Pour qu’ils aient en eux ma joie
Sanctifiés par la vérité
A
l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, les yeux levés au ciel, il priait ainsi : « Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné en partage, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes. Quand j’étais avec eux, je les gardais dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Écriture soit accomplie. Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, en ce monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. Je leur ai fait don de ta parole, et le monde les a pris en haine, parce qu’ils ne sont pas du monde, de même que moi, je ne suis pas du monde. Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du Mauvais. Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux, je me consacre moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité ».
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 17, 11-19
Septième dimanche de Pâques
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Le Nom de Dieu
Voici encore aujourd’hui un de ces textes de l’Évangile de Jean, textes tellement denses qu’il faudrait des heures pour en retirer toute la saveur et pour en faire ainsi notre nourriture spirituelle. Comme nous ne disposons que de quelques minutes, je vais donc m’arrêter à l’une ou l’autre des expressions qui parsèment ce passage. Un passage que les spécialistes appellent la « prière sacerdotale » de Jésus. A quelques heures de son arrestation, à la fin du dernier repas qu’il prend avec ses amis, Jésus leur livre son « testament », puis, comme les conseils et les consignes ne suffisent pas pour exprimer toute sa pensée, la conversation se transforme en prière. Jésus s’adresse à son Père pour lui confier ce qu’il a de plus chers : ses disciples. Vous et moi aujourd’hui, du moins je l’espère.
Par deux fois, Jésus demande à son Père de garder ses disciples dans la « fidélité à son nom ». De quoi s’agit-il ? Pour bien comprendre, il faut se souvenir de l’importance donnée au nom dans la Bible, depuis Adam et Ève jusqu’au Notre Père où nous disons : « Que ton nom soit sanctifié ». Donner un nom à quelqu’un, c’est lui donner une identité, une particularité propre, ce qu’il y a d’unique dans sa personnalité. Le mot « Dieu » est un nom commun, applicable à toute divinité. Mais notre Dieu a un nom, le nom qu’il a révélé à Moïse, et ce nom lui est propre. C’est Yahvé, mot qui signifie « Je suis ». Un mot qui ne provient pas d’une réflexion philosophique ou d’un raisonnement humain, mais un mot qui vient d’une histoire, l’histoire des relations de Dieu avec les hommes. Il est, non pas « Dieu » tout court, mais le « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ». Il est le Dieu de Jésus-Christ. Un tel nom, qui fut longtemps considéré comme le nom d’un Dieu particulier, pour ne pas dire particulariste ou racial, le Dieu d’Israël, le Dieu d’un peuple pas comme les autres, Jésus nous le révèle comme le nom du Père de toute l’humanité. On ne classe pas Dieu dans une liste. Il est en dehors et au-dessus de tout. Aussi, tout être, « aux cieux, sur terre et aux enfers » doit s’incliner devant lui.
Au nom de Jésus
Vous le savez sans doute, ce nom divin, nul n’avait le droit de le prononcer. Si bien que, pour parler de leur Dieu, les Israélites employaient des adjectifs qualificatifs : l’Éternel, le Tout-Puissant, le Très haut, etc. Or, l’apôtre Paul, parlant de Jésus et décrivant toute sa destinée de Fils de Dieu – vous connaissez parfaitement ce texte des Philippiens – qui s’est abaissé, prenant la condition d’esclave, mort de la mort des esclaves, poursuit : « c’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le Nom au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse... ». Ce qui veut dire que, pour nous aujourd’hui, Dieu se dit « Jésus ». Un nom humain, prononçable. Ce nom, pour les croyants, ratifie et porte à son apogée tout ce qui a été dit à propos de Yahvé. Et la fidélité au nom de Dieu, c’est, d’une part croire en ce Dieu qui nous sauve (le nom de Jésus signifie « Dieu sauve »), et d’autre part vouloir entrer dans cette longue marche décrite dans la Bible : une histoire qui a un sens, et qui désormais se fait par nous. Nous à qui Jésus a confié son Nom et ses Paroles, qu’il tient du Père. Cette longue marche, dont le Christ est l’efflorescence qui porte son fruit en nous, a chargé le Nom de Jésus d’un contenu que la fin de l’Évangile de Jean met en relief : nous avons appris que Dieu est Amour, car le Christ n’a été qu’amour. Mais pour savoir ce qu’est cet amour, pour donner à ce mot son sens vrai, il faut relire et méditer les paroles et les actes du Christ.
Sanctifie-nous
« Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. » : voilà ce que Jésus demande pour nous à son Père. Ce sera la deuxième phrase que nous essaierons de comprendre aujourd’hui. Et d’abord, je tiens à faire une remarque. Même si beaucoup de traductions sont identiques à celle que nous lisons aujourd’hui, le sens premier du mot grec « agiason » n’est pas « consacrer », mais « sanctifier », ce qui, à mon gré, est beaucoup plus parlant. Et même si je me répète, j’estime que c’est nécessaire de rabâcher un peu.
Soyons simples. Pour toute la Bible, Dieu seul est saint. La sainteté est la prérogative de Dieu. Dire qu’il est saint signifie qu’il n’est comparable à rien, qu’il est tout-à-fait en dehors de l’univers de notre expérience. « Tout autre » est une manière de dire « Saint », « séparé » également ; Le mot Saint veut éviter de confondre Dieu avec une force naturelle ou avec un potentat siégeant sur son trône et administrant le monde. Dieu indicible – au nom imprononçable – « Dieu, personne ne l’a jamais vu ». Et surtout n’essayez pas de l’imaginer (« Tu ne feras pas d’image de moi »). Quand Jésus dit « Père saint », cela veut dire qu’il ne faut pas confondre Dieu avec un père humain. Il est père « autrement » Nous avons du mal à nous débarrasser de l’idée que la sainteté, c’est être vertueux. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit lorsque Jésus prie le Père de nous « sanctifier par la vérité ». Jésus, qui s’est « sanctifié lui-même », a acquis toutes les caractéristiques de la divinité : il est devenu « tout autre ». Il peut dire alors qu’il n’est pas « du monde ». Il est « passé de ce monde à son Père ». Et il demande à son Père de nous sanctifier, c’est-à-dire, de devenir comme Dieu, dans le Christ, et donc de « passer » nous aussi, de ce monde à son Père.
Pour terminer, une dernière remarque. Si nous sommes « sanctifiés par la vérité », nous allons nécessairement devenir les éternels contestataires de « ce monde » où domine le « prince de ce monde », le « père du mensonge ». Dans ce monde qui préfère les rapports de force à l’amour des autres, le bien-être personnel à la vie des autres, la richesse aux valeurs de la communication et de l’échange fraternel ; dans ce monde qui a secrété des « lois de l’économie » jugées comme sacro-saintes et qui asservissent les hommes, parce qu’elles sont l’expression d’une lutte pour la domination ; nous serons des « saints », c’est-à-dire ceux qui manifestent leur différence dans tous leurs comportements. Je prie le Père de nous communiquer un peu de sa sainteté.
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