« Prenez, ceci est mon corps ».
LA FETE DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST
Evangile de Jésus Christ selon saint Marc 14, 12-26
Le premier jour de la fête des pains sans levain, où l’on immolait l’agneau pascal, les disciples de Jésus lui disent : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour ton repas pascal ? » Il envoie deux disciples : « Allez à la ville ; vous y rencontrerez un homme portant une cruche d’eau. Suivez-le. Et là où il entrera, dites au propriétaire : ‘Le maître te fait dire : où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?’ Il vous montrera, à l’étage, une grande pièce toute prête pour un repas. Faites-y pour nous les préparatifs ». Les disciples partirent, allèrent en ville ; tout se passa comme Jésus le leur avait dit ; et ils préparèrent la Pâque.
Pendant le repas, Jésus prit du pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna, en disant : « Prenez, ceci est mon corps ». Puis, prenant une coupe et rendant grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour la multitude. Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’à ce jour où je boirai un vin nouveau dans le Royaume de Dieu ».
Après le chant d’action de grâce, ils partirent pour le mont des Oliviers.
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Bizarre
Il peut nous paraître bizarre, le récit de l'Alliance au Sinaï, tel que le rapporte le livre de l'Exode. La scène se situe un an environ après la sortie d'Egypte ; le peuple n'est pas encore constitué comme un peuple : il n'a pas de loi. Et Dieu va donner sa loi à Moïse sur le Sinaï. Puis Moïse, redescendant de la montagne, va convoquer le peuple pour le sacrifice de l'alliance. Le livre de l'Exode nous décrit le rite de ce sacrifice. Moïse construit un autel, place douze pierres en demi-cercle, pour symboliser les douze tribus d'Israël ; il demande à de jeunes hommes de sacrifier des jeunes taureaux et il en recueille le sang. Pour conclure l'alliance, il va répandre la moitié du sang sur l'autel et l'autre moitié sur le peuple rassemblé : il asperge les gens avec le sang. Ce qui, vous l'avouerez, n'est pas très ragoûtant.
Cela nous choque aujourd'hui. Pour nous, le sang évoque l'accident, le meurtre, les transfusions avec les risques que cela comporte, y compris le sida, les opérations. Il y a tout cela pour nous, alors que les gens des époques primitives, barbares, si vous voulez, vivaient cela en faisant des sacrifices incroyables : on s'aspergeait du sang des victimes, on se roulait même dans leur sang, on le buvait. Le sang des animaux, mais aussi le sang des hommes, parce que les sacrifices, partout, sauf en Israël, pouvaient être des sacrifices d'enfants, de prisonniers, d'esclaves.
Sacrifices sanglants
Qu'est-ce que c'est que cette histoire de sacrifices sanglants ? Si vous avez une Bible protestante, vous verrez qu'on appelle les prêtres des «sacrificateurs». Les prêtres étaient essentiellement des égorgeurs, des bouchers. Pour être prêtre, il suffisait de bien savoir immoler les victimes. Un sacrifice, au fond, c'est un marchandage. Je me prive de quelque chose qui m'appartient, qui est ma propriété. Ce peut être un animal ( un mouton, un taureau, cela coûte cher) ce peut être un être humain (un prisonnier de guerre que j'aurais pu vendre comme esclave). Cette victime que j'immole, dont je me prive, je l'offre à la divinité, je la brûle, mais c'est du «donnant-donnant». Il faut que la divinité, en retour, m'accorde ce que je lui demande. Sinon mon sacrifice ne sert à rien. Et cette mentalité-là, qu'on retrouve, encore une fois, chez tous les peuples de l'antiquité, est aussi la mentalité du peuple de Dieu.
Un progrès des mentalités
Mais voilà que, à partir de 900-800 avant Jésus Christ, va se faire jour progressivement une tout autre mentalité, en particulier sous l'influence du courant prophétique. On trouve cela dans certains psaumes : ce qui est important, ce n'est pas d'offrir des animaux, mais c'est de changer son cœur. Dieu dit : « Est-ce que, par hasard, j'aurais besoin de manger la viande que vous m'offrez ? Ce n'est pas cela que je veux, mais que vous ayez un cœur droit ». et encore, ce qui est plus explicite : « C'est l'amour que je veux et non les sacrifices ». Bien sûr, les sacrifices rituels vont subsister, mais progressivement on va donner un autre sens à l'offrande : il ne s'agit plus de marchandage, mais, souvent, de sacrifices d'action de grâce.
Jésus abolit les sacrifices
Et voilà que Jésus vient. Il va, si l'on peut dire, par l'offrande de sa vie, abolir tous les sacrifices humains et tous les sacrifices d'animaux. Il va donner sa vie. C'est un sacrifice. C'est une offrande, pas à la divinité, à un Dieu cruel qui exige la mort de son envoyé, comme on pourrait le croire, mais « pour la multitude ». Pour que l'humanité, enfin dégagée de tous les rites barbares, soit capable d'accueillir le don de sa vie, le don de l'amour suprême. «Ma vie, nul ne la prend, mais c'est moi qui la donne». Et ce n'est pas seulement en mourant sur une croix qu'il donne sa vie, mais par tous les gestes, à tous les instants de son existence terrestre, où il a été « mangé » par les gens.
Jésus va donner sa vie. Ce sera le dernier sacrifice sanglant, dit l'épître aux Hébreux. Mais avant de donner sa vie, il institue un « mémorial ». Vous savez ce qu'est un mémorial. Ce peut être un monument, ou une cérémonie : c'est quelque chose qui nous rappelle un événement. Eh bien, ce qui nous rappelle l’événement central de l'histoire de l'humanité, la mort et la résurrection de Jésus, c'est la messe que nous célébrons chaque dimanche. A condition que nous soyons un peuple qui ait le sens de l'histoire ; à condition que nous sachions «faire mémoire», mémoire de ce don de sa vie (le corps livré, le sang versé) que Dieu a fait pour nous. Que nous gardions mémoire non pas comme s'il s'agissait seulement d'un événement du passé, mais comme l'aujourd'hui de ce qui se vit par nous.
Beaucoup d'entre vous vont communier aujourd'hui. J'ai de plus en plus peur que nous fassions de ce geste un geste quelconque, une démarche banale. Il s'agit de retrouver le sens de la com-munion, c'est-à-dire de nous unir au Christ pour transposer dans notre vie quotidienne ce qui a été l'essentiel de la vie du Christ : donner notre vie pour nos frères. Ce qui ne veut pas dire nécessairement «mourir-pour», mais d'abord «vivre-pour». Œuvrer pour la paix, la justice, la réconciliation entre frères ; se laisser « manger » par ceux qui ont besoin de nous. Avoir le souci de la « multitude », c'est-à-dire de l'humanité entière. Voilà l’œuvre du salut à continuer aujourd'hui. «Une messe commence quand un monde se construit». Nous le chantons. Il n'y aura rien de vrai dans notre démarche si nous ne nous sentons pas envoyés en mission, « pour le salut du monde », en sortant de cette messe.