VINGTIEME DIMANCHE ORDINAIRE B

 Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 6, 51-58 

 

Jésus disait à la foule : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. » Les Juifs discutaient entre eux : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle : et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi, je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi. Tel est le pain qui descend du ciel : il n’est pas comme celui que vos pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »

oOo

Quelle insistance ! Six fois de suite, dans ce petit passage d’Evangile, Jésus parle de manger sa chair et de boire son sang comme d’une nécessité absolue. Que veut-il nous dire ? Et pourquoi une telle insistance ?

Première remarque

Pour bien comprendre ses propos et voir en quoi ils nous concernent directement, il nous faut faire deux remarques préliminaires. D’abord en remettant ce passage dans son contexte. Cela fait maintenant plusieurs semaines que nous lisons à la messe du dimanche des extraits du chapitre 6 de l’évangile de Jean. D’abord il y a eu le signe : Jésus a nourri une foule considérable en partageant cinq pains et deux poissons. Puis il s’est enfui, lorsqu’il s’est rendu compte que les gens voulaient faire de lui leur roi. La nuit venue, il a rejoint ses disciples en marchant sur le lac de Tibériade. La foule l’ayant retrouvé à Capharnaüm, dans la synagogue, il va donc essayer de leur donner la signification profonde de son geste. Il le fait en deux discours assez symétriques. Nous avons entendu des extraits du premier dimanche dernier : Jésus insistait sur la nécessité de croire en lui, l’envoyé du Père. Aujourd’hui, il « enfonce le clou », si l’on peut dire : celui qui veut le suivre doit le manger, pour ne plus faire qu’un avec lui.

Deuxième remarque

Je voudrais faire une deuxième remarque. Lorsque Jean écrit son Evangile, nous sommes à la fin du Ier siècle, plus de 60 ans après la mort et la résurrection de Jésus. Jean est l’un des derniers témoins des événements. Il l’écrit : « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons, car la Vie s’est manifestée. » (1 Jean, 1, 1) Or, s’il tient à livrer de manière si insistante son témoignage, c’est que les premières communautés chrétiennes se trouvent affrontées à toutes sortes de dérives, allant jusqu’à nier, de manière plus ou moins ouvertes, l’humanité du Christ. Jean, qui a vécu avec lui, qui a écrit que « le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous » et que « nous avons vu sa gloire », tient à faire une mise au point catégorique, en soulignant l’aspect « charnel » de la personne de Jésus. D’où son insistance à redire plusieurs fois la même chose, les mêmes paroles de Jésus : « Si vous mangez la chair du Fils de l’homme et si vous buvez son sang, vous aurez la vie éternelle. » Et à contrario : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. » Que veut donc nous dire Jésus ?

Anthropophages ?

On ne va tout de même prendre ces propos au sens premier. Les interlocuteurs de Jésus l’ont fait. Il s’écrient : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Nous ne sommes pas des anthropophages ! Mais on emploie couramment les mots « manger » et « boire » au sens figuré. Quand quelqu’un parle bien, on « boit » littéralement ses paroles. Et quand un roman nous passionne, on le « dévore » bien prestement ! Il y a là comme une volonté de s’approprier ce qu’on dévore. Mais ici, quand il s’agit de manger la chair et de boire le sang d’un homme, surgit une autre difficulté. La chair et le sang, c’est une expression sémitique, compréhensible au temps de Jésus, incompréhensible pour nous, si on ne l’explique pas. Pour la comprendre, il faut se rappeler un autre passage de l’évangile (Matthieu 16, 17). A Pierre qui vient de lui déclarer qu’il est le Christ, Jésus répond que « ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » C’est-à-dire : « Pierre, tu n’as pas trouvé cela tout seul, dans ta tête. » La chair et le sang, pour un Juif du temps de Jésus, c’est l’homme tout entier, en tant qu’il est matière. C’est un mot plus fort, plus concret que le mot « corps ». Il cherche à traduire ce que l’on aperçoit de l’homme vivant, son aspect extérieur, corporel, terrestre. Jésus veut souligner sa réelle incarnation. Le Fils de Dieu est devenu le Fils de l’homme. Jean n’a pas hésité à écrire : « Le Verbe s’est fait chair. »

Une forme de communication exceptionnelle

Une fois toutes ces précisions apportées, je crois qu’on pourra mieux comprendre, assimiler, digérer ce que Jésus veut nous dire. Ne pensons pas tout de suite à l’Eucharistie. Pensons tout d’abord à l’invitation qu’il nous fait : ne faire plus qu’un avec lui. Car c’est de cela qu’il s’agit. D’une forme de communication exceptionnelle.. Il nous invite à la plus étroite des rencontres, à une intime « communion » Manger et boire, c’est une affaire de profond désir. Il faut manger pour vivre. Saint Paul résumera cela parfaitement en déclarant : « Désormais, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. » Nous sommes invités à un banquet. En des termes imagés, la première lecture de ce dimanche nous le dit : « La Sagesse a bâti sa maison. Elle a dressé sa table  et mélangé son vin. Elle appelle ses enfants : Venez manger de mon pain et boire le vin que j’ai préparé pour vous. » Pour saint Irénée, la Sagesse divine, c’est la deuxième personne de la Trinité, le Fils unique.

Et la messe, dans tout cela ? Si nous venons à l’Eucharistie comme on va à la pompe à essence pour faire le plein de sa voiture, si elle devient un simple rite dans lequel nous pensons faire le plein de nos forces et de nos énergies spirituelles, alors ne nous étonnons pas de ne pas avancer et d’en être toujours au même point ; et donc de nous décourager et d’en venir à penser « A quoi bon ! » Au contraire, elle sera vraiment signe de notre volonté de communion avec le Christ, de ne plus faire qu’un avec lui,  dans la mesure où elle exprimera notre désir de vivre comme lui, avec lui, les valeurs propres à la « vie éternelle » Celles qu’il nous a révélées durant sa vie terrestre, « dans la chair » Essentiellement, jour après jour, des valeurs de fraternité et de don de soi. Alors nous pourrons mettre en œuvre, dans toute notre vie, le précepte de saint Augustin, s’adressant à ceux qui vont communier : « Deviens celui que tu as reçu. »

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