mère, mais c'est tout. Jamais il n'a voulu que nous allions au caté. Si vous saviez comme je l'ai regretté ! Pas quand j'étais petite, mais quand j'ai commencé à réfléchir. J'ai toujours ressenti comme un manque, et je le ressens encore plus aujourd'hui. C'est pourquoi je veux que mon bébé ait une éducation chrétienne." C'est sur la foi de cette déclaration si personnelle que j'ai bien volontiers baptisé Clarisse.

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Fallait-il baptiser Clarisse ? Peut-être certains d'entre vous penseront qu'il eût été préférable de différer le baptême. Moi-même, j'avais été amené à différer le baptême des plus jeunes frères et sœurs de Sylvie, qui est l'aînée d'une famille nombreuse, où personne n'a jamais été catéchisé. De toute façon, ceci n'est qu'un cas particulier d'un problème plus vaste, que se pose aujourd'hui avec acuité, mais qui s'est posé dès le début de l'histoire de l'église : faut-il baptiser les petits enfants ? La question va retenir notre attention au moins pour deux mois. Soulignons pour commencer quelques éléments qui nous font nous poser la question avec plus d'acuité en ce début de XXIe siècle.

Premièrement, il y a une baisse réelle des demandes de baptême d'enfants. Dans certaines régions de France, cette baisse reste limitée, même si elle est loin d'être négligeable. Elle correspond à peu près à la baisse de la pratique religieuse du dimanche.

Deuxièmement - et c'est le fait le plus spectaculaire et le plus important - un nombre considérable d'enfants baptisés ne sont pas catéchisés. Le pourcentage d'enfants baptisés et non-catéchisés atteint et dépasse souvent 50%. Il arrive jusqu'à 70% dans certaines banlieues.

Troisièmement, il y a actuellement un certain nombre d'enfants non baptisés qui viennent spontanément au catéchisme, et donc, chaque année, on baptise des enfants en âge de catéchisme. Même si ces enfants ne sont qu'une minorité, le fait est significatif.

Enfin, il y a chaque année un certain nombre de baptêmes d'adultes. On ne peut que s'en réjouir ; mais on ne peut pas rester indifférents et passifs devant ce fait douloureux : on accepte de baptiser des enfants en sachant qu'une majorité d'entre eux ne sera pas catéchisée. Alors, faut-il continuer à baptiser les petits enfants ?

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Pourquoi voulez-vous faire baptiser votre enfant ? A ma question, un jour, une maman étonnée m'a répondu : "Mais parce que ça s'est toujours fait ! J'ai été baptisée, et mes parents avant moi, et tout le monde dans ma famille ! Je ne vois pas pourquoi vous posez la question." Eh bien non, ça ne s'est pas toujours fait. Et même, la question du baptême des petits enfants s'est posée à plusieurs époques de l'histoire. Un retour sur cette histoire mouvementée va nous permettre de mieux poser le problème.

Au début, il n'est question, dans les textes que nous possédons, que du baptême des adultes. Il est donné à la suite d'une démarche personnelle (je vous le rappelais le mois dernier) : une conversion nécessaire et publiquement exprimée. On ne parle pas du baptême des petits enfants. Cependant, quelques textes peuvent laisser supposer qu'il existait dès les premiers temps. Plusieurs fois, il est mentionné que Pierre, ou Paul, ont baptisé quelqu'un, en ajoutant "lui et toute sa maisonnée", ou "lui et tous les siens" (1 Corinthiens 1, 16 ; Actes 16, 15 et 33). Il est donc vraisemblable que dès l'origine on baptisait les enfants. Au IIe siècle, on a quelques témoignages assez précis. Saint Polycarpe déclare, en 167, qu'il "sert le Christ depuis 86 ans". Pline le Jeune, chargé d'appliquer les édits de persécution, parle de chrétiens "de tous les âges". Et Hippolyte de Rome décrit le déroulement du baptême : "Au moment où le coq chante, on priera d'abord sur l'eau. Les candidats se déshabilleront et on baptisera en premier les enfants. Tous ceux qui peuvent parler pour eux-mêmes parleront. Quant à ceux qui ne le peuvent pas, leurs parents parleront pour eux, ou quelqu'un de leur famille. On baptisera ensuite les hommes, enfin les femmes."

Premier opposant (vers l'an 200) : Tertullien, un chrétien d'Afrique du Nord. Pourquoi s'oppose-t-il au baptême des enfants ? Pour des raisons qui nous déroutent un peu. D'abord, dit-il, les parrains risquent de mourir avant de pouvoir s'occuper efficacement de leurs filleuls; de plus, l'enfant peut, en grandissant, montrer de mauvaises dispositions et être entraîné dans de graves fautes. (à l'époque, le pardon des péchés n'était donné qu'une fois, au maximum deux fois dans la vie). Aussi, conclut-il qu'il vaudrait mieux attendre "jusqu'à ce qu'ils soient mariés ou plus forts pour pratiquer la continence". Mais Tertullien est le seul à penser ainsi. Le concile de Carthage, vers 250, demande au contraire de ne pas attendre 8 jours pour baptiser les enfants, mais de le faire dès leur naissance. Donc, on a l'impression qu'à l'époque la coutume de baptiser les tout-petits est bien établie. Et cela durant toute la période des persécutions.

Avec la paix religieuse, au début du IVe siècle, que s'est-il passé ? C'est l'époque où l'Église tend à devenir une Église d'État. Les nouveaux convertis affluent. Devant le "trop-plein", l'Église réagit en plaçant très haut la barre de ses exigences. Non seulement il y a une longue période de catéchuménat, mais, une fois baptisé, il ne faut pas retomber dans le péché, sinon, la "pénitence publique" sera sévère et ne pourra pas être renouvelée en cas de rechute. On assiste alors à un courant paradoxal assez inattendu : hors certains cas d'urgence, on retarde considérablement l'âge du baptême. Saint Basile, né dans une famille chrétienne, est baptisé à 27 ans. Saint Ambroise n'est pas encore baptisé quand il est élu évêque de Milan : il a 34 ans. Saint Jérôme est baptisé à plus de 20 ans, saint Augustin à 32 ans et saint Grégoire de Nazianze, dont le père était évêque, est baptisé à 30 ans. Pourquoi ces retards ? Simplement parce qu'on cherchait à avoir le maximum de chance de mourir dans l'"innocence baptismale", de mourir "en blanc", comme on disait. Avant le baptême, on peut faire n'importe quoi, mais après, il faut mener une vie juste et droite. Saint Augustin cite une réflexion entendue couramment à son époque : "Laissez-le, qu'il fasse ce qu'il voudra, il n'est pas encore baptisé !" Ce n'est qu'au siècle suivant qu'on constate un nouveau renversement de tendance et qu'on recommence, pendant de longs siècles, à baptiser les petits enfants. Progressivement, on en viendra à ne plus baptiser que des enfants, le baptême des adultes devenant tout à fait exceptionnel. Un indice révélateur de cette évolution est la forme du baptistère : de la piscine où l'on plongeait entièrement les adultes, il voit sa taille diminuer progressivement, à partir du VIIIe siècle, pour n'être plus au XVe siècle qu'une simple cuve où l'on ne plonge même plus les bébés. Du moment qu'on verse quelques gouttes d'eau sur la tête, qui est le siège de l'intelligence, c'est l'essentiel.

Nous en arrivons au XVIe siècle, et à la naissance de la Réforme. Certains Réformateurs, en effet, refusent le baptême des enfants. Pour eux, le baptême ne peut être que la conclusion de toute une démarche de conversion et d'adhésion personnelle à Jésus Christ. C'est le cas des baptistes et des anabaptistes (les Mennonites actuels). Par contre Luther et Calvin maintiendront l'usage du baptême des petits enfants. Cette pratique, pour Luther, exprime mieux la gratuité absolue du salut ; la grâce divine est indépendante de tout comportement humain.

La Réforme ne changera donc rien aux habitudes et à la pratique des catholiques. La règle normale, c'est le baptême le plus tôt possible après la naissance. D'ailleurs, le pouvoir civil va s'en mêler. En 1539, le roi François Ier publie l'édit de Villers Cotteret qui enjoint à toutes les paroisses de tenir un registre des baptêmes (c'est le premier "état civil") : on pourra ainsi contrôler la conduite des familles. Un siècle plus tard, "le roy enjoint à tous ses sujets de faire baptiser leurs enfants à l'église de leur paroisse dans les vingt-quatre heures" (Louis XIV, 1698). C'est à la même époque qu'est introduite la pratique de l'ondoiement : la cérémonie du baptême est réduite à l'ablution d'un peu d'eau accompagnée de la formule "Je te baptise...". L'ondoiement est ensuite complété, quelques semaines ou quelques mois plus tard, par les autres rite, avec parrain, marraine, cloches, repas de famille et dragées.

Après la Révolution française, on garde un peu partout cette coutume de l'ondoiement. Les registres de baptêmes subsistent, naturellement, mais sont "doublés" par les registres d'état civil. Nous reparlerons plus tard du "baptême républicain", instauré à cette époque. Peu à peu, on constate qu'on baptise de plus en plus tard après la naissance. Le baptême ne coïncide plus avec la naissance dès lors que l'Église ne coïncide plus avec la société. On baptise des enfants de 2, 3, 4 ans... Au catéchisme se côtoient enfants baptisés et non-baptisés. L'Église baptise à tout âge.

Après ce rapide survol historique, il nous restera à voir (le mois prochain) pourquoi le baptême des tout-petits est amplement justifié. Nous découvrirons alors que le baptême des petits est conforme à l'enseignement de l'Écriture sur le baptême en général.

3 septembre 2001

 

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