Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux,
25e DIMANCHE ORDINAIRE (B)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 9, 30-37
Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu’on le sache. Car il les instruisait en disant : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. » Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger.
Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demandait : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Ils se taisaient, car, sur la route, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa, et leur dit : « Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ne m’accueille pas moi, mais Celui qui m’a envoyé. »
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Violence et religion
Il y a trois ans, le pape a prononcé un discours magistral devant ses anciens collègues, les professeurs de l’université de Ratisbonne. Pour expliquer comment foi et raison étaient indispensablement liées, il a pris un exemple dans une controverse entre un empereur chrétien et un sage persan du XIVe siècle, le chrétien expliquant qu’une religion ne peut pas faire reposer son action missionnaire sur la violence. Ce discours a eu un profond retentissement ; il a par exemple suscité la colère de l’ensemble du monde musulman, qui lui a répondu par des manifestations, et même par des appels… à la violence. Des églises brûlées, une religieuse assassinée, voilà quels furent les premiers résultats.
Loin de moi l’idée de vouloir opposer deux conceptions de la religion, l’une bonne (la conception chrétienne) et l’autre mauvaise, celle de l’Islam. Ce serait faux et injuste. Car, dans cette question de l’utilisation de la violence par la religion, nous, chrétiens, nous ne sommes pas sans reproches, loin de là. Ce que je voudrais faire aujourd’hui, en relisant le passage d’évangile qu’il nous est donné de lire aujourd’hui, c’est souligner le malentendu, non pas, comme on l’a écrit, entre le pape et l’Islam, mais entre Jésus et ses propres disciples, nous aujourd’hui. Il est bien plus fondamental.
Compétition
Les disciples ne font que partager la façon de voir classique, courante, de tous les hommes : une façon de voir qui conduit automatiquement à la violence. Rappelez-vous : dès le premier jour où vous êtes allés à l’école, il y a eu des classements entre les premiers et les derniers. Les plus intelligents, les plus travailleurs, les plus favorisés par le sort ou la fortune étant dans les premiers. Ce qui a suscité rivalités, compétition, jalousies. J’ai pour habitude de rabâcher que « le malheur de l’homme, c’est de se comparer. Soit il se compare aux autres en mieux, et cela génère en lui l’orgueil, soit il se regarde comme inférieur aux autres et cela génère en lui l’envie : deux péchés capitaux. » Il en est de même à tous les niveaux, aussi bien sur le plan individuel que sur des plans plus généraux. La volonté d’être le « n° 1 », de dominer le marché, de contrôler l’économie, tout cela empoisonne la vie de l’humanité. Tout cela fait chaque jour un nombre incalculable de victimes. Mais c’est ainsi !
Le discours de Jésus est éminemment subversif, révolutionnaire. Il ne se résigne pas à ce constat de faillite et de malheur. Il ne dit pas : « c’est comme çà, on n’y peut rien. » Il oppose à ces prétentions humaines un discours qui peut paraître dérisoire, utopique, irréalisable : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. ». Discours utopique, et même, aux yeux des puissants, discours dangereux. J’ai lu quelque part qu’Hitler avait déclaré un jour qu’il voulait éliminer les juifs « parce qu’ils avaient introduit la morale dans le monde. » C’est exactement ce que prédisait le livre de la Sagesse dont nous lisions un extrait aujourd’hui : « Attirons le juste dans un piège car il nous contrarie, il s’oppose à notre conduite… Soumettons-le à des outrages et à de tourments, nous saurons ce que vaut sa douceur ;;; condamnons-le à une mort infâme. »
Jésus victime
Les disciples se disputaient pour savoir qui était le premier d’entre eux : ils étaient dans la logique de guerre et de compétition où pour réussir, il faut écraser l’autre. Or, une fois de plus (car ce n’était pas la première fois), au même moment, Jésus parlait de son arrestation, de sa mort et de sa résurrection. Mais eux, ils n’entendaient pas – ils ne voulaient pas entendre – ce discours. Un discours que Jésus, quelques mois plus tard, ratifiera par des actes. Car il ne s’est pas contenté de prêcher, ce qui est facile : sa mort et sa résurrection scelleront son discours par des actes. Lui, le "Maître et Seigneur", lui, le premier, se fera réellement le dernier, le plus petit de tous : il se range parmi les victimes du système oppressif. Parmi toutes les victimes, celles d’hier et celles d’aujourd’hui, de cette volonté de puissance, de cet appétit de pouvoir, de cette soif de domination qui règnent aux quatre coins de la planète. Jésus, figure emblématique du juste mis à mort, récapitule en sa personne tous ceux que l’appétit de posséder sacrifie au prestige et à la richesse. Nous pouvons le reconnaître dans tous les exclus, les plus démunis, tous ceux qui ne comptent pas pour le monde, mais qui comptent pour Dieu.
Lui Jésus, le Fils de l’homme, sera mis à mort. Mais en tuant le Fils de l’homme, on tue tout ce qu’il y a d’humanité dans les êtres humains. On tue l’humanité : déshumanisation généralisée. N’est-ce pas ce qui est en train de se produire ? Mais est-ce irrémédiable ? Non, car Jésus, en même temps qu’il annonce sa mort, annonce sa résurrection. C’est la vie, l’humain, le divin, qui ont le dernier mot.
Serviteurs
Il ne faudrait pas croire que tout est pourri. Nous ne sommes pas tous, ni toujours, l’esprit et les oreilles bouchées à ce message de l’évangile. Et nos sociétés, même si c’est lentement, péniblement, cherchent à adopter ces valeurs de justice, de solidarité, d’entraide qui viennent de l’Evangile. La semence du Royaume est en terre et rien ne peut arrêter sa germination. Ce qui ne doit pas, pour autant, nous démobiliser, bien sûr. Bien au contraire : Jésus nous demande de faire comme lui, là où nous sommes, qui que nous soyons. Nous avons un pouvoir quelconque : employons-le à servir ; nous avons une place enviable, nous jouissons de la considération : apprenons la véritable humilité, celle qui nous invite à servir les autres. Où que ce soit : en famille aussi bien que dans notre quartier, notre paroisse, notre entreprise. C’est dans cet abaissement volontaire que nous travaillerons à faire grandir l’humanité.