Elle mit au monde son fils premier-né

    NUIT DE NOEL

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 2, 1-14 

En ces jours-là, parut un édit de l'empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre. Ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. Et chacun allait se faire inscrire dans sa ville d'origine. Joseph, lui aussi, quitta la ville de Nazareth en Galilée, pour monter en Judée, à la ville de David appelée Bethléem, car il était de la maison et de la descendance de David. Il venait se faire inscrire avec Marie, son épouse, qui était enceinte. Or, pendant qu'ils étaient là, arrivèrent les jours où elle devait enfanter. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l'emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n'y avait pas de place pour eux dans la salle commune.

Dans les environs se trouvaient des bergers, qui passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L'ange du Seigneur s'approcha, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d'une grande crainte, mais l'ange leur dit : " Ne craignez pas, car voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : aujourd'hui vous est né un Sauveur, dans la ville de David. Il est le Messie, le Seigneur. Et voilà le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. " Et soudain, il y eut avec l'ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu'il aime. "

oOo

 Un film

« Joyeux Noël ». C’est le titre d’un film qui était sorti sur nos écrans il y a trois ans et que la télé a re-diffusé il y a quelques semaines. Je pense que beaucoup d’entre vous l’ont vu, ou revu. Pour ceux qui ne l’ont pas vu, je résume en quelques mots l’histoire. Cela se passe à Noël 1914 (c’est une histoire vraie). Après quelques mois de guerre éclair, le front s’est stabilisé. Commence alors une guerre de tranchées qui durera près de quatre ans. Les fantassins ennemis, français, écossais, anglais et allemands sont souvent, dans leurs tranchées, à quelques dizaines de mètres les uns des autres. Arrive la nuit de Noël. Et l’on voit ces soldats amorcer des gestes de fraternisation. On s’appelle, on s’approche, on échange une poignée de mains, quelques petits cadeaux… s’élève alors un chant, Stille Nacht, En réponse, Minuit chrétiens, Adeste fideles… De la fraternisation à la fraternité, il n’y a qu’un pas. Alors, on se souhaite « Joyeux Noël ». Et dans la nuit, on voit briller quelques loupiotes, fragiles lumières, signes d’espérance, signes que, même dans ces tragiques circonstances où des hommes sont plongés, une joie, un bonheur est possible.

Souhaiter Joyeux Noël à  l’ennemi, comment cela est-il possible ? Comment peut-on souhaiter de la joie à l’ennemi, même si on le reconnaît comme un compagnon de misère ? Il faut croire que même la nuit la plus noire ne peut pas venir à bout d’une frêle clarté ; et que les humains sont ainsi faits que même au cœur de la misère, ils continuent à espérer.

Lumière dans la nuit

La nuit ! Quand on est dans la nuit la plus profonde, quand il n’y a pas le moindre rayon de lumière, on ne peut plus avancer. Tout est bloqué. On a peur de tomber, de buter dans quelque obstacle. On ne peut plus marcher. C’est le temps de la peur, le temps où l’on tourne en rond. Quand j’étais enfant, j’avais peur de la nuit. Cette angoisse a cessé avec l’âge, mais demeure toujours en moi à la fois une certaine appréhension du noir absolu et une réelle aspiration à voir le jour, à chercher la lumière. C’est instinctif, irraisonné.

Il y a la nuit réelle, qui précède le jour, et la « nuit » symbolique dont elle est l’image. Nuit personnelle, lorsqu’on ne voit plus clair en soi, lorsqu’on est saisi par toutes sortes de peurs ; lorsque l’on a même peur de l’avenir et qu’on a perdu la nécessaire confiance, en soi et en Dieu. Nuit de nos sociétés, où tout ce qui constituait les valeurs sur lesquelles elles se fondaient est remis en question. Nuit plus profonde encore pour ces immenses portions de l’humanité en proie à la misère, victimes de la violence et de la bêtise des hommes, ou victimes des tsunamis ou autres catastrophes naturelles. Ne serait-ce pas indécent de souhaiter ce soir « Joyeux Noël » à toutes les victimes ?

Les fantassins de 14 l’ont fait envers leurs camarades, non pas comme un geste machinal, mais, je le crois, alors qu’ils étaient dans la plus noire détresse, comme un geste d’espérance. Et pour eux, les petites loupiotes qu’ils allumaient manifestaient – bien plus fort que les lumières de Noël qui éclairent nos villes depuis plusieurs semaines – qu’une joie est possible, même au plus profond de nos nuits. Un « joyeux » Noël. Pour eux, catholiques, anglicans ou protestants, croyants on non-croyants, chanter ensemble « Douce Nuit » exprimait pleinement leur prière de demande pour une paix, en apparence lointaine ou même improbable, mais fortement espérée. Que la  nuit noire se fasse douce et tendre, que les hommes contribuent à la rendre douce et tendre, c’était là l’expression de leur vœu le plus cher. Un vrai souhait de bonheur.

Il y a bien longtemps

Et la cause de tout cela ? L’occasion toute trouvée de ces gestes de fraternité ? Une naissance ? Il y a bien longtemps. Une naissance dans la nuit de Bethléem, il y a vingt siècles. L’événement, pourtant, n’avait pas fait de bruit. Ce n’est pas un événement dont on fait la « une » des journaux, la naissance d’un bébé dans une écurie, parce qu’il n’y avait pas de place pour lui dans la maison. Certes, nous dit l’évangile de Luc, il y eut les bergers qui furent « environnés de lumière », signe que quelque chose d’insolite se passait dans la petite cité ; mais une lumière éphémère. Tout est bien vite retombé dans la nuit.  Donc, un bébé, j’allais dire : « comme les autres ». Durant sa vie terrestre, il a certes intéressé un certain nombre de ses contemporains ; mais à la fin, ils n’étaient pas très nombreux, ceux qui le suivaient encore. Au maximum quelques centaines de personnes ? Et on n’a presque aucune trace de son parcours terrestre dans la littérature profane de son époque. Impossible d’écrire une « vie de Jésus ». Et pourtant, si nous sommes là, rassemblés ce soir dans cette église, et si, partout dans le monde, on fait la fête en mémoire de cette naissance, c’est qu’il y a, aujourd’hui encore, chez les humains comme pour vous, un besoin de manifester une foi – plus ou moins consciente, plus ou moins bien exprimée – en celui qui était présenté aux bergers de Bethléem comme « un Sauveur ».

Une foi exprimée, et aussi un appel.

Un Dieu humain

Pour exprimer ma foi, je ne peux mieux faire, personnellement, que reprendre les paroles de la lettre que l’apôtre Paul adressait à son disciple et ami Tite. Il commence par parler de « la gracieuse bonté de Dieu à notre égard. » qui est apparue ce jour-là.  Quelques lignes plus loin, il parle de « l’humanité de Dieu » et, en conséquence, il nous explique que Dieu nous invite à nous comporter « en hommes raisonnables, justes et religieux » dans l’attente de la manifestation finale du Christ.  Ce qui veut dire, premièrement, que nous sommes aimés de Dieu, infiniment plus que nous le supposons, chacun de nous personnellement. Et deuxièmement, que Dieu nous invite à être aussi humains qu’il ne l’est lui-même. C’est une image, certes, ce mot de saint Paul, parlant d’un « Dieu humain », mais en même temps, c’est un appel à un plus. Un appel à sortir de l’animalité, à nous dégager de l’homme préhistorique que nous sommes encore, par certains côtés, pour devenir – je n’hésite pas à employer le mot – pour devenir « divins ».

Une nuit de Noël 1914, quelques poignées de soldats ont découvert qu’ils n’étaient pas des combattants, des fantassins, de la chair à canon, des ennemis à massacrer, mais, les uns et les autres, simplement, des humains. Ils ont fraternisé. Ils se sont reconnus frères. Miracle de Noël ! Alors, dépassant la haine et la violence, ils ont pu se souhaiter un JOYEUX NOËL.

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