Personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres
Vin nouveau et vieilles outres
C
omme les disciples de Jean-Baptiste et les pharisiens jeûnaient, on vient demander à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne jeûnent-ils pas, comme les disciples de Jean et ceux des pharisiens ? » Jésus répond : « Les invités de la noce pourraient-ils donc jeûner, pendant que l’Époux est avec eux ? Tant qu’ils ont l’Époux avec eux, ils ne peuvent pas jeûner. Mais un temps viendra où l’Époux leur sera enlevé : ce jour-là, ils jeûneront. Personne ne raccommode un vieux vêtement avec une pièce d’étoffe neuve ; autrement la pièce neuve tire sur le vieux tissu et le déchire davantage. Ou encore, personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement la fermentation fait éclater les outres, et l’on perd à la fois le vin et les outres. A vin nouveau, outres neuves. »
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 2, 18-22
HUITIÈME DIMANCHE ORDINAIRE (B)
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Un temps pour tout.
« Il y a un temps pour tout ! » Cette expression, qui est passée sous forme de proverbe, est, en fait, tirée de la Bible. Relisez le chapitre 3 de Qohelet et sa longue énumération. C’est l’expression de la vieille sagesse des nations. Rappelez-vous : « Un temps pour enfanter et un temps pour mourir, un temps pour planter et un temps pour arracher, un temps pour tuer et un temps pour guérir, un temps pour pleurer et un temps pour rire... » Qu’est-ce que cela veut dire ? Simplement ceci : « Toute chose, Dieu l’a fait bonne pour son temps. » Une chose bonne en soi, mais faite à contretemps devient mauvaise. Un bon sermon sur la patience et la résignation, si vous le faites à quelqu’un qui souffre ou qui est handicapé, ce peut être catastrophique. C’est proprement « déplacé ». Le vin nouveau qui n’a pas fini sa fermentation est « déplacé » dans une outre déjà distendue par des fermentations précédentes. Un morceau de tissu neuf est bien meilleur qu’un vieux, mais il rétrécit au lavage. Gare si on le coud sur un vêtement qui ne rétrécit plus. Il n’y est pas à sa place. Même la vérité, dite à contretemps, peut tuer. La frontière entre le bon et le mauvais est donc poreuse. Le mal peut prendre le visage du bien et le plus grand mal peut devenir source du plus grand bien. Pensez à la Passion du Christ. Donc, au-delà de nos idéologies, il y a quelque chose de plus important : le discernement des temps opportuns.
Allons plus loin
Je pense que Jésus ne veut pas se contenter, aujourd’hui, de cette leçon de sagesse tout humaine. Ses propos sur l’époux nous orientent vers d’autres réflexions. A juste titre, la liturgie de ce jour a placé comme première lecture un passage du prophète Osée (mal découpé d’ailleurs dans le lectionnaire ; lisez-le en entier dans votre Bible : Osée 2, 16-22) qui nous parle d’amour, de couple et de mariage. Un thème nuptial, qui court à travers toute la Bible, dès le deuxième chapitre de la Genèse où Dieu, ayant déclaré qu’ « il n’est pas bon que l’homme soit seul », va lui donner « quelqu’un à qui parler » (selon la belle interprétation d’un théologien orthodoxe). Le couple humain va très vite nous être présenté comme une illustration du couple antérieur, le couple homme-Dieu. L’humain, masculin et féminin étroitement liés, est présenté comme « image et ressemblance » et l’alliance est décrite comme une alliance matrimoniale. Tout converge vers les noces de Dieu et de l’humanité dans le Christ. « Dieu s'est épris d'amour pour l'homme, pour sa créature qu'il a trouvée belle. Comme tous les amoureux, il a voulu cette folie de devenir l'autre : homme », écrit le Père Chenu. L’incarnation est événement nuptial. Mais ces noces, pour se consommer, demandent le temps, l’histoire. L’incarnation n’est achevée que lorsque Dieu épouse toute la fragilité de la condition humaine et lorsque l’homme se voit doté de toute la solidité de Dieu. Un couple humain est comme l’illustration, la révélation de l’union de Dieu et de l’homme. C’est d’ailleurs pourquoi nous considérons le mariage comme un « sacrement ».
Jeûner ? Pourquoi ?
Les paroles de Jésus sur le temps de jeûner et de ne pas jeûner sont à vrai dire mystérieuses. Essayons cependant de comprendre. C’est une bonne chose que le jeûne. Notre rapport à la nourriture est toujours ambigu, car il peut déraper vers une volonté d’accaparer. Il peut aussi nous faire oublier que l’homme ne vit pas seulement de pain et ne trouve pas sa pleine vérité dans les objets qu’il peut posséder. Le jeûne est une thérapeutique, symbolique, du désir. C’est pourquoi, comme dit le Qohélet, « il y a un temps pour chaque chose sous le soleil. » Jésus a l’air de dire que tant qu’il est là avec ses disciples, on en est au temps des noces et qu’il n’est pas question de jeûner. « Le temps où l’époux leur sera enlevé » fait penser à la Pâque. Pourtant c’est la Pâque qui est le vrai temps des noces et l’évangile selon Matthieu se termine par les mots : « Moi, je suis toujours avec vous jusqu’à la fin du monde ». Ce qui nous conduit à penser que le mot « jeûne » n’a pas son sens habituel, matériel. Le jeûne dont il s’agit pourrait bien être l’invisibilité actuelle de Jésus. Jésus est « avec nous », on se le redit sans cesse, mais c’est dans la nuit de la foi. Le jeûne dont il s’agit est l’absence de la claire vision. C’est aujourd’hui dans la foi qu’il s’agit de nous comporter avec cette totale nouveauté (outres neuves, vêtements neufs) pour accueillir la perpétuelle nouveauté qu’est le Christ lui-même.
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