Bonne Nouvelle !
A
près l’arrestation de Jean-Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer la Bonne Nouvelle de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis, le Règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. »
Passant au bord du lac de Galilée, il vit Simon et son frère André en train de jeter leurs filets : c’étaient des pêcheurs. Jésus leur dit : « Venez derrière moi. Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant là leurs filets, ils le suivirent.
Un peu plus loin, Jésus vit Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient aussi dans leur barque et préparaient leurs filets. Jésus les appela aussitôt. Alors, laissant dans leur barque leur père avec ses ouvriers, ils partirent derrière lui.
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 1, 14-20
TROISIÈME DIMANCHE ORDINAIRE B
oOo
Étonnant !
Quel évangile étonnant que celui de Marc ! Ouvrez-le : un tout petit passage, huit versets, nous disent que Jean-Baptiste prêchait un baptême de conversion au bord du Jourdain. Puis, en quelques lignes, exactement trois versets, on nous raconte le baptême de Jésus. Deux versets pour relater la tentation au désert, et nous voici parvenus au texte ci-dessus. Aucun préambule. Nous ne savons pas d’où vient Jésus. C’est comme s’il tombait du ciel. C’est d’ailleurs un peu le sens du titre : « Commencement de l’Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu. » Et au fond, à y bien réfléchir, cela suffit : Jésus vient de Dieu. Luc et Matthieu racontent par le détail des épisodes de sa naissance et de son enfance, Jean a un long préambule théologique. Pas besoin de tout cela pour Marc. Il nous suffit de savoir qu’au jour de son baptême, Jésus a entendu la voix du Père lui déclarer qu’il est son « Fils bien-aimé » qu’il lui a plu de choisir, et immédiatement – avec quelle rapidité – il se met en route.
Il en a été de même pour Jean Baptiste, quelques versets plus tôt : il vient de nulle part ; sa mission est authentifiée par la voix des prophètes Malachie et Isaïe. Il remplit consciencieusement cette mission qui lui est confiée avant de disparaître, une fois cette mission terminée. Nous voici donc renseignés : tout ce qui va se passer tout au long de cet évangile, c’est l’intervention de Dieu. Jésus l’annonce : "les temps sont accomplis , le Royaume de Dieu est tout proche." Jean, dernier représentant de toute l’attente prophétique, quitte la scène et alors Jésus vient au premier plan et se met à annoncer « l’Évangile de Dieu. »
Quelle conversion ?
« Convertissez-vous », ordonne Jésus. Encore faut-il bien s’entendre sur le sens de cette conversion qui nous est demandée. Instinctivement, nous pensons à une attitude morale, un changement dans nos attitudes, voire dans nos mentalités. C’est vrai, mais ce n’est pas l’essentiel. Saint Paul, dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, annonçant que « le monde ancien a disparu » et qu’un nouveau monde est en train de naître, parle des chrétiens comme de « créatures nouvelles » (2 Cor. 5, 17) C’est donc beaucoup plus radical qu’un simple changement de mentalité. Un exemple éclairant de ce qui nous est proposé : les quatre artisans pêcheurs qui vont devenir les quatre premiers disciples. Ils étaient pêcheurs de poissons, ils vont devenir pêcheurs d’hommes.
Entendons-nous bien d’abord sur le sens de l’expression « pêcheurs d’hommes ». On ne pêche pas des hommes comme des poissons, et surtout pas dans le même but. Avec les hommes, on ne cherche pas à les prendre, à les capturer, à les avoir. Au contraire, il s’agit de les sauver. On pêche des poissons pour leur mort, pour les manger ; on pêchera des hommes pour leur vie ; bien plus, pour se donner à eux en nourriture. Voilà donc une réelle conversion de ces quatre marins pêcheurs : non seulement ils quittent leur métier, mais leur activité de pêche est elle-même convertie, transformée. Il s’agit de passer de la logique de la « prise », de l’avoir, de la possession et du gain, à une logique du don. Vous le voyez : la conversion requise est profonde et totale : il s’agit de changer radicalement notre manière de nous relier au monde et aux autres hommes.
Jésus lui-même nous indique le chemin. Juste avant de commencer sa mission, il affronte au désert l’esprit du mal. Il repousse toutes les tentations - qui sont encore aujourd’hui les nôtres, d’ailleurs – de volonté de puissance et d’esprit de domination. C’est seulement après cet affrontement et cette victoire qu’il peut arriver en Galilée et annoncer que « le Règne de Dieu s’est approché ». A chacun de nous, ensuite, de « venir derrière lui » pour « revêtir l’homme nouveau » ou « revêtir le Christ », comme dit saint Paul. C’est-à-dire pour nous convertir à nous-mêmes dans notre véritable identité : nous sommes fils de Dieu.
Etrange ?
Demeure, à la lecture de cette page d’Évangile, une impression étrange : comme si tout avait été court-circuité. Comment croire que ces travailleurs ont brutalement tout laissé tomber, non seulement leur travail et leurs outils de travail, mais même « leur père », sans regarder en arrière, sans demander un peu de temps pour « se retourner » Luc, dans son récit, ménage des étapes : Jésus a parlé aux foules, a guéri un possédé, est entré chez Simon pour manger, a guéri sa belle-mère. Le soir, il y à eu des guérisons collectives. Rien de tout cela chez Marc. Sur une simple parole d’un étranger de passage, les quatre ont tout quitté. Que s’est-il passé au juste ? Personnellement, je crois qu’il s’agit d’une construction littéraire de l’évangéliste. Comme s’il voulait nous dire que leur réponse ne vient pas d’eux. Jean, d’ailleurs, mettra par deux fois dans la bouche de Jésus cette réflexion : « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire ». Ils n’ont rien calculé, ils n’ont pas pris le temps d’envisager le pour et le contre. Ils ont simplement cédé à une attraction quasi-irrésistible. L’attraction de Celui qui est l’Amour. Instinctivement ? Oui certes, mais en pleine liberté, cependant. Et cet appel de Dieu s’est révélé, à l’expérience, pleinement libérateur. Les gens ont sans doute pensé qu’ils étaient un peu fous, de se lier ainsi à un inconnu. Enchaînés ? Non, mais, à l’usage, libérés. Libérés de leur passé. Marchant vers un avenir qui s’ouvre à eux, encore plein d’inconnu, mais plein d’une promesse de vie. Comme Abraham qui part sur une simple parole entendue un jour : « Quitte ton pays ». Comme Marie répondant à l’envoyé de Dieu : « Je suis la servante du Seigneur ». Elle ne sait pas où ça va la mener, et pourtant elle s’ouvre à l’avenir inouï que lui promet l’ange Gabriel.
Il en va ainsi de toute « conversion » véritable. Encore une fois, ne n’est pas un simple retournement passager, une rectification de quelques manières d’être. C’est une démarche entreprise un jour et qui n’est jamais terminée. Simon-Pierre et André, Jacques et Jean n’en étaient ce jour-là qu’à un commencement. Ils ne savaient pas ce qui les attendait sur les routes de cette aventure. Finalement, un jour, ils se rendront compte qu’un Autre les a menés « là où ils ne voulaient pas aller », certes, de leur plein gré, mais en définitive à la réussite de leur existence, dans une générosité féconde.
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