Il les envoie deux par deux

         QUINZIEME DIMANCHE ORDINAIRE (B)

 

 

Evangile de Jésus Christ selon saint Marc 6, 7-13 

Jésus appelle les Douze, et pour la première fois il les envoie deux par deux. Il leur donnait pouvoir sur les esprits mauvais, et il leur prescrivit de ne rien emporter pour la route, si ce n’est un bâton ; de n’avoir ni pain, ni sac, ni pièces de monnaie dans leur ceinture. « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange ». Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez en secouant la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage ». Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.

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Dieu, qu'est-ce qu'il fait ?

C’est une question vieille comme le monde : quand je regarde le cours des choses, et toutes les malfaçons qui existent sur notre planète, aussi bien dans les éléments terrestres que dans les relations entre les humains, j’ai tendance à me dire : « Mais Dieu, qu’est-ce qu’il fait ? » Ainsi, ce matin, alors que je vous parle, la guerre, mais aussi de multiples formes de violences toutes plus meurtrières les unes que les autres, et pas seulement au Moyen Orient, en Afghanistan ou en Irak, font des centaines de victimes. Et je ne parle que de la forme la plus visible de la violence qui sévit un peu partout. Bien sûr, comme chacun d’entre nous, je me suis posé bien souvent la question. Je n’ai qu’une réponse qui puisse me satisfaire : Dieu n’intervient pas ; simplement, il délègue.

Délégation

Et cela depuis le premier jour. La Bible nous dit qu’à l’homme qu’il vient de créer, Dieu donne comme consigne : « Dominez la terre et soumettez-la. » A nous donc de gérer le monde. C’est notre responsabilité. « Le septième jour, Dieu se reposa », dit la Bible. C’est-à-dire qu’il se reposa sur l’homme du soin de gérer le monde et de construire une humanité heureuse. Dieu nous fait totalement confiance. Vous allez sans doute penser que c’est bien vite dit et que c’est une manière commode de décharger Dieu de toute responsabilité. Et pourtant, je ne connais personnellement que cette réponse à ma question. Dieu nous a confiés ce monde. A nous de répondre à cette pleine confiance par notre travail proprement « missionnaire » : c’est en effet  une mission qui nous est confiée.

Vous pourriez relire toute la Bible sous cette optique et ainsi remarquer que tout au long de sa longue histoire, Dieu a confié des responsabilités précises aux hommes qu’il a choisis et envoyés comme ses « missionnaires » : patriarches (Abraham), rois (David) ou prophètes (de Moïse à Isaïe). Au prêtre de Béthel qui le chasse parce qu’il vient prophétiser dans son domaine réservé, Amos répond : « Je n’y peux rien : j’étais un paysan, mais le Seigneur m’a saisi derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : « Va, tu seras prophète. »

Délégué par excellence

Délégué par excellence, Jésus se présente de cette manière et sous cette appellation, tout au début de son ministère, dans la synagogue de Nazareth (Luc 4, 16-30) : il lit en public le passage d’Isaïe décrivant la mission prophétique en termes de libération des pauvres et des malheureux et il ajoute : « Aujourd’hui cette écriture s’accomplit. » C’est pour cela, et uniquement pour cela qu’il est délégué, envoyé. On emploie un peu facilement l’expression « le salut du monde » sans remarquer tout ce que cette expression signifie en termes concrets. Car il s’agit aussi bien de libération que de santé, et donc de bonheur. Un mot équivalent pourrait mieux décrire l’œuvre missionnaire de Jésus : il dit lui-même « Je suis venu pour qu’ils aient la vie, la vie en abondance. » A tous les malheureux de la terre qui chaque jour s’écrient : « Mais ce n’est pas une vie », Jésus vient annoncer que le bonheur est possible. Pas demain, mais « aujourd’hui. »

Cette parole peut nous laisser sceptiques. Car enfin Jésus est venu sur cette terre il y a vingt siècles et l’on ne peut pas dire que tout ait beaucoup changé depuis. Même si, pendant quelques mois, il a parcouru son petit pays en faisant des guérisons, le fait n’a pas révolutionné le cours des événements terrestres. Alors ?

Travaux pratiques

Même si, effectivement, il n’y eut rien de spectaculaire au niveau de l’histoire mondiale, je crois cependant qu’un mouvement a été lancé alors, et que ce mouvement ne s’est jamais arrêté. Un mouvement inauguré par Jésus lui-même, et dans lequel il a impliqué un jour une douzaine d’hommes à qui il a donné le nom d’Apôtres, mot qui signifie « envoyés », envoyés en mission. Douze hommes, chiffre symbolique, symbole de la totalité, de la globalité, de l’universalité. Cela faisait quelques mois que quelques dizaines d’hommes et de femmes – peut-être quelques centaines – suivaient Jésus et étaient devenus ses disciples. Parmi eux il en sélectionne douze. Ceux-ci ont suivi Jésus depuis le début, depuis son baptême. Ils l’ont entendu prêcher la conversion nécessaire. Ils l’ont vu guérir des malades, libérer des possédés, restaurer dans leur dignité des exclus et des marginalisés. A eux maintenant de faire leurs « travaux pratiques ». Quelques consignes bien concrètes : qu’ils ne s’encombrent de rien. Qu’ils soient légers. « Rien dans les mains, rien dans les poches. » Avec cela, Jésus leur donne autorité sur les esprits mauvais. Ils vont pouvoir lutter efficacement contre le mal. Quant à la prédication, elle n’est pas la chose la plus importante. Il faut, certes, appeler à la conversion, mais l’appel ne sera entendu que grâce aux « signes » qui l’accompagneront.

Quelques remarques

A ce sujet, il nous faut faire quelques remarques. D’abord, pas plus que Jésus, les Douze missionnaires n’ont guéri tous les malades. Demandons-nous également ce que signifie cette expression : « les esprits mauvais. » Dans la mentalité antique – aujourd’hui encore, bien souvent – tout ce qui arrivait de mal, que ce soit une maladie ou un quelconque malheur, était attribué à des puissances mystérieuses, esprits mauvais, démons, sorts qu’on vous avait jeté. Il n’en demeure pas moins vrai que, même s’il nous est impensable d’attribuer à des « esprits » tout ce qui arrive de mauvais, on doit reconnaître que l’esprit de domination, d’appropriation, la volonté de puissance, l’esprit de jouissance, le goût, l’amour, la passion du lucre et du profit, l’esprit de vengeance  sévissent pleinement sur notre terre. C’est de cela qu’il faut nous guérir. C’est cela, la conversion à laquelle le missionnaire appelle ses contemporains.

Les Douze envoyés par Jésus furent des précurseurs. Nos prédécesseurs, si vous voulez. Car chacun de nous est, lui aussi, envoyé. Non pas seul, mais « deux à deux », c’est-à-dire en réel compagnonnage, pour s’épauler, s’encourager, se prêter assistance. J’ai peur que nous n’ayons pas encore bien réalisé, de nos jours, toute la vérité et toute l’importance de ce slogan rabâché depuis quelques décennies, qui nous invite à être une « Eglise toute entière missionnaire ». Pendant des générations, on s’est contenté de réserver cette tâche à des « missionnaires » spécialisés et patentés.  A chacun de travailler, là où il est, à faire un monde plus fraternel. Notre monde est malade. Les remèdes sont là, à notre disposition, à portée de mains. Inutile de gémir et de nous lamenter. Dieu nous fait confiance. Saurons-nous mériter cette confiance ?

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