Il proclamait un baptême de conversion
DEUXIEME DIMANCHE DE L'AVENT (B)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 1, 1-8
Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, Fils de Dieu. Il était écrit dans le livre du prophète Isaïe : « Voici que j’envoie mon messager devant toi, pour préparer ta route. A travers le désert, une voix crie : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez la route ». Et Jean le Baptiste parut dans le désert. Il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés.
Toute la Judée, tout Jérusalem, venait à lui. Tous se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en reconnaissant leurs péchés. Jean était vêtu de poil de chameau avec une ceinture de cuir autour des reins et il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Il proclamait : « Voici venir derrière moi celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de me courber à ses pieds pour défaire la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés dans l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. »
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Fatigués de croire ?
J'entendais l'autre jour, à la radio, un de nos chroniqueurs les plus éclairés ; parlant de la crise qui atteint notre monde actuel, il commença par expliquer qu'il ne faut pas parler d'une crise au singulier, mais bien plutôt DES crises qui nous secouent. A la fois crise boursière, financière, bancaire, économique, mais, plus largement encore, crise de civilisation, qui atteint toutes nos sociétés. Il invitait ses auditeurs à faire preuve de lucidité et de courage. Car, ajoutait-il, "le plus grave, sans doute, est le manque de convictions de nos contemporains". Il ajouta même, lui qui est un croyant, que l'un des symptômes les plus graves de cet état de fait est que beaucoup de gens, aujourd'hui, semblent être "fatigués de croire."
La réflexion m’a paru pertinente. Je rencontre souvent, en effet, des gens, des amis, qui me disent leurs désillusions, leurs difficultés à croire, leur sentiment désabusé. Ils avaient espéré, dans leurs jeunes années, travailler à un monde plus beau ; la sortie du dernier conflit mondial les avait encouragés à y travailler avec espérance. Or, non seulement la situation ne s’est pas améliorée, mais elle s’est considérablement aggravée. On espérait un progrès, et voilà qu’on est en régression ! Aussi, maintenant parvenus au grand âge, ils se demandent s’ils n’ont pas fait fausse route et si tout cela n’était que rêves inconsidérés.
Erreur de perspective ?
Manque de convictions ? Certainement. Mais tout simplement parce que nous avons faussé la perspective. Peut-être sommes-nous trop pressés. Peut-être également ne prenons-nous pas assez de recul ! En tout cas, c’est ce que semblent vouloir nous dire les textes bibliques que la liturgie de ce dimanche nous invite à méditer. Il y est question de routes, de délais et d’avenir.
Le passage du prophète Isaïe aussi bien que le commencement de l’évangile de Marc parlent de route dans le désert Evocation des deux événements fondateurs du peuple de Dieu : la route de la longue marche à travers le désert, depuis l’Egypte, terre d’esclavage, jusqu’à la Terre Promise, la terre de la liberté ; et la route qui mène d’Irak en Israël, à travers le désert de Syrie, lors du retour de la captivité à Babylone. Deux routes « à travers le désert ». Routes des hommes. Mais aussi route de Dieu. Chemin de Dieu vers les hommes. C’est très précis dans nos textes. Il s’agit d’un chemin pour notre Dieu. Donc, pour être clairs et précis, il est question de marche, de démarche… et de rencontre. La rencontre de Dieu.
Mille ans sont comme un jour
Et voici que l’apôtre Pierre va nous détromper sur le temps de cette rencontre. Nous l’imaginions soudaine, facile, imminente. Pierre nous explique qu’elle se fait dans la longue durée, car aux yeux de Dieu, « mille ans sont comme un jour ». Il n’a pas la même perception du temps que nous, les humains. Et effectivement, lorsque je survole l’histoire de notre humanité, je me rends compte que cette visite de Dieu, son mariage avec l’humanité ne se produit pas en un jour, comme une irruption brutale et inopinée dans l’histoire, mais comme le fruit d’une lente maturation tout au long de l’histoire. La belle histoire d’amour entre Dieu et les hommes a connu tant de péripéties. Toutes celles que nous raconte l’Ancien Testament. Ce qu’on appelle le « mystère de l’Incarnation » ne débute pas à Noël. Il n’arrive pas, un jour du temps, « comme des cheveux sur la soupe ». Il a fallu la lente maturation de cet amour entre Dieu et les hommes, avec ses jours de bonheur et ses déconvenues, des infidélités et des fidélités, cette alliance scellée, puis fissurée, puis renouvelée. Jusqu’à ce que le pacte initial s’accomplisse en Jésus Christ. Mais le Christ était en gestation, en genèse, dès l’apparition des premiers humains. Et l’événement qui s’est produit il y a deux millénaires – deux jours aux yeux de Dieu – continue à mûrir aujourd’hui. L’incarnation ne sera accomplie qu’à la fin des temps. Ne l’oubliez pas, nous sommes « le corps du Christ », et ce corps est encore partiellement en devenir, jusqu’à ce que nous ayons atteint « l’état de l’homme parfait, à la taille même qui convient à la plénitude du Christ », comme dit saint Paul (Ephésiens 4, 13) Ce « corps » ne sera achevé que dans l’unité vers laquelle nous allons. Voilà ce que veut dire l’image d’Isaïe, reprise par les évangiles, d’un chemin à tracer pour permettre la venue du Seigneur dans notre humanité.
Vers un monde nouveau
Voilà qui va nous permettre, d’une part, de vivre nos convictions chrétiennes avec patience et largeur de vue, dans la perspective de la longue durée ; et d’autre part de comprendre pourquoi nous parlons, en ce temps de l’Avent, de l’attente du Seigneur, alors qu’il est venu il y a deux mille ans. Il vient depuis toujours – et non pas seulement depuis le premier Noël – et il vient chaque jour, aujourd’hui comme hier et demain, jusqu’à la venue terminale « dans la gloire ». En attendant, il nous faut vivre selon les « mœurs » du monde nouveau vers lequel nous marchons, « ce ciel nouveau et cette terre nouvelle où résidera la justice. »
Mais au fait, que signifie pour nous cette expression « Le Seigneur vient » ? Là encore, il me faut faire appel à l’expérience séculaire des hommes de la Bible pour comprendre de quoi il s’agit. Il me faut comprendre que le chemin de Dieu passe toujours par des intermédiaires. Aux temps anciens, c’est par Moïse que Dieu s’adresse à son peuple, puis par les prophètes. C’est par Jean-Baptiste, le dernier des prophètes, que Jésus se fait annoncer, et c’est par le Christ, Verbe fait chair, que Dieu nous parle « en ces temps qui sont les derniers ». Et aujourd’hui ? Sans toujours le vouloir et heureusement à notre insu, chacun de nous est chemin de Dieu pour ceux qu’il rencontre. Et réciproquement nous pouvons attendre une visite de Dieu dans la rencontre des autres. Même du plus minable. Ils sont tous présence réelle de Dieu venant à nous.
La subversion du christianisme
Voilà bien la subversion de toutes les valeurs. De ce que nos civilisations considèrent comme les vraies valeurs. Dieu se présente à nous comme le pauvre, l’homme blessé, celui qui a besoin de nous, le mendiant d’amour. Il n’utilise pas les moyens que donne la richesse ou la puissance. Quand il se présente à nous, c’est un enfant. Et dans les civilisations antiques, l’enfant, ce n’est pas « l’enfant-roi » de nos mentalités actuelles. C’est d’abord celui qui ne compte pas, celui qui ne parle pas (in-fans, en latin), celui qui est totalement démuni et dépendant. Mais l'enfant, c’est aussi l’avenir. Comme la semence jetée en terre et dont la croissance secrète est irrésistible. Le Christ est toujours cet enfant, cet être qu’il faut aider à vivre, mais en chemin vers sa taille adulte. Il chemine et grandit dans le secret de notre histoire humaine. Il grandit à travers tous nos gestes d’amour. Et, sans nous en douter, nous grandissons avec lui. Voilà de quoi nourrir nos convictions chrétiennes, notre confiance en l’avenir et notre vigilance active.