L'ASCENSION DU SEIGNEUR (B)
Evangile de Jésus Christ selon saint Marc 16, 15-20
Jésus ressuscité dit aux onze Apôtres : " Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui refusera de croire sera condamné. Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : en mon nom, ils chasseront les esprits mauvais ; ils parleront un langage nouveau ; ils prendront des serpents dans leurs mains, et, s'ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades s'en trouveront bien".
Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s'assit à la droite de Dieu. Quant à eux, ils s'en allèrent proclamer partout la Bonne Nouvelle. Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l'accompagnaient.
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Où est-il ?
Je crois vous avoir déjà raconté combien j’avais été embarrassé lorsqu’un petit garçon de huit ans, qui venait de faire sa Première Communion, m’avait demandé : « mais où est-il, Jésus ? » Ma réponse ne pouvait être qu’embarrassée, car la seule réponse possible aurait dû être : « il n’est nulle part ». J’aurais pu également lui répondre : « Il est partout ». Mais dans les deux cas, ma réponse avait quelque chose de faux, tant il est impossible de localiser Jésus ressuscité. En tout cas, la réponse que donne le Nouveau Testament lorsqu’il dit à plusieurs reprises : « Il est monté aux cieux » risque de nous induire en erreur. De même que notre profession de foi chrétienne, que nous récitons tant de fois sans y prêter suffisamment attention : « Il est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu. » En effet, pas plus que Dieu lui-même, Jésus ressuscité n’est localisable. On ne peut pas le situer dans un lieu quelconque. Alors ?
L’Ecriture tout entière, pourtant, situe Dieu en des lieux bien définis. Les cieux – donc, là-haut – ou au milieu de son peuple, ou dans son Temple, à Jérusalem. Voilà la « demeure » de Dieu. Jésus, dans l’Evangile, va donner une autre perception de la « demeure de Dieu » : c’est Jésus lui-même qui est le Temple de Dieu, donc le lieu de la présence réelle divine, visible, constatable. Puis, à la veille de son arrestation, ce sont les disciples eux-mêmes qui deviennent la « demeure » de Dieu. Et Paul dans sa première lettre aux Corinthiens, dira que c’est l’Eglise qui est le Corps du Christ, et ailleurs, que nos propres corps sont le Temple de Dieu.
Alors, pour répondre à la question de mon petit garçon, j’ai essayé de lui expliquer que si, aujourd’hui, je ne peux pas voir Jésus en face, c’est parce qu’il est en moi. De même que les hommes vêtus de blanc reprochaient aux disciples de regarder vers le ciel, au matin de l’Ascension, de même aujourd’hui ils nous invitent à chercher Jésus là où il est réellement : à regarder vers nos frères.
Je ne sais pas si mes explications ont été convaincantes pour mon jeune interlocuteur : il est tellement tentant de s’imaginer Jésus dans un ailleurs, et donc de le situer sans cesse dans d’autres lieux. Il faut dire d’ailleurs que les textes du Nouveau Testament – et particulièrement le passage du livre des Actes des Apôtres que nous lisons ce matin – ne nous facilitent pas la tâche. Et pourtant… !
Une parabole
Il y a un texte que Paul cite dans sa Lettre aux Philippiens qui répond à notre question. Les spécialistes pensent qu’il s’agit d’une hymne que la première communauté chrétienne chantait : elle décrit l’itinéraire du Christ sous la forme géométrique d’une parabole. Ce texte, vous le connaissez certainement. Je le résume : Le Christ est de condition divine ; il s’est abaissé, il a renoncé à cette condition pour devenir esclave. Il s’est fait homme, le plus humble des hommes, jusqu’à la mort des esclaves : sur la croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé à la plus haute place : il lui a donné le nom le plus important de tous les noms, afin qu’au nom de Jésus, tous les êtres tombent à genoux devant lui et le proclament Seigneur.
Lorsque le Credo proclame que Jésus « est monté aux cieux et est assis à la droite de Dieu », c’est de cela qu’il s’agit : l’apothéose de sa trajectoire. L’expression « monté aux cieux » n’a plus aucune signification spatiale. Elle veut dire simplement que Jésus a été élevé au-dessus de toutes créatures. Il s’agit d’une prise de pouvoir. Jésus a pris le dessus, il domine la situation. Je sais bien que l’expression « prise de pouvoir » a mauvaise presse aujourd’hui : il y a tant de pouvoirs oppresseurs sur notre terre ! Pouvoirs économiques ou politiques, pouvoirs liés à l’argent, pouvoirs qui réduisent les hommes et en font des « inférieurs ». Avec le Christ, il n’y a rien à redouter de tout cela : l’ascension du Christ fait de nous, au contraire des hommes libres. Comprenons bien cela.
Mission cosmique
Beaucoup de nos contemporains sont des esclaves. Idolâtrie de l’argent, besoin de dominer, peurs de toutes sortes, volonté de puissance, recherche de l’admiration d’autrui. Réfléchissez un peu et vous verrez toutes les « puissances » qui limitent, ou même anéantissent notre propre liberté. Nos sociétés en sont empoisonnées. Et nos contemporains – nous aussi hélas – en sont, ou complices, ou victimes. Le Christ, dit le psaume 48, « montant dans les hauteurs, a emmené captive notre captivité. » Tout a été remis en son pouvoir, pour que les hommes, enfin libérés de toutes ces fatalités et de toutes ces servitudes, puissent marcher sur le chemin à la suite de Jésus.
Avez-vous remarqué que tous les récits de l’Ascension, dans leurs images spatiales, ont une dimension verticale (le Christ qui est monté) et une dimension horizontale, conséquence de la première : les disciples sont envoyés par le monde entier annoncer la Bonne Nouvelle. Remarquez également que cette Bonne Nouvelle doit être annoncée « à la création tout entière », et pas seulement « à toutes les nations » ou « à toute l’humanité », comme l’expriment certaines traductions, mais bien « à toute la création » Voilà ces quelque dizaines de pauvres hommes chargés d’une mission que je n’ hésite pas à qualifier de « cosmique », puisqu’elle concerne l’avenir de la création tout entière, cette création qui, selon saint Paul « gémit dans les douleurs de l’enfantement, attendant elle aussi la plénitude de la révélation. » Heureusement, Jésus leur promet – nous promet, à nous aussi aujourd’hui – d’être avec nous « toujours jusqu’à la fin du monde. » Ne cherchons pas plus loin : il est avec nous. Il inspire nos comportements et nos actes.
Une nouvelle création
Le message que nous avons à propager s’adresse donc non seulement à quelques privilégiés ni à l’humanité, mais à l’ensemble de la création. Il s’agit d’une nouvelle création, un monde réconcilié. Le monde ancien – il tient toujours debout, hélas ! – est un monde cassé ; par sa domination pleine et entière, le Christ inaugure un monde réconcilié, le retour à l’harmonie initiale des humains entre eux et de l’humanité avec tout le cosmos. C’est le sens des signes qui accompagneront les messagers de la Bonne Nouvelle. Il ne s’agit pas de miracles visant à épater ou à convaincre. Il s’agit du rétablissement de l’harmonie initiale. Saint Paul nous invite aujourd’hui à y travailler : « Ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, nous dit-il. Supportez-vous les uns les autres avec amour, ayez à cœur de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. »
Nous vivons dans une époque où les mauvaises nouvelles remplissent les journaux, envahissent radios et télévisions. Conflits armés, destructions massives, catastrophes naturelles, souvent à cause d’une gestion irresponsable des ressources naturelles, inégalités, misère et famines… C’est dans ce monde que nous, disciples envoyés par le Christ, nous avons le devoir de rendre présente la Bonne Nouvelle par une vie d’harmonie. Avec Lui, certes, mais aussi entre nous ; entre frères et sœurs, mais aussi avec tous les humains de toutes races, cultures, religions. Avec les hommes, mais aussi avec tout le cosmos, frère soleil, sœur lune et sœurs les étoiles, avec la nature inanimée, avec le règne végétal comme avec le règne animal. Celui qui a pris le pouvoir sur la Création tout entière et détrôné le « prince de ce monde » nous invite à nous comporter, selon le mot de saint Paul, comme « les grands vainqueurs de ce monde. »
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