SIXIEME DIMANCHE DE PAQUES (B)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 15, 9-17.
A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous êtes fidèles à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ; comme moi, j’ai gardé fidèlement les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que vous soyez comblés de joie. Mon commandement, le voici : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que veut faire son maître ; maintenant, je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître.
Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous partiez, que vous donniez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l’accordera. Ce que je vous demande, c’est de vous aimer les uns les autres ».
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Trois thèmes
Tout au long de ces dimanches après Pâques, nous lisons des extraits des instructions que Jésus a données à ses disciples quand il était avec eux. Et particulièrement des extraits de ce long discours que l’évangile de Jean place à la fin du récit du dernier repas que Jésus a pris avec ses disciples avant d’être arrêté, condamné et mis à mort. Un long discours, trois chapitres, dont il est difficile de saisir la construction, tant les thèmes y sont enchevêtrés. Pour faire simple, disons qu’on y trouve trois grands thèmes. Le premier souligne l’unité profonde qui existe entre Jésus et Dieu son Père ; le deuxième tient compte des perturbations causées dans l’esprit des disciples à la perspective de son « départ » ; et enfin, troisième thème : une insistance particulière mise par Jésus sur la nécessité de l’amour fraternel comme « signe ».
Une chaîne d'amitié
Nous venons donc d’entendre aujourd’hui un texte particulièrement lourd : pour l’assimiler en son entier, il faudrait des heures. Et même, pour le faire nôtre, je crois qu’il y faudra toute la vie. Essayons donc de faire simple et, en quelques minutes, d’en extraire une image : l’image d’une chaîne d’amitié. Avec quatre chaînons : le Père, le Fils, nous et les autres.
Au point de départ, l’amour de Dieu. Dieu, nous dit Jésus, est son Père et l’aime, lui, comme un Père. Naturellement, le Fils répond à son amour paternel par son amour filial. L’amour ne s’arrête pas là, sinon, il serait un amour refermé sur lui-même, un amour égoïste. C’est parce qu’il y a à l’origine l’amour du Père et du Fils que Jésus nous dit qu’à son tour il nous aime. Disons qu’il nous fait entrer dans l’amour divin. Et il nous montre son amour en donnant sa vie. Ce n’est pas du baratin. Et alors, nous, si nous entrons dans l’amour qui est Dieu, obligatoirement nous allons vivre cet amour en nous aimant mutuellement. Concrètement, et cela se verra. Nous sommes appelés à porter du fruit.
Une chaîne d’amitié. Si nous nous laissons prendre dans cette chaîne d’amitié, notre relation a Dieu va s’en trouver modifiée totalement : Dieu devient notre ami. Comme Moïse qui, nous dit la Bible, discutait avec Dieu face à face, comme un ami avec son ami (Exode 33, 11). Celles et ceux qui ont fait l’expérience d’une belle et forte amitié peuvent comprendre la force du propos de Jésus. C’est d’ailleurs pourquoi il souligne immédiatement quelle sera la conséquence de cette amitié qu’il nous offre : la joie. « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que vous soyez comblés de joie. »
Tous les hommes
Voulez vous entrer dans la joie de Dieu ? Alors acceptez de vous relier, de devenir un chaînon de cette chaîne d’amitié. Tous sont invités. Car l’amitié que nous offre Jésus n’est pas réservée à quelques-uns, à une élite. L’apôtre Pierre, un jour, est appelé à se rendre chez des païens, chez le capitaine Cornelius, à Césarée. Ce qui le laisse perplexe. Jamais un bon juif n’accepterait d’entrer chez des païens : ce serait se souiller ! Il y va et s’écrie alors : « Dieu ne fait pas de différence entre les hommes ». Ce qui nous paraît aujourd’hui une évidence, mais qui, pour Pierre et ses camarades, n’allait pas de soi. Oui, tous sont invités, car tous sont l’objet de l’attention paternelle de Dieu. Pas seulement les chrétiens. Pas seulement les croyants de toute religion. Tous les hommes. Tous peuvent se relier, tous peuvent entrer en relation et donc ne pas rester à l’écart de la chaîne d’amitié qui a sa source en Dieu, et dont Jésus nous indique le mode d’emploi.
Car Jésus nous indique immédiatement le lien qui existe entre l’amitié et la connaissance. Pour aimer, il faut connaître. Et réciproquement. Connaissance et amour vont ensemble. « Celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu », écrit saint Jean. A ses disciples que désormais il appelle ses amis, Jésus a fait connaître, dit-il, tout ce qu’il a appris de son Père. Entre amis, pas de secrets. Il y a pleine confiance dans l’intimité.
L'amitié exigeante
Cette amitié qui nous unit n’est pas une pure affaire de sentiments. Toute amitié a ses exigences. Les mots employés par Jésus dans les recommandations qu’il donne nous indiquent bien que l’amitié ne va pas de soi et comporte ces exigences. Il s’agit de « demeurer », de « garder » les commandements, d’être « fidèles », et même, ajoute-t-il, au sommet, il s’agit de « donner sa vie. » Nous sommes bien loin d’une pure sentimentalité.
C’est pourquoi Jésus parle d’un commandement. Ce qui peut nous choquer. L’amour ne se commande pas, penserons-nous ! C’est quelque chose de spontané. Et pourtant, à y regarder d’un peu plus près, nous remarquerons facilement qu’un amour vrai est un acte qui fait appel à notre volonté ; plus, même, qui exige du courage. Particulièrement de nos jours. Car jamais comme aujourd’hui, amour, amitié n’ont été aussi totalement dévalués. Les valeurs de nos sociétés font appel à l’avoir, au pouvoir, à la domination et à la lutte. Si bien que si nous arrivons en prêchant l’amour, nous allons passer pour des naïfs.
Tout cela est bien réel, et cependant l’amitié que Jésus nous offre est une valeur supérieure, plus explosive même, que toutes les valeurs actuelles auxquelles elle s’oppose. C’est celle qu’il a manifestée à l’égard de tous, y compris à l’égard de ses ennemis, lui qui accueille Judas en l’appelant « mon ami ». Le plus grand amour possible, celui qui est vainqueur même de la mort, c’est celui qu’il annonce : « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » C’est à cet amour que nous sommes appelés. C’est là notre modèle. C’est aussi la source de notre joie.