Tout homme qui croit en lui ne périra pas

 Être vrai

 

D

e même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle. Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique ; ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au jugement, celui qui ne veut pas croire est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le jugement, le voici : quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. En effet, tout homme qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne lui soient reprochées ; mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres soient reconnues comme des œuvres de Dieu.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 3, 14-21

QUATRIÈME DIMANCHE DE CARÊME (B)

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Un extrait

Ces textes de l’évangile selon saint Jean sont souvent tellement denses qu’il est difficile, surtout lorsqu’on les entend au cours de la lecture publique, d’y fixer notre attention et donc d’en faire notre nourriture. Il en est ainsi de ce profond enseignement que Jésus donne au sage Nicodème, un docteur de la Loi qui est venu le trouver de nuit. Les idées se chevauchent, s’entremêlent, on a du mal à suivre la pensée de l’auteur. C’est pourquoi aujourd’hui nous allons en tirer une simple expression, qui nous permettra, si l’on s’y arrête, d’entrer plus profondément dans l’enseignement du Christ. C’est aujourd’hui, donc, que Jésus dit à chacun de nous : « Celui qui fait la vérité vient à la lumière ».

Qu'est-ce que la vérité ?

Je crois qu’il n’y a pas de plus grave insulte que de se faire traiter de menteur. Pour tout homme, certes, mais à plus forte raison pour un chrétien. La plus grande exigence du Christ, adressée à tous ceux qui veulent le suivre, c’est d’être vrais. Qu’est-ce que cela signifie, et à quoi cela nous engage ? Dans le langage courant, est vrai ce qui est conforme au réel, ce qui est clair, évident. Dans le langage biblique, le mot « vérité » a un sens différent, beaucoup plus riche. C’est un mot concret. Il signifie d’abord, non pas ce qui est évident, mais ce qui est solide, sûr, digne de confiance. La vérité est donc la qualité de ce qui est stable, éprouvé, ce sur quoi on peut s’appuyer. On dira par exemple que ce chemin est « un chemin de vérité » pour indiquer un chemin qui sûrement conduit au but. Le verbe hébreu est cousin du mot Amen. C’est pourquoi, toujours dans le langage biblique, le mot « vérité » est l’équivalent du mot « fidélité », mais aussi du mot « stabilité » et « solidité ». En opposition à ce terme, il y a le mensonge. Toute la Bible revient sans cesse sur cette opposition entre vérité et mensonge. C’est un combat. Le combat entre la lumière et les ténèbres, entre le bien et le mal, entre Dieu et Satan, « menteur et père du mensonge », dira Jésus. Dans ce combat, nous sommes tous impliqués. Personne ne peut rester neutre. Il faut choisir. Et donc « faire la vérité ».

Être vrai

Vous le voyez, c’est dans cette signification très riche en harmoniques que Jésus emploie ce mot pour nous inviter à « faire la vérité ». Il ne s’agit pas d’avoir la vérité, de posséder la vérité, mais plus simplement d’être vrai, et donc de chercher à faire la vérité. En nous-mêmes, comme vis-à-vis des autres, et donc, d’être vrais dans notre relation à Dieu.

Être vrai en soi-même, c’est donc ne pas se mentir à soi-même. C’est le point de départ, et c’est peut-être le plus difficile. Ne serait-ce que pour s’accepter tel qu’on est, avec ses limites, sans vouloir les gommer ni les excuser. On a tous, bien souvent, la tentation de s’évader dans le rêve ou les fausses espérances. Ne pas se mentir à soi-même, ne pas s’illusionner sur soi, c’est le point de départ. Et c’est toujours à rectifier.

Être vrai vis-à-vis des autres, ce n’est pas facile non plus. On cherche bien souvent à paraître, à se présenter non pas tel que nous sommes, mais tels que nous souhaiterions être, sous un jour plus avantageux. On cherche à séduire, et pour cela, on cache, on dissimule ce que nous sommes en réalité. Il nous suffit d'examiner nos types de relations, aussi bien dans le couple, en famille, avec les voisins, qu’entre supérieurs et inférieurs et nous serons bien obligés de le reconnaître : nous sommes bien souvent des menteurs. Je cite souvent le peintre Rouault qui, au bas d’un portrait de clown, écrit ces simples mots : « Qui ne se grime pas ? » Je pense également à cet homme qui me racontait un jour combien il avait été tenté, quelques mois plus tôt, de quitter sa femme pour partir avec une petite jeune fille. « Ce qui nous a sauvés, ce qui a sauvé notre couple, m’a-t-il dit, c’est que nous nous sommes dit la vérité ».

    Être vrai, enfin, vis-à-vis de Dieu. Il y a des jours où tout notre corps, tout notre être, toute notre personne, se refuse à la lumière. On peut alors se laisser aller à n’importe quelle bassesse. Sous le regard de Dieu qui est lumière, qui nous rappelle sans cesse la vérité de notre être, nous préférons les ténèbres de nos propres illusions. Nous préférons faire le black out. Cette lumière nous éclaire sur notre propre condition pécheresse, alors nous fermons les yeux. Nous ne voulons pas nous voir tels que nous sommes.

Jésus, la vraie lumière.

Car cette lumière dont parle Jésus, c’est quelqu’un, c’est lui-même, « la vraie lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde. » Tu ouvres l’Évangile et tu entends ses propres paroles. Elles sont une exigence de vérité : « Que votre oui soit oui, que votre non soit non », ou encore : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés », ou enfin : « Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent ». Tu ouvres l’Évangile et tu le vois vivre. Sous son regard, le destin de chacun s’éclaire, sa propre dignité est révélée, sa propre indignité disparaît. La Samaritaine découvre la vérité de sa situation, mais c’est pour repartir trouver ses compatriotes et leur annoncer qu’elle a rencontré « le don de Dieu ». Zachée se révèle à lui-même pour ce qu’il est, un riche voleur indifférent au malheur des autres, mais c’est pour laisser s’opérer en lui « ce dégel de tout son être sous le regard de Jésus » (Mauriac) et devenir ce qu’il sera désormais : ouvert à la misère et capable de partager.

« La vérité vous libérera ». Si Jésus qui est « la voie, la vérité et la vie » nous demande d’être vrais, et avec lui, avec nous-mêmes et avec les autres, c’est parce qu’il s’agit de l’exigence de son amour. Seul l’amour exigeant, l’amour parfait libère l’homme. Dans un couple, si l’un des partenaires est jaloux, automatiquement l’autre sera faux, emprunté, lié. Si au contraire le partenaire sait parfaitement aimer, l’autre se sentira libre. Sous le regard d’amour de Dieu, nous ne pouvons que nous sentir libres. Libres pour aimer. Libres dans la vérité de tout notre être. Celui qui fait la vérité vient à la Lumière.

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