Hosanna au plus haut des cieux !
DIMANCHE DES RAMEAUX (B)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 11, 1-10
Quelques jours avant la fête de la Pâque, Jésus et ses disciples approchent de Jérusalem, de Bethphagé et de Béthanie, près du mont des Oliviers. Jésus envoie deux de ses disciples : « Allez au village qui est en face de vous. Dès l’entrée, vous y trouverez un petit âne attaché, que personne n’a encore monté. Détachez-le et amenez-le. Si l’on vous demande : Que faites-vous là ? répondez : Le Seigneur en a besoin : il vous le renverra aussitôt. »
Ils partent, trouvent un petit âne attaché près d’une porte, dehors, dans la rue, et ils le détachent. Des gens qui se trouvaient là leur demandaient : « Qu’avez-vous à détacher cet ânon ? » Ils répondirent ce que Jésus leur avait dit, et on les laissa faire. Ils amènent le petit âne à Jésus, le couvrent de leurs manteaux, et Jésus s’assoit dessus.
Alors, beaucoup de gens étendirent sur le chemin leurs manteaux, d’autres, des feuillages coupés dans la campagne. Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient, criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni le Règne qui vient, celui de notre Père David. Hosanna au plus haut des cieux ! »
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Un sort unique ?
Nous voici donc, une fois de plus, assemblés pour faire mémoire de la Passion de Jésus. Des crucifiés, il y en eut, parait-il, des milliers, à l’époque romaine. Des condamnés à mort, ils ont été des millions dans l’histoire. Il y en a encore, hélas, beaucoup aujourd’hui. Des victimes de la haine et de la violence, on en trouve, aujourd’hui même, tous les jours et dans de nombreux pays. Donc, en apparence, le sort de Jésus n’est pas unique, bien au contraire. En quoi est-il donc si important que partout dans le monde, aujourd’hui, deux mille ans après l’événement, on en fasse encore mémoire, en relatant les faits, dans toutes les églises où l’on célèbre la fête des Rameaux ? En d’autres termes, est-ce que cette mort violente a quelque chose d’unique ? Et donc, quelle est la signification, quelle est la nécessité d’une telle mort violente ?
Des explications
Au cours des siècles, les théologiens ont donné diverses interprétations de la Passion du Christ. Première explication : la thèse du rachat. On la trouve chez la plupart des Pères de l’Eglise. Dieu a payé une rançon au démon. Le démon était devenu propriétaire de l’humanité depuis le péché des origines. « Prince de ce monde », dit Jésus. Pour nous racheter, Dieu a payé de la vie de son propre Fils. Deuxième explication, à partir du Moyen-Age : c’est Jésus lui-même qui s’est sacrifié pour expier à notre place notre péché, « et de son Père apaiser le courroux », comme le chantait le Minuit, chrétiens.
De nos jours, aucune de ces explications n’est acceptable. Mais si on s’en tient aux faits, comme l’évangile de Marc nous invite à le faire, on voit Jésus comme quelqu’un qui est un gêneur, un homme qui dérange. Lui-même comme son message sont dérangeants. Si bien qu’il va attirer sur lui l’incompréhension, la haine, la violence. Non seulement des autorités, amis également de la foule qui criera d’une seule voix « Crucifie-le ».
Si je relis le récit de la Passion de Jésus dans le contexte actuel de guerre, de violence et de haine qui dominent dans notre monde, je me dis que violence et lutte pour le pouvoir ont sans cesse cherché à dominer le monde. Non seulement Jésus refuse cette forme de pouvoir, mais il se range, en donnant sa vie (car, dit-il, « ma vie nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne »), du côté des victimes. Et c’est par ce geste qu’il s’assure la victoire définitive contre les forces du mal. Et c’est ainsi qu’il nous révèle qui est Dieu. Non pas le « Tout-Puissant » au sens où on l’entend ordinairement, mais celui qui, par sa mort – eh oui, la mort de Dieu – « se tue », littéralement à nous montrer qui il est. Geste fou, scandaleux à première vue, incompréhensible.
Un geste mystérieux
Peut-être, pour en comprendre le sens et la portée, faut-il le relier au geste mystérieux d’une femme anonyme, qui nous est rapporté au début de cet évangile de la Passion.
Mystérieuse en effet est cette femme dont on ne sait rien, même pas le nom, qui ne prononce pas un seul mot, qui fait un geste en apparence scandaleux, du moins pour la plupart de ceux qui en furent témoins : le parfum contenu dans le vase dont elle brise le col et qu'elle répand sur la tête de Jésus est un parfum de grande valeur : trois cents deniers, c'était le salaire d'une année de travail d'un ouvrier agricole ! Vous vous rendez compte ! Quel gaspillage, pensent les gens. Même si c'est un geste de pur amour ! Seul Jésus donne le sens de ce geste : il vise par avance sa mort et sa sépulture.
Mystérieux tout de même, ce gaspillage qui ne sert à rien. Mais je me demande s'il n'est pas utile à la compréhension de la suite. Voilà un geste de gratuité qui est mis en opposition à celui de Judas, qui livre Jésus pour de l'argent, et à tous les calculs politiques des autorités religieuses, de Pilate et d'Hérode. Mais Jésus, lui, met ce geste en lien avec sa propre passion. Le geste fou d'amour gratuit d'une inconnue est symbolique du geste fou d'amour gratuit que Jésus va faire en mourant sur la croix. "Pas de plus grand amour que de donner sa vie." Aussi, dit Jésus, partout on fera mémoire de ce geste, comme on fait mémoire quotidiennement, à chaque eucharistie, du don de sa propre vie.
. La violence est au cœur de l’homme et de l’humanité. C’est en se plaçant du côté des victimes que Jésus nous en libère. A nous de nous demander de quel côté nous sommes. C’est la seul manière de faire efficacement mémoire : par la gratuité de nos actes, de tous nos actes d’amour.