A l'écart sur une haute montagne

 Irradiés pour l'Éternité

 

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ésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmène, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux. Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille. Élie leur apparut avec Moïse, et ils s’entretenaient avec Jésus. Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est heureux que nous soyons ici ; dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. » De fait, il ne savait que dire, tant était grande leur frayeur. Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le. » Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.

En descendant de la montagne, Jésus leur défendit de raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. Et ils restèrent fermement attachés à cette consigne, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : « ressusciter d’entre les morts ».

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 9, 2-10

DEUXIÈME DIMANCHE DE CARÊME B

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Moïse et Élie

A ma connaissance, les deux personnages qui ont « vu Dieu » sont Moïse et Élie. Précisément ceux qui sont présents au jour où le Christ révèle son vrai visage à ses trois intimes, Pierre, Jacques et Jean, au jour de la Transfiguration.

Moïse, qui a fait la rencontre de Dieu dès le jour où, à l’Horeb, il l’a entendu parler dans le buisson qui brûlait sans se consumer, demande un jour à Yahweh la permission de le voir (Exode 33, 18-23). Dieu lui répond que nul ne peut voir son visage, « car l’homme ne saurait me voir et vivre ». Puis il ajoute : « Je vais passer devant toi, et quand je passerai, je te mettrai dans le creux du rocher et de ma main je t’abriterai tant que je passerai. Puis j’écarterai ma main et tu me verras de dos ; mais mon visage, on ne peut pas le voir ». La Bible explique que lorsque Moïse redescendit de la montagne, son visage était tellement irradié que les Israélites ne pouvaient plus le regarder et qu’ils lui demandèrent de mettre un voile sur son visage. Vous pouvez remarquer que toutes les représentations de Moïse par les peintres et les sculpteurs le montrent avec des rayons de lumières qui auréolent son visage. Quant à Élie, sa rencontre avec Dieu – toujours sur la montagne, remarquez-le – est décrite au premier livre des Rois, au chapitre 19. Élie a fui le roi Achab qui voulait le tuer, il a marché quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, et là, c’est le Seigneur lui-même qui prend l’initiative de la rencontre : il va passer devant son prophète. Après un vent fort qui fracasse les rochers, après un tremblement de terre, après le feu, soudain arrive une brise légère. C’est en l’entendant qu’Élie se voile le visage : il sait bien que c’est Dieu qui passe.

Le Christ dévoilé

Deux théophanies – c’est le mot technique qui désigne les manifestations divines – qui toutes deux nous indiquent les caractéristiques particulières de la vision de la divinité : nul ne peut voir le visage de Dieu, sinon on meurt. On ne peut que le voir « de dos » ou mieux, percevoir son passage « comme un souffle fragile ». Or, privilège insigne, les trois intimes de Jésus vont pouvoir être témoins d’une autre théophanie : le Christ dans la réalité de sa personne dévoilée quelques instants avant d’être de nouveau voilée par sa réalité charnelle. C’est comme lorsque le soleil apparaît grâce à la déchirure d’un pan de nuages. Il leur apparaît  transfiguré, d’un tel éclat que cela rejaillit même sur ses vêtements qui deviennent resplendissant, d’une blancheur inégalée.

Pourquoi ce privilège insigne ? Parce que Jésus vient, pour la première fois, de révéler à ses amis quel est son destin : la mort et la résurrection. Ce qui a révolté Pierre. Les amis ont donc besoin d’être affermis dans leur foi, d’autant plus que, s’ils savent bien ce qu’est la mort, ils « se demandent entre eux ce que signifie ‘ressusciter d’entre les morts’ ». La transfiguration du Maître, ce sera, jusqu’au bout, comme le point d’ancrage de la foi de Pierre. Dans la seconde lettre qui lui est attribuée, il opposera cette expérience qu’il a faite un jour à toutes les « fables tarabiscotées » que véhiculent les religions païennes.

En route

Les évangélistes placent tous le récit de la transfiguration au moment où Jésus va se mettre en route pour Jérusalem et la Passion. Il s’agit d’une sorte d’introduction qui récapitule tout ce qui va arriver et en donne le sens. Le passé est aussi intégré : la Loi et les Prophètes (Moïse et Élie), c’est-à-dire tout l’Ancien Testament, toute l’expérience religieuse du peuple de Dieu, trouve dans le Christ son aboutissement et son dépassement. Le dépassement sera la Pâque, avec son issue de gloire. La transfiguration annonce la glorification du Père et du Fils. Ce qui donnera à Dieu toute sa gloire, ce qui portera à la connaissance de l’humanité entière qu’il est bien Amour, c’est que, dans le Christ, il nous fera traverser notre mort. Car si le Christ n’était pas mort ET ressuscité, Dieu nous serait inutile : notre problème majeur (la mort) n’ayant pas trouvé sa solution.

Pierre proposera de dresser trois tentes, ce qui revient à immobiliser le mouvement, à bloquer le parcours vers la gloire. La transfiguration n’est que préfiguration, figure anticipée, de la gloire de la résurrection. Pierre reste prisonnier du passé : il a peur d’aller à Jérusalem ; il a peur d’aller à la mort. A cette parole de Pierre, il y a une réplique, la seule autre parole de notre récit, la parole du Père : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le. » Pierre a dû bien écouter le Fils et son message de vie, lui qui, dans la deuxième lettre dont je viens de vous parler, après avoir résumé le récit de la transfiguration, continue en nous invitant à nous appuyer sur « la parole prophétique » - prophétique de la Pâque – qui est la solidité même, et à y « fixer notre regard comme sur une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu’à ce que luise le jour et que l’étoile du matin se lève dans nos cœurs ».

Et nous ?

Si la transfiguration du Christ, au milieu de sa marche terrestre, fut comme un repère solide pour enraciner la foi des trois intimes, pour nous aujourd’hui qui n’avons pas eu la chance d’en être les témoins oculaires, le témoignage de l’Écriture peut nous permettre d’avancer avec certitude. C’est à nous que la voix du Père recommande d’écouter le Fils bien-aimé. Nous marchons souvent dans l’obscurité de la foi, mais dans cette nuit, comme dans la nuée obscure de la transfiguration, la Parole demeure comme une lampe allumée. Un jour – et c’est notre certitude – le jour viendra à poindre et alors l’étoile du matin brillera dans nos cœurs. Il s’agit d’abord de la lumière du matin de Pâques. Mais par-delà l’événement pascal, il s’agit de notre propre transfiguration. Ce que Pierre, Jacques et Jean ont entrevu en un fugitif instant sur la montagne, c’est ce que nous serons au jour de notre propre résurrection, car nous serons, nous aussi, irradiés pour l’éternité.

« Le Christ donnait du même coup un fondement à l’espérance de la sainte Église, afin que tout le corps du Christ connaisse de quelle transformation il serait gratifié, et que les membres puissent se donner à eux-mêmes la promesse de participer à l’honneur qui avait resplendi dans la tête. A ce sujet, le Seigneur avait dit, parlant de la majesté de son avènement : « Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père » et le bienheureux apôtre Paul affirme la même chose en ces termes : « J’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous (...) Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire ». J’emprunte ces propos à saint Léon le Grand, dans son homélie sur la Transfiguration. On ne peut mieux expliquer la grandeur de notre destin.

 

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