Qu’ils aient en eux ma joie,


       SEPTIEME DIMANCHE DE PAQUES (B)

 

Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 17, 11-19 

A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, les yeux levés au ciel, il priait ainsi : « Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné en partage, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes. Quand j’étais avec eux, je les gardais dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Ecriture soit accomplie. Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, en ce monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. Je leur ai fait don de ta parole, et le monde les a pris en haine, parce qu’ils ne sont pas du monde, de même que moi, je ne suis pas du monde. Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du Mauvais. Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux, je me consacre moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité ».

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Une prière-testament

C’est dans les dernières années du Ier siècle de notre ère qu’a été rédigé l’Evangile selon saint Jean. Près de 70 ans se sont écoulés depuis que le Christ, mort, ressuscité, a quitté ses disciples. Ils sont de plus en plus rares, les témoins de la vie terrestre de Jésus, les témoins oculaires. Aussi il devient de plus en plus important de recueillir, et d’écrire, les dernières paroles prononcées par le Christ ; ses dernières consignes, son testament. C’est ce que fait l’évangile de Jean, en situant à la fin du dernier repas un long discours – quatre chapitres de son évangile – ce que Jésus avait d’essentiel à transmettre. Et comme les paroles, les consignes, les recommandations ne suffisent pas, voilà qu’à la fin, le discours devient prière. Jésus ne s’adresse plus à ceux qui sont autour de la table, mais directement à son Père. Nous lisons aujourd’hui quelques phrases de cette prière très dense. Il faudrait prendre beaucoup de temps pour la faire nôtre, l’assimiler. Je me demande si toute une vie y suffirait, tant les thèmes s’y entrecroisent, en de subtiles connexions.

Ton nom !

Je note ces mots si importants : on y trouve unité, fidélité, joie, parole, monde, vérité, sanctifier, ainsi que le mot nom (qui a une signification particulière dans la bouche de Jésus). Comment démêler cet écheveau  pour le rendre intelligible à nos esprits contemporains ? Eh bien, commençons par l’expression « ton nom ». Jésus demande à son Père de nous garder fidèles à son nom. Qu’est-ce que cela signifie ? Pour bien comprendre, il faut savoir que le nom d’une personne rappelle son identité propre. Bien sûr, aujourd’hui, nos noms ne signifient rien, mais pendant longtemps, pendant des siècles, donner un nom à une personne, c’était vouloir dire qui il était à nos yeux. C’est ainsi que beaucoup de nos noms de famille viennent, soit de sobriquets attribués à nos ancêtres, soit du nom des métiers qu’ils exerçaient. De même, à une certaine époque heureusement disparue, la maîtresse de maison attribuait un nom aux servantes nouvellement engagées. Le nom donne une identité, et même un statut social. Au temps de Jésus, il n’était pas question de prononcer le nom de Dieu. C’était interdit, sans doute parce que c'eût été une manière de s’approprier la personne même de Dieu. Aussi, on employait un certain nombre de qualificatifs qu’on retrouve dans nos Bibles : Dieu, c’était l’Eternel, le Très-Haut, le Tout-Puissant… Personne n’aurait osé s’adresser à lui en lui disant Jahvé.  Quand Jésus prie son Père à la fin du dernier repas et qu’il lui demande de garder ses disciples « dans la fidélité à ton nom », cela veut dire simplement qu’il prie pour qu’ils soient fidèles à cette personne dont Jésus leur a sans cesse dit et répété qu’il est son Père et leur Père. Mais ce Dieu de Jésus-Christ, nul ne l’a jamais vu. Alors, comment donner un nom à quelqu’un qu’on ne connaît pas ? C’est pourquoi Jésus parle d’une « fidélité à ton nom que tu m’as donné en partage. » Et voilà que le nom imprononçable de la divinité nous devient connu, reconnu en la personne de Jésus. Et je peux prononcer, répéter sans cesse la prière du cœur, avec ce nom de Jésus. Comme un ami aime à redire sans cesse à celui qu’il aime son nom, son propre nom.

Unité de vues

Qui dit fidélité dit amour, amitié. Jésus prie pour que nous réalisions l’unité parfaite dont le Père et lui sont le modèle. Unité de vues, unité de projet, unité d’action. C’est ce qu’il a fait durant toute sa vie terrestre. C’est ce qu’il explique chaque fois qu’il déclare qu’il ne fait que « la volonté de son Père ». C’est cette même fidélité qui nous est demandée. Mais à constater avec quelle insistance Jésus rabâche, aussi bien dans ses consignes que dans sa prière, la nécessité absolue de l’unité, il faut croire que ce n’est pas si évident que cela. Et que nous en sommes encore bien loin, après vingt siècles de christianisme. Or, l’unité, c’est le but à atteindre. Les autres mots que j’énumérais au début n’indiquent que les moyens pour parvenir à l’unité. Et l’unité elle-même est LE moyen, nous dit Jésus, « pour que le monde croie ».

Sanctifiés

Certes, on prie pour la paix et l’unité entre chrétiens, mais le moins qu’on puisse dire,  c’est que cela n’avance pas beaucoup. Quand cela ne recule pas. Les divisions séculaires existent, et d’autres naissent, entre disciples du même Jésus Christ. Divisions, non seulement entre Eglises, mais au sein même de nos Eglises.  Entre « frères ». Aussi, il n’est pas étonnant de voir des chrétiens quitter, plus ou moins discrètement, leurs Eglises. Il n’est pas étonnant, non plus, de constater avec quels moyens de dérision on attaque aujourd’hui les croyants, aussi bien dans les conversations privées que dans les médias. Jésus n’a pas fini de prier son Père, comme au soir de la dernière Cène, pour que nous soyons « sanctifiés par la vérité ». .

J’ai remarqué une note de la TOB qui explique que le mot « sanctifier », ou « consacrer », signifie « séparer. » Personnellement, je redis sans cesse que le mot « saint » peut se traduire par « différent de… » Et donc que le Christ demande à son Père de nous aider à être différents. Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que nous devons nous comporter en originaux. Mais le « saint », c’est celui qui frappe et qui attire l’attention par les attitudes différentes des autres. Par exemple dans son souci d’être vrai, dans un monde de mensonge ; par sa joie rayonnante, dans ce monde triste qui est le nôtre ; par sa fidélité constante dans le monde de l’éphémère et du changeant. Le chrétien qui vit ces valeurs posera question dans le monde d’aujourd’hui. Il est possible qu’on se moque de lui ; il est même possible qu’il s’attire les haines et les persécutions. Il n’en reste pas moins vrai qu’au fond d’eux même, tous ceux qui le rencontreront s’interrogeront. « La vérité vous rendra libres », dit l’Ecriture. Libres et heureux.  

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