Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix.
34e DIMANCHE ORDINAIRE B
Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 18, 33-37
Lorsque Jésus comparut devant Pilate, celui-ci l’interrogea : « Es-tu le roi des Juifs ». Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d’autres te l’ont dit ? » Pilate répondit : « Est-ce que je suis Juif, moi ? Ta nation et les chefs des prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté ne vient pas de ce monde ; si ma royauté venait de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Non, ma royauté ne vient pas d’ici. » Pilate lui dit : « Alors, tu es roi . » Jésus répondit : « C’est toi qui dis que je suis roi. Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix. »
oOo
Pléonasme
Je me demande d’où vient cette appellation de « Christ-Roi » donnée à Jésus par l’Église. Elle n’a rien de scripturaire, bien au contraire. En effet, nous avons là un pléonasme : le mot Christ – en hébreu Messie – signifie celui qui a reçu l’onction royale. Et le mot Christ, dans toutes les traductions grecques de l’hébreu, désigne non seulement le roi, la personne royale mais même le peuple de Dieu, le peuple hébreu. Première difficulté. Deuxième difficulté : nous risquons d’avoir du mal, de nos jours, à concevoir la relation entre Dieu et nous comme une relation de souverain à sujets. Cette appellation « Christ-Roi » peut nous paraître anachronique. Pour ces deux raisons, et même si l’appellation nous déplait, il est important de chercher à comprendre la vraie signification de cette fête instaurée il y a 80 ans par le pape Pie XI, dans des circonstances historiques qui nécessitaient une solide mise au point de la part de l’Église : c’était ce que les historiens appellent « la montée des totalitarismes » qui a marqué de ravages inouïs le XXe siècle.
Un procès truqué
Examinons d’abord les circonstances dans lesquelles Jésus va être amené à proclamer sa royauté et à définir en quoi elle consiste. Jésus a été arrêté dans la nuit, il a comparu devant le grand-prêtre. L’évangile de Jean ne nous dit pas qu’il a été condamné par les Juifs, mais que le matin venu, on l’a fait comparaître devant le gouverneur. Étrange accusation : les Juifs ne disent pas à Pilate quelle est la raison pour laquelle ils lui amènent Jésus, mais ils prennent quand même la peine de préciser que le coupable mérite la mort, une condamnation à mort qu’ils ne peuvent faire exécuter que par l’occupant romain.
Étrange dialogue, également, entre Pilate et Jésus. On dirait que l’accusé esquive les questions directes du gouverneur et n’y répond qu’évasivement. Ce qui a le don d’énerver Pilate. Mais Jésus ne veut pas s’attribuer le titre de « roi ». Il parlera simplement de sa royauté, un mot qu’il faudrait d’ailleurs remplacer par une traduction plus exacte : Jésus parle de son « règne » Les autorités juives, d’ailleurs, l’ont bien compris, lorsqu’elles accusent Jésus d’avoir voulu se faire Fils de Dieu. Une expression que Pilate risque de ne pas comprendre, et c’est pourquoi, à ce païen, à cet homme politique, ils préfèrent parler de Jésus comme d’un ennemi de César, un dangereux conspirateur, quelqu’un qui veut se faire roi. Ce n’est que lorsque Jésus essaie d’expliquer à Pilate en quoi consiste sa royauté que le malentendu a des chances de se lever. Mais Pilate est-il capable de comprendre le sens de la déclaration de Jésus, qui annonce que sa royauté ne ressemble en rien aux royautés terrestres, et qu’il est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ?
Quel pouvoir ?
Nous avons, l’un en face de l’autre, deux hommes aussi différents que possible. L’homme qui est le délégué de l’empereur, le représentant du pouvoir suprême, sent bien que son autorité est branlante. Il est sans cesse à la merci d’une dénonciation et donc d’une révocation. Jésus, par contre, est impuissant, mais parle avec une souveraine autorité. Il est un homme libre, qui n’a rien à perdre, parce qu’il sait qu’il a tout perdu, ou plus exactement qu’il a tout donné. Sa réponse tranquille et mystérieuse agace Pilate. Il lui demande « Alors, tu es roi ? » Et Jésus, impassible, répond « c’est toi qui le dis ! »
Jésus a trop peur que le gouverneur romain ne se méprenne sur le sens de cette royauté. Il ne veut surtout pas qu’on pense à un quelconque rapport d’autorité du Christ sur des « sujets ». C’est pourquoi la seule chose qu’il tient à préciser à Pilate, c’est que le seul pouvoir qu’il exerce – et qu’il revendique – c’est l’attraction de la vérité ; pas de la vérité en un sens vague et trop imprécis, mais de notre propre vérité, celle qui fait de nous des êtres humains, attirés par celui qui a déclaré à ses amis qu’il est « la voie, la vérité et la vie. » Entendons-nous bien à ce sujet.
Qu'est-ce que la vérité ?
Personne ne peut prétendre posséder la vérité. Ce serait refuser notre condition de créature. Mais si nous cherchons la vérité, si ensemble nous nous mettons à l’écoute de la vérité, nous faisons œuvre d’unité. Par contre, celui qui prétend posséder la vérité et veut l’imposer aux autres brise toute possibilité d’unité. Il est extrêmement dangereux. Et sur le plan international aussi bien que dans les relations interpersonnelles, cela mène à des désastres.
Les autorités religieuses juives avaient réussi à manipuler la foule, une foule qui, peut de temps auparavant, voulait faire la révolution avec Jésus, grâce à lui. De nos jours, quand au nom de la mondialisation de nouveaux règnes s’établissent par la force, ne sommes-nous pas des complices silencieux en nous laissant manipuler par le mensonge et la désinformation ? Jésus identifie son règne avec la vérité. Encore faut-il que le titre de Christ-Roi ne soit pas « manipulé », soit en faisant de son règne un règne purement spirituel qui n’a rien à voir avec les réalités terrestres, soit en le considérant comme un règne parallèle de collaboration avec les pouvoirs qui font la loi par les armes et par la force. A chacun de nous de chercher inlassablement la vérité sans se laisser manipuler par toutes les techniques actuelles de désinformation. « Celui qui fait la vérité vient à la lumière. »