"N'est-il pas le fils de Marie ?"

 

                 14e DIMANCHE ORDINAIRE B

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 6, 1-6

 

J

ésus est parti pour son pays, et ses disciples le suivent. Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. Les nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à cause de lui. Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison ». Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Il s’étonna de leur manque de foi. Alors il parcourait les villages d’alentour en enseignant.

 

 

oOo

Étonnement

Voilà donc Jésus qui, le jour du sabbat, entre dans la synagogue de Nazareth, son village, avec la petite bande de ses amis. L’évangile nous dit que, lorsque Jésus prend la parole, ses compatriotes sont « frappés d’étonnement ». Quel est donc le sujet de leur étonnement ? Certainement pas le fait que Jésus prenne la parole : c’était d’usage courant dans le judaïsme. N’importe quel homme adulte avait le droit de lire la Bible en public au cours de l’office synagogal, et de faire ensuite le commentaire approprié. Ce qui remplit d’étonnement les gens de Nazareth, c’est, d’une part, la façon « pleine de sagesse » avec laquelle Jésus s’exprime, et d’autre part, le fait que lui, le charpentier du village, puisse faire des miracles. Sans doute, jusque là, Jésus n’a jamais fait parler de lui. Il y a trente ans qu’il habite au milieu de ces gens. On le connaît bien. Mais depuis quelques mois, il a quitté son métier, sa famille, son village. On a appris qu’il était considéré comme un prophète, un peu partout, en Galilée. Alors, les gens de Nazareth sont pour le moins sceptiques. Imaginez simplement qu’un jour, dans votre village, dans le quartier où vous habitez, un homme se mette à prêcher, qu’il adopte un genre de vie un peu bizarre, qu’il prétende guérir les malades... Quelle serait votre réaction ? Sans doute la même que celle des compatriotes de Jésus : « celui-là, on le connaît. On connaît sa famille. On sait tout de lui ».

On connaît... On croit connaître. Mais connaît-on jamais quelqu’un ? S’ils avaient été un peu plus futés, les habitants de Nazareth, le fait d’entendre Jésus parler « avec autorité », d’une parole qui venait rompre les monotones homélies hebdomadaires auxquelles ils étaient habitués ; le fait d’apprendre que Jésus, dans les villages voisins, avait guéri telle femme, et même ressuscité la petite fille d’un chef de synagogue aurait dû les pousser à faire une enquête sérieuse, avant de tout rejeter de façon péremptoire : « Celui-là, on connaît ! »

Incarnation

On est ici en plein cœur de ce que, plus tard, les théologiens appelleront le « mystère de l’Incarnation », mystère qu’ils chercheront à expliciter en de volumineux traités. Ici, en quelques lignes, tout est dit ; les habitants de Nazareth sont « frappés d’étonnement »... et Jésus « s’étonnait de ce qu’ils ne croyaient pas ». Étonnement des compatriotes de Jésus : comment croire que Jésus est autre chose qu’un homme ? Un homme comme eux. Simplement, il y a ce « comme eux » qui est de trop. Jusqu’ici, Jésus n’a révélé que l’aspect humain, pleinement humain de sa personnalité. Comme tous les gens de son village, Jésus a été un enfant, il a eu ses camarades, il a joué avec eux, avant d’apprendre un métier, le métier de Joseph. Il est devenu un bon travailleur manuel, à qui on a eu recours, aussi bien pour une charpente que pour un instrument de travail. Le charpentier du village. Ici vit toute sa famille. Et il n’a jamais fait parler de lui. Et voilà un homme qui, d’un seul coup – est-ce immédiatement après son baptême par Jean-Baptiste ? – devient prédicateur errant, s’entoure de disciples, annonçant l’imminence de la venue de Règne de Dieu. Tout, d’un coup, a basculé dans la personnalité de cet homme. Quelques mois plus tard, ses proches, par la bouche de Simon-Pierre, lui diront qu’il est plus qu’un prophète, qu’il est le Messie. Et un jour, au pied de la croix, le centurion, un païen, témoin de sa mort, déclarera que ce charpentier de Nazareth est vraiment fils de Dieu. L’Homme-Dieu. Mais, au commencement, les habitants de Nazareth ne peuvent qu’être « frappés d’étonnement ». Comme on les comprend !

Et Jésus ? L’évangile de Marc nous apprend que, ce jour-là, à Nazareth, « il s’étonnait de ce qu’ils ne croyaient pas ». L’homme-Jésus ne sait pas tout. Même si, lui-même, sait bien que « nul n’est prophète en son pays ». Il ne s’attendait pourtant pas à cette résistance dans son propre village. Il y est « objet de scandale », un peu l’empêcheur de tourner en rond. Celui qui dérange, qui bouscule les traditionnelles manières de penser, les habituelles classifications, toutes ces étiquettes qu’on colle sur chacun en le rangeant dans sa catégorie. Ce Jésus, notre charpentier habituel, « d’où cela lui vient-il ? » Certes, il est un homme, pleinement. Capable de s’émouvoir, de s’irriter, de s’interroger et de manifester son étonnement. Mais il pourrait déjà dire ce qu’il révélera un jour à saint Paul : « Ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ». Mystère de l’incarnation. Dieu caché. Puissance, dynamisme caché sous l’aspect bien simple d’un travailleur de village.

Puissance, et non pouvoir.

Jamais Jésus ne recherchera le pouvoir. Mais sa puissance se manifestera dans ses gestes et ses paroles. Il parle et agit avec autorité, mais il refuse d’exercer le pouvoir. Il n’utilise aucun signe qui puisse prouver quoi que ce soit. Mais, comme le prophète Ézéchiel, il est envoyé vers ceux qui ont « le visage dur et le cœur obstiné ». Alors, « qu’ils écoutent ou qu’ils s’y refusent – car c’est une engeance de rebelles – ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux ».

Il y a eu dans l’histoire de l’Église des moments où elle a voulu utiliser le pouvoir pour imposer le message du Christ. Chaque fois qu’elle l’a fait, les résultats ont été catastrophiques. Il en va de même pour chacun de nous. Demandons-nous quelles sont les occasions, dans notre vie, où nous essayons d’exercer le pouvoir sur les autres. Alors, nous serons peut-être plus attentifs aux prophètes de notre temps, dépouillés de tout pouvoir, mais qui parlent et agissent avec autorité. C’est par eux, dans leur propre faiblesse, que se manifeste aujourd’hui la puissance de Dieu.

 

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